Moi, stupide, je ne comprenais pas,
j'étais une brute devant toi.
Et moi, qui restais devant toi,
tu m'as saisi par ma main droite ;
par ton conseil tu vas me conduire,
puis dans la gloire tu m'attireras.
psaume 73
Il n'est pas difficile d'imaginer ce que serait notre rencontre avec
Dieu s'Il ne nous envoyait pas sa grâce : «J'étais une brute devant
toi». Ignorant Dieu, ignorant ce que nous sommes, comment un
face-à-face avec Dieu serait-il encore possible ? La lumière divine
nous apprendrait seulement l'infinie distance entre la nature humaine
et la nature divine, et l'incompatibilité entre notre adhésion au
péché maintenant dévoilé et la sainteté du Très-Haut. L'homme a voulu
manger le fruit de la connaissance, il en est devenu aveugle ! Il est
tombé dans l'esclavage du péché, car il ignorait le péché. Comment Satan
pourrait-il être «Prince de ce monde», si le monde avait pleinement conscience
que son péché l'oppose en tout à Dieu ?
Mais le psalmiste peut dire à son Seigneur : «tu m'as saisi par ma main
droite». Dieu a choisi, de toujours et pour toujours, de nous
aimer. Comment faire renaître à la vie ce que le péché tue ? Comment
éveiller l'homme à la vie divine, lui qui meurt de son péché sans le
savoir ? Nous n'allions pas à Dieu, nous cachant comme Adam au jardin
à nous-mêmes et à Dieu, alors Il est venu, en notre humanité et en
chacun de nous, Il nous «saisit par la main droite». Étant le principe
de toute vie, Il veut s'unir à nous, qui ne saurions dès lors être
assujettis à la mort. Notre immortalité est «relationnelle», nous
sommes éternels en tant que nous sommes liés à Dieu, qui est
Vie. D'ailleurs, au jeune homme qui lui demande: «Maître, que dois-je
faire de bon pour avoir la vie éternelle ?», Jésus répond: «Pourquoi
m'interroges-tu sur ce qui est bon ? Il n'y a qu'un seul être qui soit
bon!».1 Ce n'est pas un bien que nous apporte la grâce, des
mérites que nous pourrions accumuler, seul ce lien avec Celui qui est
tout bien nous donne la vie éternelle.
En effet, la grâce que le Père nous envoie est «participation à la vie
de Dieu» (Catéchisme de l'Église catholique), et même
«participation à la réalité intime de Dieu» (H.U.von
Balthasar). Comment est-ce possible ? par contact, pour ainsi dire,
car le don de la grâce est un don que Dieu fait de Lui-même. Ainsi
sainte Thérèse d'Avila cherchait Dieu dans la «septième demeure» du
château intérieur qu'est l'âme, demeure la plus cachée, mais la plus
intime. À celle qui fut «comblée de grâce», l'Église ne dit-elle pas :
«le Seigneur est avec toi» ? Accueillir la grâce, cette grâce dite
habituelle - elle crée en nous une disposition nouvelle et permanente -,
c'est recevoir Dieu Lui-même, et donc se transformer au contact du
«feu brûlant». Une des manifestations «actuelles» de la grâce est
l'existence des sacrements ; or l'Eucharistie est l'accueil et
l'assimilation du divin, jusque dans notre chair. Loin de recevoir un
attribut de plus, nous sommes littéralement «retournés» par la grâce,
puisque de tournés que nous étions vers le péché, nous sommes attirés
vers le divin, qui s'établit en nous et nous divinise.
Et si la source du don de la grâce est l'amour du Père, on comprend
que ceux qu'Il avait créés à son image et à sa ressemblance sont élevés
- proportionnés, pour ainsi dire - à la dignité de fils adoptifs. Ainsi,
nous pouvons répondre à son amour, en l'aimant comme le Fils aime le
Père, de telle sorte que nous réalisions avec Dieu «un rapport de
réciprocité dans l'unité», sur le modèle parfait de l'amour qui unit
les Trois personnes de la Trinité2. Là est peut-être ce qui
constitue le plus grand mystère pour l'homme : que Dieu cherche la
réciprocité de l'amour, l'union intime avec sa créature - «tout ce qui
est à moi est à toi» -, qu'Il veuille que nous L'aimions comme «Il se
connaît et s'aime Lui-même». Le fils prodigue parti, le père vivait
dans l'attente de son retour, jusqu'à pouvoir de nouveau le serrer dans
ses bras. Mais il n'a pu l'étreindre que parce que le fils a répondu à
l'attirance qu'exerçait sur lui la maison de son père, c'est-à-dire au
désir que le père avait déjà fait naître en lui... Dieu nous élève
jusqu'à l'«admirable échange» d'amour qui unit les Trois Personnes
divines, et ainsi nous «attire dans la gloire», si nous acceptons de
nous laisser «conduire par son conseil». A notre mort, la force du
lien qui nous attache à Dieu nous permettra alors de désirer le
face-à-face éternel, et d'entrer tout entier dans le commerce d'amour
vers lequel tendait notre vie terrestre.
Et dès maintenant, si Dieu se réjouit d'être ce qu'Il est, puisque
c'est pour se donner à nous, ainsi que l'écrivait Saint Jean de la
Croix, soyons à notre tour dans la joie, puisqu'avec le secours de la
grâce, nous pouvons réjouir le coeur du Père.
Article paru dans Sénevé
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