L'illusion de la vérité

Aurélie Lebel



Devenir chercheur était ma vocation. Comment le comprendre au-delà d'une attirance d'ordre irrationnel? Désir de comprendre, désir de progrès: progrès de la connaissance, progrès de la médecine. Aujourd'hui la recherche occupe presque la moitié de mes jours: quelles sont mes motivations réelles?



Depuis que j'ai réellement approché la recherche en biologie, l'idée de vérité scientifique m'est apparue illusoire. Longtemps, j'ai cru que la biologie décrivait le vivant, sa constitution, ses mécanismes, comme beaucoup sûrement. Peut-être une réminiscence des «sciences naturelles»?
Fondamentalement, la biologie se place comme une science expérimentale. Le raisonnement se fonde sur la conception de modèles. Ceux-ci doivent être une vision simplifiée du déroulement d'un processus complexe dans une cellule, un organisme, un écosystème... Il faut qu'ils puissent être éprouvés par l'expérience. Les expériences corroborent ou infirment les différents aspects du modèle. On reconstruit alors un nouveau modèle plus proche de la «réalité» biologique. C'est au fond un processus itératif censé déboucher sur une vision la plus juste possible du vivant. Mais, ce n'est là qu'une limite asymptotique. Peut-on dès lors concevoir comme vérité les fruits de la recherche en biologie? En tout cas pas en tant qu'adéquation avec une réalité tangible.
De plus, la validation et l'amélioration des modèles se basent sur des résultats expérimentaux que le doute ne peut épargner. Premier cas de figure: l'expérience est observation. Presque toujours, l'observation est indirecte. Par exemple, une cellule est traitée avant d'observer sa structure et les molécules qu'elle contient. Et il existe plusieurs dizaines de traitements possibles... amenant bien souvent des résultats différents! Autre cas de figure: on étudie un processus biologique en cherchant à le reconstituer artificiellement («in vitro») ou à le perturber. On se place de fait dans une situation artificielle. L'interprétation occupe donc une place énorme dans l'expérimentation même! Le danger de l'artefact est permanent. Dès lors, la connaissance en biologie apparaît plus comme une reconstruction intellectuelle du monde que comme son reflet. Cela ne signifie en aucun cas qu'elle n'ait pas de valeur: elle est porte d'entrée vers le vivant. Mais elle ne constituera jamais une vérité établie. Combien de «dogmes» ont été brisés au bout de quelques décennies par de nouveaux résultats...



Chercheur: en quête de vérité? certainement pas (certainement plus). En quête de progrès des connaissances humaines? Peut-être bien. En quête de progrès de la médecine et de progrès humain?
Bien peu de travaux débouchent effectivement sur des applications médicales. Éventuellement, on comprend de mieux en mieux les mécanismes d'une maladie; mais sans mettre au point de traitement nouveau. La nature demeure le plus grand pourvoyeur de médicaments, et la médecine reste largement une science empirique où l'intuition est essentielle.
Alors: progrès humain? Les développements récents de la génétique et de la biologie cellulaire avec le clonage des mammifères, la culture de cellules embryonnaires humaines et de manière globale une montée de l'instrumentalisation du vivant, sans remettre en cause le bien-fondé de la recherche, nous forcent à nuancer toute association hâtive entre progrès du savoir et progrès de l'Humanité.



Alors, me direz-vous: que reste-t-il de mes illusions? Quelques petits pas quotidiens sur le chemin de la connaissance humaine et une insatiable curiosité. Non plus un but raisonnable, mais un désir irrationnel, une soif. Et un progrès personnel finalement: la compréhension de l'importance première du désir pour avancer, de croire au-delà d'une logique scientifique qui atteint ses limites. Et une prise de conscience: la seule vérité est au bout d'un chemin de foi que nourrit le raisonnement, mais qu'il ne fonde pas.

A.L.

Article paru dans Sénevé


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