L'Église et la recherche scientifique

Interview de Mgr Elio Sgreccia



Le père Armogathe nous propose la traduction d'un entretien de Mgr Elio Sgreccia, vice-président de l'Académie pontificale pour la vie, le 15 février 2001 sur Radio Vatican. Il parle de la position de l'Église face à la bioéthique.

Mgr Sgreccia répond en substance aux objections récurrentes dans les media italiens («L'Église freine la recherche»): «Oui à la recherche, mais dans le respect de l'homme», sinon l'histoire récente nous a montré ce que peuvent faire les dérives de la science sans respect de l'homme. Il réfute la fausse opposition «foi-science» en citant Gaudium et Spes. Il rappelle aussi la position de l'Académie à propos des cellules staminales, dont la recherche justifie aux yeux d'hommes de sciences et de législateurs, le clonage (dit «thérapeutique»). Mais il aborde aussi la question des manipulations génétiques sur l'animal et le végétal.



Excellence, comment répondez-vous aux critiques dirigées contre l'Église à propos de sa position sur la recherche scientifique?



La pertinence du thème abordé ces jours-ci dans la presse, sur la signification et la valeur de la recherche biomédicale, de la part de quelques personnalités du monde scientifique d'une part, et la gravité des accusations dirigées contre la foi religieuse et contre l'Église catholique en particulier, prétendant qu'elle veuille mettre des obstacles à la recherche dans le domaine de la guérison des maladies, d'autre part, exigent un commentaire de l'Académie pontificale pour la Vie, dont la fin spécifique est justement «d'étudier, informer et former sur les principaux problèmes de bio-médecine et de droit, relatifs à la promotion et à la défense de la vie» (Evangelium vitae, 98).
La pensée officielle de l'Église catholique est bien connue: elle a manifesté de façon répétée qu'elle appréciait et encourageait la recherche scientifique, spécialement lorsqu'elle vise la prévention et la guérison des maladies et le soulagement de la souffrance humaine. Elle juge qu'une recherche de ce genre répond à la foi dans le Dieu créateur. Il suffit de rappeler, parmi de si nombreux textes officiels du Magistère, ce qu'affirme le Concile Vatican II: «La recherche méthodique dans tous les domaines du savoir, si elle est menée d'une manière vraiment scientifique, et si elle suit les normes de la morale, ne sera jamais réellement opposée à la foi: les réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans le même Dieu. Bien plus, celui qui s'efforce, avec persévérance et humilité, de pénétrer les secrets des choses, celui-là, même s'il n'en a pas conscience, est comme conduit par la main de Dieu.» (Gaudium et Spes, 36). Qui croit en Dieu et ne se contente pas des théories insoutenables relatives au «hasard et à la nécessité» (cf. J. Monod) --- qui expliqueraient l'origine de l'homme de façon matérialiste --- a une raison plus forte et plus valide pour encourager la recherche pour le bien de l'homme: le commandement même de Dieu qui a voulu appeler l'homme à coopérer avec Lui dans l'oeuvre de la création (cf. Gn 1, 28; 2, 15). Pour ce qui est de la reconnaissance de l'utilité de la recherche dans le domaine biomédical, on affirme aussi, dans le même document que «les progrès des sciences biologiques, psychologiques et sociales ne permettent pas seulement à l'homme de mieux se connaître, mais lui fournissent aussi le moyen d'exercer une influence directe sur la vie des sociétés par l'emploi de techniques appropriées» (GS, 5).
Le Saint-Père Jean-Paul II, dans son récent discours adressé aux participants au Congrès International sur les transplantations, a exprimé ses clairs encouragements à la recherche biomédicale (cf. L'Osservatore Romano, 30 août 2000).



Mais concrètement, l'Église collabore à la recherche biomédicale actuelle?



Le témoignage des faits inhérents au respect et à la promotion de la recherche biomédicale est confirmé par l'histoire des découvertes dans le domaine biomédical, à commencer par celui qui a donné le feu vert à l'étude des gènes à l'époque moderne, le moine Grégoire Mendel, et [ce témoignage] est éloquent dans l'actualité: dans les Instituts de recherche, dans les Facultés médicales et dans les hôpitaux dépendant de l'Autorité ecclésiastique on cultive la recherche scientifique avec un engagement reconnu et des résultats efficaces, même avec la pauvreté des moyens, et l'on considère que ce fait est essentiellement lié à la prévention et à la guérison des maladies. Il y a quelques semaines seulement, à Rome, on a inauguré l'Institut Mendel, mis à neuf et développé, avec la participation et les encouragements du Saint-Siège, en souvenir du Professeur Luigi Gedda, fondateur de l'Institut et membre de notre Académie. La collaboration avec les instituts publics et avec les personnalités (de toute culture philosophique) opérant dans le domaine scientifique ne s'est jamais interrompue; l'estime et le jugement favorable de l'Église envers les personnalités scientifiques, est attestée aussi par la coopération de nombreuses personnalités scientifiques de fois différentes et de non-croyants dans des Institutions académiques de l'Église, comme l'Académie pontificale des Sciences.



Mais l'Église pose des limites à la recherche: lesquelles?



Il est évident que la science expérimentale, comme toute activité humaine, doit être orientée vers le bien de l'homme et vers le respect de tout homme individuellement, que ce soit pour ce qui est des fins poursuivies ou pour ce qui concerne les moyens employés, et qu'elle doit toujours respecter l'homme, tout sujet humain impliqué dans les expériences, spécialement dans les phases plus fragiles de la vie et lorsque le sujet soumis à l'expérimentation ne peut y donner son contentement. Une recherche scientifique qui prétendrait se passer de l'examen rigoureux de caractère éthique sur ses objectifs, ses méthodes et sur les conséquences, ne serait pas digne de l'homme, et s'exposerait au risque d'être employée contre les personnes les plus faibles et sans défense. Un tel usage dégradé de la science a écrit des pages sombres de l'histoire récente et une telle recherche ne peut être appelée à renaître, parce qu'elle ne serait pas seulement dirigée contre Dieu, mais aussi contre l'homme et contre la civilisation.



Les critiques qui ont été faites ces jours-ci concernaient aussi la recherche sur les cellules souches. Quelle est la position de l'Académie pontificale pour la Vie à ce sujet?



À ce sujet, il faut rappeler que dans le document que l'Académie a consacré à l'emploi des cellules souches (Déclaration sur la production et l'usage scientifique et thérapeutique des cellules souches des embryons humains, du 25 août), on a encouragé la recherche sur les cellules souches prélevées sur un organisme adulte ou, à la naissance, sur le cordon ombilical, comme sur des foetus involontairement avortés, en conformité avec des hypothèses déjà confirmées par des recherches accréditées au niveau international. Le voeu d'arriver par cette voie à porter remède à des maladies graves a été répété, encouragé et mis en oeuvre dans les instituts de recherche d'inspiration catholique. Le fait que cette Académie ait exprimé un jugement négatif du point de vue éthique pour l'utilisation destructrice des embryons dans le but d'une recherche sur les cellules souches et la mise en oeuvre de formes de clonage humain, improprement appelé «thérapeutique», a été justifié du point de vue d'une éthique rationnelle et pas par une instance de la seule foi religieuse. Nous retenons qu'en fait l'embryon humain est un être humain, un individu humain auquel est dû le même respect qu'à n'importe quel homme, sans aucune discrimination. Nous sommes certains en cela d'être respectueux du donné scientifique relatif à l'identité et au statut de l'embryon humain, argument auquel cette Académie a réfléchi depuis longtemps, en publiant des études appréciées universellement.
En outre, notre position est également en accord avec d'autres institutions comme le Parlement européen. Une science qui voudrait se servir de l'expérimentation qui supprime les embryons ou les foetus humains, ou voudrait en créer uniquement pour l'expérimentation, se disqualifierait et serait entachée «d'inhumanité». L'expérimentation biomédicale sélective et discriminatoire ne peut pas se justifier, pas même face à des avantages hypothétiques, qui d'ailleurs peuvent être atteints par d'autres méthodologies.



Les critiques se référaient aussi aux positions de résistance face à l'emploi des biotechnologies animales et végétales.



Quant à l'emploi des biotechnologies animales et végétales sur lequel notre Académie a publié un rapport apprécié pour son équilibre aussi au niveau international, on a simplement mis en évidence des précautions relatives à la mise en évidence préalable des risques pour la santé, spécialement pour ce qui concerne la culture des graines et des végétaux intervenant dans la préparation des aliments dérivés justement de ce qu'on appelle les «organismes transgéniques» et l'on a répété l'obligation d'informer les citoyens et aussi de protéger l'équité dans le domaine économique, spécialement vis-à-vis des pays en voie de développement. L'engagement dans la réflexion de l'Académie pontificale, comme d'autres organismes de l'Église, est motivé par l'intention d'apporter une contribution intellectuellement honnête et loyale aux chercheurs et aussi une information aux populations et au public du monde, en offrant et en demandant le respect pour l'effort accompli et pour les valeurs proposées. Nous avons confiance dans le jugement juste et serein de qui voudra prêter attention à notre contribution désintéressée, qui est réclamé de différents horizons et de plus en plus fréquemment dans les matières touchant l'homme d'aujourd'hui et les générations futures.


Article paru dans Sénevé


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