Le christianisme dans l'histoire des religions

Jérôme Moreau



«La vérité est que la religion,
étant coextensive à notre espèce,
doit tenir à notre structure.»
(Bergson)



Élève de première année, je n'ai encore commencé  aucune recherche. Je ne peux donc m'exprimer que sur des souhaits ou de vagues projets, et avec des idées qui pourront en définitive s'avérer erronées ou illusoires.
Un peu d'optimisme cependant: j'ai trouvé un domaine d'étude qui m'intéresse particulièrement, les religions de l'Antiquité, depuis leurs origines préhistoriques, et parmi elles surtout la religion grecque. C'est donc dans ce domaine que j'aimerais entamer des recherches.
Or, il me semble qu'il y a là, une possibilité pour moi de concilier recherches de type universitaire et quête personnelle de chrétien, quoique indirectement, comme je vais essayer de le montrer.



Pour commencer par le début, je dois mentionner que cet intérêt pour les religions de l'Antiquité me vient d'une part de la fascination qu'exerce sur moi la Grèce, pays et ruines, surtout les sanctuaires, d'autre part de la lecture des Deux sources de la morale et de la religion, ouvrage dans lequel Bergson décrit d'une manière qui m'a frappé ce que sont les tendances religieuses et superstitieuses de l'esprit humain à l'état «naturel», si l'on peut dire. Son analyse lui permet de distinguer d'un côté les religions qui se sont progressivement constituées autour de croyances et de superstitions naturellement crées par l'esprit humain et de l'autre le christianisme, les unes correspondant au modèle des religions dites statiques, le christianisme étant lui une religion dite dynamique.
Ce qui m'intéresse serait de poursuivre des recherches sur ces religions que l'on pourrait dire primitives, ce qui engloberait, pour ce qui est de l'Antiquité classique, jusqu'à la religion romaine, religions qui si l'on schématise beaucoup ce qu'explique Bergson, sont à un degré plus ou moins élevé ou complexe (elles le sont de plus en plus avec le temps) des créations de l'intelligence humaine aux prises avec des questions existentielles.
J'aimerais par mes recherches futures contribuer à mieux mettre en évidence ce que le terme de religion en son sens traditionnel, disons antique, englobe de superstitions nécessaires. Il me semble en effet que plus on peut préciser ce qu'étaient les religions pré-chrétiennes en montrant à quel point ce ne sont pour l'essentiel que des constructions de l'esprit, mieux on peut constater la radicale nouveauté de ce qu'est historiquement le christianisme dans son essence.



Quelle est la part de quête personnelle dans toutes ces considérations intellectuelles? Outre le désir en tant que chercheur d'apporter de nouveaux arguments, historiques ou anthropologiques, pour montrer à des non-chrétiens qu'on ne peut considérer le christianisme comme une religion de plus, une religion parmi d'autres, il y a aussi celui d'appréhender le mieux possible ces tendances naturelles de l'esprit humain à échafauder des représentations empreintes de superstitions.
Bergson montre en effet que ces superstitions sont encore présentes, quoique enfouies profondément, dans nos esprits modernes, ce qui permet d'ailleurs d'avoir une chance de comprendre les mentalités et représentations des hommes de l'Antiquité, au moins partiellement. Il me semble que dès lors que l'on a pu identifier en soi ce genre de tendances superstitieuses, par l'étude des représentations primitives, on est plus à même de s'en abstraire pour mieux comprendre le réel en général (d'un point de vue philosophique) et la religion en particulier, de la manière la plus pleine et profonde.
Je pense qu'ainsi il est plus aisé d'aborder le message de l'Évangile, avec plus de liberté, sans fausse représentation intellectuelle qui ne serait en fait qu'une superstition dont on pourrait s'affranchir.




Pour préciser et réunir ces deux approches, je voudrais ajouter que les questions que je voudrais aborder dans mes recherches sont aussi le fruit de discussions avec mon aumônier au lycée Henri IV, le Père Guillaume de Menthière, au sujet de croyances comme la survivance de l'âme. L'Église n'est pas la première à affirmer qu'il y a une vie après la mort, et qu'il faut prier pour les défunts: c'est une croyance très ancienne, primitive. Le Père de Menthière répondait en résumé à ce sujet que la parenté d'idées venait de ce que des vérités que dévoile le christianisme avaient pu être déjà intuitivement conçues par les primitifs.
Tout en approuvant de manière générale sa réponse, il m'a semblé qu'il y avait là matière à plus ample réflexion, par une étude approfondie qui permette d'évaluer la portée de ce type de réponse, et de déterminer dans quelle mesure le christianisme est venu révéler des réalités radicalement nouvelles. Je ne prendrai qu'un exemple, trouvé dans un livre de Pierre Lévêque sur les premières religions. Il cite les travaux de M. Eliade, qui montre que les hommes primitifs ont eu idée leur propre résurrection en observant chaque année la renaissance de la vie végétale: puisque les plantes renaissent suivant un cycle défini, alors eux aussi logiquement doivent renaître. Par ailleurs, dans des sociétés qui se sédentarisent et où apparaissent des nécropoles, le culte rendu aux ancêtres de la lignée a naturellement tendance à se développer.
Il y a donc là deux éléments parmi d'autres qui vont dans le sens du développement de la croyance en une forme de résurrection. Mais qu'y a-t-il là de commun avec la Résurrection du Christ et à celle qui nous est promise? Est-ce une première forme d'intuition de la part des hommes du Paléolithique et du Néolithique, ou cela n'a-t-il pas au contraire rien à voir, si ce n'est dans l'emploi de termes équivalents? Voilà ce que j'aimerai étudier et qui doit me permettre, je l'espère, de mieux comprendre le message de l'Église.



C'est donc à une sorte de «Défense et illustration du christianisme», fondée sur des démonstrations historiques, que j'aimerais me consacrer, afin de contribuer à montrer la nature profondément nouvelle du christianisme dans l'histoire de l'humanité.
En même temps, il me semble que ces recherches peuvent avoir une dimension personnelle en me permettant de me confronter à ce que je crois et de savoir reconnaître dans mon esprit ce qui est plutôt de l'ordre de la superstition et ce qui est uniquement de l'ordre de la religion, afin de pouvoir mieux comprendre moi-même ce que cela m'apporte d'être chrétien.
Il est vrai cependant que ce n'est pas là l'unique chemin que je compte parcourir en temps que chrétien et que ma foi ne peut se restreindre à ces recherches. En toute humilité, je pourrais citer ici Saint Thomas d'Aquin qui meurt en disant que sa Somme Théologique qu'il vient d'achever n'est rien. Il me semble que le plus important dans nos vies de chercheurs ne sera pas forcément le sujet de nos recherches au sens strict, mais la manière dont nous saurons les vivre, pour nous-mêmes et avec les autres.

J.M.

Article paru dans Sénevé


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