La vie dans l'oecuménisme en Allemagne
L'exemple des deux paroisses de mon village d'origine
Georg Seitz
Dans
le cadre de ce Sénevé
sur l'unité des chrétiens on m'a demandé si je ne pouvais pas faire une
petite contribution sur la situation entre catholiques et protestants en
Allemagne. Il existe bien sûr plusieurs manières d'aborder ce sujet. La
plupart d'entre vous pensent probablement d'abord aux initiatives de
dialogue sur l'oecuménisme sur un plan théologique. Mais au bout du
compte j'estime qu'à ce sujet la situation en Allemagne n'a rien
d'original par rapport à l'Église mondiale et je ne me vois pas
particulièrement compétent pour en parler. Sont peut-être ensuite connus
les projets de coopération au niveau national qui tendent à témoigner
d'une unité partielle en tâtonnant dans le champ de mines du faisable.
Doit être mentionné à ce titre surtout le « Ökumenische Kirchentag » en
2003 à Berlin (dont la seconde édition est prévue pour l'année 2010 à
Munich). L'examen de cet événement s'avère néanmoins très ambigu et
complexe du côté catholique parce qu'il a montré et probablement même
approfondi des ruptures au sein de l'Église catholique elle-même (en
témoignent notamment les suspensions fortement médiatisées de prêtres
catholiques qui avaient invités des protestants à recevoir l'Eucharistie).
L'analyse en termes d'oecuménisme reste donc nécessairement floue et
incertaine et suppose d'ailleurs des jugements sur l'importance des
différents courants clérico-politiques pour lesquels il me manque
l'expertise. Ce n'est donc pas dans les grands débats sur les grands
événements que je vais me lancer. Mon idée en est tout le contraire :
descendre toute l'échelle jusqu'à la vie quotidienne dans mon village
d'origine, trois mille habitants. Je veux vous amener à découvrir
l'expérience pratique de la coexistence amicale d'une paroisse catholique
et d'une paroisse protestante.
L'église catholique « Unsere Liebe Frau » à Dechsendorf
Le lieu où tout se passe s'appelle Dechsendorf et il convient
tout d'abord de voir brièvement sa situation et son histoire. Il fait
partie depuis 1972 de la ville d'Erlangen (100 000 habitants) et se situe
au nord de la Bavière, en Franconie, à 220 km au nord de Munich. En
Franconie, la situation historique quant aux confessions est compliquée.
Comme il n'y avait pas de domination uniforme du territoire, les
confessions sont très mixtes et la majorité peut changer d'un village à
l'autre. Ainsi la ville d'Erlangen a accueilli des huguenots qui ont dû
fuir la France catholique en 1686 et a, depuis, une forte identité
protestante. À Dechsendorf (qui est à 7 km) il n'y avait en revanche
jusqu'à la Seconde Guerre mondiale quasiment que des catholiques. Ce
n'est qu'à la suite des migrations de l'après-guerre que s'est constituée
une communauté protestante. Pendant de longues années ce groupe, qui du
point de vue organisationnel fait partie de la paroisse d'un village
voisin, ne disposait pas d'un lieu de culte propre. Il n'avait qu'un
bureau établi dans un appartement loué. Les célébrations du dimanche
avaient lieu tous les quinze jours dans l'église catholique (après la
messe). C'est en raison de cette longue hospitalité qu'un lien
très étroit et amical s'est développé entre les deux paroisses. En 1998,
enfin, la paroisse protestante a eu les moyens de construire une petite
église avec des salles paroissiales. Mais les bonnes relations et les
coopérations n'ont pas cessé et sont aujourd'hui déjà devenues
traditionnelles. Je vais les exposer au long de l'année liturgique :
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- pendant l'Avent, il y a un après-midi de rencontre des personnes du
troisième âge qui est organisé en alternance par les deux paroisses.
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- la veille de Noël, dans l'après-midi, l'église catholique (qui a
beaucoup plus de places que son pendant protestant) est le lieu d'un
service oecuménique pour les enfants (il s'agit d'une célébration de la
parole, sans eucharistie bien évidemment). Le groupe d'enfants qui
présente
le jeu de la Nativité unit souvent des enfants catholiques et protestants
(le nom exact de cet office en allemand est « Kindermette ». Le mot «
Mette » s'emploie uniquement pour les offices du 2 décembre et il ne
semble pas exister un équivalent français. Un office sans eucharistie
s'appelle « Wortgottesdienst » en allemand. C'est une forme qui devient de
plus en plus courante, surtout dans les paroisses sans curé).
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- au début de chaque année les conseils d'administration et les
conseils pastoraux des deux paroisses se rencontrent pour une séance
commune qui sert à organiser les projets pour l'année à venir ainsi que
pour l'information et l'échange global sur la situation dans les deux
paroisses.
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- le premier vendredi du mois de mars, la journée mondiale
interconfessionnelle de la prière (« Weltgebetstag der Frauen ») donne
bien sûr lieu à une prière commune.
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- pendant le carême, l'une des deux paroisses organise chaque année
une série de conférences de carême qui sont ouvertes à un public oecuménique.
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- à Pâques, un très bel acte symbolique s'est établi : les deux
paroisses se rassemblent chacune dans leur église, très tôt le matin, pour
célébrer la résurrection du Christ selon leur propre liturgie. La liturgie
catholique commence dans la cour de l'église avec la bénédiction du feu
pascal. Lors de cette bénédiction, des représentants de la paroisse
protestante sont également présents avec un flambeau qu'ils enflamment
dans le feu pascal. Ils portent cette lumière dans l'église protestante où
il sert à allumer les cierges.
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- l'événement probablement le plus audacieux sur le plan théologique a
lieu le premier week-end du mois d'août. C'est la fête patronale de
l'église catholique (qui tombe plus exactement le 5 août, jour de la
consécration de la Basilique Santa Maria Maggiore à Rome). Ce même
week-end, l'association folklorique organise une fête dans une ruelle
historique. En cette occasion, il y a depuis longtemps une procession
eucharistique dans le village. Depuis quelques années, la paroisse
protestante y participe en accueillant une station d'autel. Sur le chemin
entre l'église catholique et l'église protestante, les deux pasteurs
marchent côte à côte sous le dais. Le prêtre catholique porte
l'ostensoir tandis que son collègue protestant porte la Bible. À la fin
de la station devant l'église protestante est dispensée la bénédiction
eucharistique (voir photo). Après, la procession catholique continue et la
paroisse protestante entre dans son église pour célébrer l'office.
Le prêtre catholique dispense la bénédiction eucharistique devant
l'église protestante. En face de lui (debout), son collègue protestant.
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- à la fin de l'année scolaire et au moment de la rentrée, il y a des
offices oecuméniques (Wortgottesdienst) pour les élèves de
l'école primaire.
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- le dimanche de Erntedank (c'est une fête, au mois d'octobre,
lors de laquelle on rend grâce pour la récolte de l'année), les deux
paroisses ont chacune leur office comme tous les dimanches. Mais la
célébration festive à laquelle participent les membres de l'association
folklorique et les groupes du jardin d'enfants (qui est mené par la
paroisse catholique mais accueille aussi de nombreux enfants protestants)
a lieu un an sur deux dans l'église protestante (et donc lors d'une
liturgie protestante).
Voilà les étapes oecuméniques d'une année
liturgique à Dechsendorf, auxquelles peuvent encore s'ajouter des projets
exceptionnels. Pour moi, la richesse des formes et occasions de rencontre
entre les deux paroisses est un bel exemple de pragmatisme au
meilleur sens du terme. On n'attend pas passivement des progrès
spectaculaires à l'échelle de l'Église mondiale mais, tout en acceptant
les limites existantes, on se met à pratiquer une vie commune concrète.
Cette vie commune donne naissance à un esprit de fraternité entre les
chrétiens des deux confessions. Cet esprit a pour moi toujours été un
signe d'espérance important. C'est pourquoi j'ai voulu partager cette
expérience avec vous.
G. S.