Devenir chercheur était ma vocation. Comment le comprendre au-delà d'une
attirance d'ordre irrationnel? Désir de comprendre, désir de progrès:
progrès de la connaissance, progrès de la médecine. Aujourd'hui la recherche
occupe presque la moitié de mes jours: quelles sont mes motivations
réelles?
Depuis que j'ai réellement approché la recherche en biologie, l'idée de
vérité scientifique m'est apparue illusoire. Longtemps, j'ai cru que la
biologie décrivait le vivant, sa constitution, ses mécanismes, comme
beaucoup sûrement. Peut-être une réminiscence des «sciences naturelles»?
Fondamentalement, la biologie se place comme une science expérimentale. Le
raisonnement se fonde sur la conception de modèles. Ceux-ci doivent être une
vision simplifiée du déroulement d'un processus complexe dans une cellule,
un organisme, un écosystème... Il faut qu'ils puissent être éprouvés par
l'expérience. Les expériences corroborent ou infirment les différents
aspects du modèle. On reconstruit alors un nouveau modèle plus proche de la
«réalité» biologique. C'est au fond un processus itératif censé déboucher
sur une vision la plus juste possible du vivant. Mais, ce n'est là qu'une
limite asymptotique. Peut-on dès lors concevoir comme vérité les fruits de
la recherche en biologie? En tout cas pas en tant qu'adéquation avec une
réalité tangible.
De plus, la validation et l'amélioration des
modèles se basent sur des résultats expérimentaux que le doute ne peut
épargner. Premier cas de figure: l'expérience est observation. Presque
toujours, l'observation est indirecte. Par exemple, une cellule est traitée
avant d'observer sa structure et les molécules qu'elle contient. Et il
existe plusieurs dizaines de traitements possibles... amenant bien souvent
des résultats différents! Autre cas de figure: on étudie un processus
biologique en cherchant à le reconstituer artificiellement («in vitro») ou
à le perturber. On se place de fait dans une situation artificielle.
L'interprétation occupe donc une place énorme dans l'expérimentation même!
Le danger de l'artefact est permanent.
Dès lors, la connaissance en biologie apparaît plus comme une reconstruction
intellectuelle du monde que comme son reflet. Cela ne signifie en aucun cas
qu'elle n'ait pas de valeur: elle est porte d'entrée vers le vivant. Mais
elle ne constituera jamais une vérité établie. Combien de «dogmes» ont été
brisés au bout de quelques décennies par de nouveaux résultats...
Chercheur: en quête de vérité? certainement pas (certainement plus). En
quête de progrès des connaissances humaines? Peut-être bien. En quête de
progrès de la médecine et de progrès humain?
Bien peu de travaux débouchent
effectivement sur des applications médicales. Éventuellement, on comprend de
mieux en mieux les mécanismes d'une maladie; mais sans mettre au point de
traitement nouveau. La nature demeure le plus grand pourvoyeur de
médicaments, et la médecine reste largement une science empirique où
l'intuition est essentielle.
Alors: progrès humain? Les développements
récents de la génétique et de la biologie cellulaire avec le clonage des
mammifères, la culture de cellules embryonnaires humaines et de manière
globale une montée de l'instrumentalisation du vivant, sans remettre en
cause le bien-fondé de la recherche, nous forcent à nuancer toute
association hâtive entre progrès du savoir et progrès de l'Humanité.
Alors, me direz-vous: que reste-t-il de mes illusions? Quelques petits pas
quotidiens sur le chemin de la connaissance humaine et une insatiable
curiosité. Non plus un but raisonnable, mais un désir irrationnel, une soif.
Et un progrès personnel finalement: la compréhension de l'importance
première du désir pour avancer, de croire au-delà d'une logique scientifique
qui atteint ses limites. Et une prise de conscience: la seule vérité est
au bout d'un chemin de foi que nourrit le raisonnement, mais qu'il ne fonde
pas.
Article paru dans Sénevé
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