«La vérité est que la religion,
étant coextensive à notre espèce,
doit tenir à notre structure.»
(Bergson)
Élève de première année, je n'ai encore commencé aucune recherche.
Je ne peux donc m'exprimer que sur des souhaits ou de vagues projets, et
avec des idées qui pourront en définitive s'avérer erronées ou
illusoires.
Un peu d'optimisme cependant: j'ai trouvé un domaine d'étude
qui m'intéresse particulièrement, les religions de
l'Antiquité, depuis leurs origines préhistoriques, et parmi elles surtout la
religion grecque. C'est donc dans ce domaine que j'aimerais entamer des
recherches.
Or, il me semble qu'il y a là, une possibilité pour moi de
concilier recherches de type universitaire et quête personnelle de
chrétien, quoique indirectement, comme je vais essayer de le montrer.
Pour commencer par le début, je dois mentionner que cet intérêt
pour les religions de l'Antiquité me vient d'une part de la fascination
qu'exerce sur moi la Grèce, pays et ruines, surtout les sanctuaires,
d'autre part de la lecture des Deux sources de la morale et de la
religion, ouvrage dans lequel Bergson décrit d'une manière qui m'a
frappé ce que sont les tendances religieuses et superstitieuses de
l'esprit humain à l'état «naturel», si l'on peut dire. Son
analyse lui permet de distinguer d'un côté les religions qui se sont
progressivement constituées autour de croyances et de superstitions
naturellement crées par l'esprit humain et de l'autre le christianisme,
les unes correspondant au modèle des religions dites statiques, le
christianisme étant lui une religion dite dynamique.
Ce qui m'intéresse serait de poursuivre des recherches sur ces
religions que l'on pourrait dire primitives, ce qui engloberait, pour ce
qui est de l'Antiquité classique, jusqu'à la religion romaine,
religions qui si l'on schématise beaucoup ce qu'explique Bergson, sont à
un degré plus ou moins élevé ou complexe (elles le sont de plus en plus
avec le temps) des créations de l'intelligence humaine aux prises avec
des questions existentielles.
J'aimerais par mes recherches futures contribuer à mieux mettre en
évidence ce que le terme de religion en son sens traditionnel, disons
antique, englobe de superstitions nécessaires. Il me semble en effet que
plus on peut préciser ce qu'étaient les religions pré-chrétiennes en
montrant à quel point ce ne sont pour l'essentiel que des
constructions de l'esprit, mieux on peut constater la radicale nouveauté
de ce qu'est historiquement le christianisme dans son essence.
Quelle est la part de quête personnelle dans toutes ces
considérations intellectuelles? Outre le désir en tant que chercheur
d'apporter de nouveaux arguments, historiques ou anthropologiques,
pour montrer à des non-chrétiens qu'on ne peut considérer le christianisme
comme une religion de plus, une religion parmi d'autres, il y a aussi
celui d'appréhender le mieux possible ces tendances naturelles de
l'esprit humain à échafauder des représentations empreintes de
superstitions.
Bergson montre en effet que ces superstitions sont encore
présentes, quoique enfouies profondément, dans nos esprits modernes, ce
qui permet d'ailleurs d'avoir une chance de comprendre les mentalités et
représentations des hommes de l'Antiquité, au moins partiellement. Il me
semble que dès lors que l'on a pu identifier en soi ce genre de tendances
superstitieuses, par l'étude des représentations primitives, on est plus à
même de s'en abstraire pour mieux comprendre le réel en général
(d'un point de vue philosophique) et la religion en particulier, de
la manière la plus pleine et profonde.
Je pense qu'ainsi il est plus aisé d'aborder le message de l'Évangile,
avec plus de liberté, sans fausse représentation intellectuelle qui ne
serait en fait qu'une superstition dont on pourrait s'affranchir.
Pour préciser et réunir ces deux approches, je voudrais ajouter que les
questions que je voudrais aborder dans mes recherches sont aussi le fruit de
discussions avec mon aumônier au lycée Henri IV, le Père Guillaume de
Menthière, au sujet de croyances comme la survivance de l'âme. L'Église n'est pas la
première à affirmer qu'il y a une vie après la mort, et qu'il faut
prier pour
les défunts: c'est une croyance très ancienne, primitive. Le Père de Menthière
répondait en résumé à ce sujet que la parenté d'idées venait de ce que des
vérités que dévoile le christianisme avaient pu être déjà intuitivement conçues
par les primitifs.
Tout en approuvant de manière générale sa réponse, il m'a semblé qu'il y
avait là matière à plus ample réflexion, par une étude approfondie qui permette
d'évaluer la portée de ce type de réponse, et de déterminer dans quelle mesure
le christianisme est venu révéler des réalités radicalement nouvelles. Je ne
prendrai qu'un exemple, trouvé dans un livre de Pierre Lévêque sur les
premières religions. Il cite les travaux de M. Eliade, qui montre que
les hommes primitifs ont eu idée leur propre résurrection en observant
chaque année la renaissance de la vie végétale: puisque les plantes renaissent suivant un cycle défini, alors
eux aussi logiquement doivent renaître. Par ailleurs, dans des sociétés qui se sédentarisent et où apparaissent des nécropoles, le culte rendu aux ancêtres de
la lignée a naturellement tendance à se développer.
Il y a donc là deux éléments parmi d'autres qui vont dans le sens du
développement de la croyance en une forme de résurrection. Mais qu'y
a-t-il là de commun avec la Résurrection du Christ et à celle qui nous est
promise? Est-ce une première forme d'intuition de la part des hommes du
Paléolithique et du Néolithique, ou cela n'a-t-il pas au contraire rien à
voir, si ce n'est dans l'emploi de termes équivalents? Voilà ce que
j'aimerai étudier et qui doit me permettre, je l'espère, de mieux
comprendre le message de l'Église.
C'est donc à une sorte de «Défense et illustration du christianisme»,
fondée sur des démonstrations historiques, que j'aimerais me consacrer,
afin de contribuer à montrer la nature profondément nouvelle du
christianisme dans l'histoire de l'humanité.
En même temps, il me semble que ces recherches peuvent avoir une
dimension personnelle en me permettant de me confronter à ce que je crois
et de savoir reconnaître dans mon esprit ce qui est plutôt de l'ordre de
la superstition et ce qui est uniquement de l'ordre de la religion, afin
de pouvoir mieux comprendre moi-même ce que cela m'apporte d'être
chrétien.
Il est vrai cependant que ce n'est pas là l'unique chemin que je
compte parcourir en temps que chrétien et que ma foi ne peut se
restreindre à ces recherches. En toute humilité, je pourrais citer ici
Saint Thomas d'Aquin qui meurt en disant que sa Somme Théologique
qu'il vient d'achever n'est rien. Il me semble que le plus important dans
nos vies de chercheurs ne sera pas forcément le sujet de nos recherches au
sens strict, mais la manière dont nous saurons les vivre, pour nous-mêmes
et avec les autres.
Article paru dans Sénevé
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