Talapost

Discussion par mail entre talas



Le thème de ce Sénevé a déjà donné lieu à quelques discussions au début de l'été dernier dans la liste de diffusion Talapost1. Avec l'accord de leurs auteurs, nous reproduisons ici les messages envoyés. De par leur caractère de mails, ces textes constituent plus une discussion spontanée que des articles travaillés.


Les questions d'Anne

Pour ceux qui ont reçu les mails de préparation du Sénevé et lu son article, il n'y aura pas grande surprise...



Une question existentielle:
Quel sens donnez-vous à vos études, à la recherche, à faire une thèse, un DEA,... ? Pour qui/quoi travaillez-vous ?



Parce que c'est une façon comme une autre de gagner sa vie, et celle qui vous convient le mieux, et alors selon vous ça sert à quoi, la recherche, à occuper les gens? à servir l'humanité? (À qui servira la merveilleuse thèse sur les chevaliers-paysans de l'an mil ou les super-cordes?)
Pour les foules innombrables qui liront votre thèse passionnante et en seront émerveillés? Pour l'honneur de l'esprit humain? Et qu'est-ce que recouvre pour vous cette belle formule?
Pour vous-même parce que les chevaliers-paysans, ça vous passionne? n'est-ce pas un peu égoïste? (Je fais pas le coup de la misère dans le monde, je sais bien que tout le monde ne peut pas s'élancer dans l'humanitaire, mais bon... Rien que pour rester plus proche de ce que nous on est capable de faire, il y aurait bien besoin de profs qui tiennent la route dans les lycées français...)
Parce que la curiosité c'est quelque chose d'intrinsèquement humain, et que c'est d'une certaine façon la tâche principale de l'homme que de faire oeuvre d'intelligence, fût-ce pour imaginer, décrire, étudier des trucs que personne d'autre ne lira?



Évidemment, les biologistes et certains physiciens pas trop théoriciens voient sans doute beaucoup mieux à quoi servira ce qu'ils font; et ceux qui font des super-cordes peuvent toujours rêver qu'un jour ça servira réellement à améliorer la vie de plein de gens, et les matheux peuvent dire que ce qu'ils font sert à ceux qui font des super-cordes, et donc... Mais c'est quand même assez rhétorique ou en tout cas bien loin de nous comme justifications, non? Et pour les chevaliers-paysans, ça devient carrément plus difficile à expliquer...



Et dans tout ça, quelle place a la vie spirituelle? Complètement séparé, genre schizophrène? Ou bien avez-vous vraiment l'impression de répondre à votre vocation en étudiant les chevaliers-paysans pour l'honneur de l'esprit humain, la gloire de Dieu et le salut du monde?


Louis, physicien

Je vais essayer de donner quelques idées sur la question, ne serait-ce que parce que je me sens visé --- allez savoir pourquoi...
Je préviens immédiatement le lecteur biologiste ou helléniste que je vais surtout parler de physique théorique, pour la bonne et simple raison que c'est ce que je connais le mieux.



À mon avis la théorie des supercordes ne servira matériellement jamais à rien. De ce point de vue, se lancer dans ce type de recherche ne sert, dans un sens utilitaire du terme, en aucune façon l'humanité. (Mais une surprise est toujours possible.)
Le but est plutôt de découvrir la beauté de l'univers (visible...). Il s'agit en quelque sorte, à travers la beauté qu'il a répandue dans la Création, de percevoir un peu de celle du Créateur. Je pense donc que la physique théorique est très fortement contemplative. Au lieu de voir frère Soleil ou soeur pluie, le physicien tente de percer les secrets de frère électron ou de soeur gravitation quantique.
Il y a ce même aspect dans un certain nombre de disciplines scientifiques, avec en plus une part plus ou moins grande d'application pratique. C'est alors une application presque directe de l'ordre donné par Dieu à l'homme dans la Genèse: «(Emplissez) la Terre et soumettez-la.»
Pour les lettres ou l'histoire, le chercheur étudie cette partie singulière de la Création qu'est l'humanité, notamment à travers ses productions intellectuelles. (Certains prétendent qu'un texte grec ou latin est même plus beau qu'une supercorde, mais c'est sans doute faute d'avoir vu une de ces dernières de près. [Ceci n'est d'ailleurs pas un reproche...])



En physique théorique et en mathématiques, on invente des objets formels dont on étudie ensuite les merveilleuses propriétés. Au fond, c'est de l'art. À cette différence près que l'art est généralement accessible à d'autres personnes que les artistes, alors que même au prix d'efforts intenses, on ne pourra jamais faire admirer vraiment la beauté des théories de supercordes à plus que les quelques poignées de physiciens qui les étudient. Ce n'est donc même pas un art qui «sert» à l'humanité. (Il faut tout de même nuancer ce propos: le public peut connaître une partie plus ou moins grande des découvertes scientifiques.) C'est presque totalement gratuit.
Et il ne faut pas oublier l'honneur de l'esprit humain: Dieu a donné à l'homme de pouvoir découvrir l'ordre et l'harmonie de la nature et de faire surgir de la beauté dans des oeuvres d'arts (le lecteur patient aura noté que les mathématiques en font partie).



Pour résumer et tenter de répondre à la question initiale: pourquoi se lancer dans la recherche en physique théorique (ou en lettres, ou en beaucoup d'autres domaines)? Parce que c'est beau et que le beau mène à Dieu.


Marie-Alice, littérature anglaise

Pour qui on travaille, that is the question...




Et si la gloire de Dieu
le salut de l'humanité
la bonne marche de l'Éducation nationale
le bonheur de ceux qui aiment à me voir réussir
mes goûts et ma curiosité



c'était après tout la même chose, le désir profond qui fait l'unité de mon être, la vie de ma vie, mon bonheur qui rejaillit sur les autres?
Alors bon travail et bonne humeur!


Marie, mathématicienne

Bon je m'y mets a mon tour, en rappelant que je suis en 1\iere année de thèse et que je m'apprête à passer les corps des Ponts et des Télécoms.
La réponse de Louis est très belle, orientée vers la recherche (d'ailleurs la question d'Anne aussi), je vais élargir un tout petit peu si vous le voulez bien (sinon vous avez le droit de ne pas lire).
A quoi sert une thèse? C'est facile: à rien! A quoi sert un PDG? Idem. Dans le sens où nous sommes les serviteurs inutiles, et où il est très certain que sans nous la terre ne s'arrêterait pas de tourner. St Thomas d'Aquin, à ce qu'il paraît, après avoir écrit sa Somme théologique, a dit «tout ça c'est du vent» ou à peu près, et pouf! il est mort. Se rappeler cela aide à faire un choix sereinement et humblement, et surtout à reconnaître la valeur des appels différents du sien, leur variété infinie. Notre travail ne prend pleinement son sens que dans celui des autres, dans la communion des Saints.
Évidemment, l'inutilité n'est vraie que d'un certain point de vue puisque Dieu a voulu avoir besoin de nous. Ce que je veux dire, c'est que le sens de notre travail ne nous appartient pas, pas plus que le sens de notre vie.
L'affaire n'est pas le métier choisi ou le sens qu'on lui donne, mais de répondre par exemple à ces questions:



Renaud, mathématicien

Bon, en ce qui me concerne, j'ai perdu la foi (en la recherche, hein? Pas la Foi quand même). Alors, je me sens obligé de rebondir sur ce qui a été écrit.
Certes j'apprécie cette explication admettant le beau inutile (l'Art) comme finalité, puisque le Beau mène à Dieu. Mais je pense que «l'inutilité» est un qualificatif peut-être un peu dur pour juger la recherche. Je dois être moins sensible à sa beauté maintenant.
Je suis au contraire convaincu de l'utilité de la recherche pour le développement de l'Homme. Mon postulat de base est qu'éduquer l'Homme, c'est servir aussi le dessein de Dieu. Ça doit certainement se discuter. Je n'ai pas d'arguments définitifs sous la main, mais une conviction personnelle qui semble partagée par Louis.
Mais revenons au sujet: l'utilité de la recherche. Comme je suis un scientifique aussi, je séparerais sciences, que je pratique, et matières littéraires que je me contente d'observer.


En ce qui concerne les sciences, je suis persuadé que même les sciences fondamentales peuvent trouver, parfois très indirectement, des applications. En ce qui concerne les mathématiques, il est impossible de trouver des résultats très appliqués sans avoir développé parallèlement des résultats dits «fondamentaux». Soit qu'ils en découlent plus ou moins directement, soit qu'ils aient suscité des idées dans la communauté scientifique. Il n'est pas rare en math qu'on trouve «par hasard» des applications grâce à des résultats complètement inutiles datant de 60 ans. Je ne me précipiterais donc pas à la place de Louis pour dire que les super-cordes ne s'appliqueront jamais. Peut-être pas telles quelles, bien sûr, mais il n'est pas impossible que les gens qui étudieront des travaux sur le sujet en déduisent des choses dont on pourra finalement déduire des idées applicables.
Que nous permettent alors ces innovations techniques? En premier lieu, la technologie nous change la vie, mais le confort n'est peut-être pas une raison philosophique suffisante. En revanche, ce confort et cette capacité technique donnent naturellement un accès plus développé à l'éducation, soit en développant les moyens d'accès (télévision, internet, etc.), soit simplement en augmentant le temps libre, tout simplement.
En ce qui concerne les lettres (au sens large), l'utilité technique, voire culturelle n'est pas directe. Mais bien que ne connaissant pas ce domaine de près, je me permettrais de croire que la recherche en lettres est au bénéfice de la réflexion, donc de l'édification de son créateur et de ses lecteurs. Ceux-ci sont peut-être peu nombreux, mais n'en sont pas moins généralement dans les sphères universitaires. On peut donc imaginer que ça puisse rejaillir sur les élèves des susdits lecteurs de manière bénéfique.
Toute cette diatribe pour dire que si la recherche peut ne pas présenter un intérêt économique ou social évident, elle participe à l'éducation des hommes, soit par effervescence dans les arcanes de l'université, soit dans le développement technique et technologique. En ce sens-là, elle a un intérêt certain pour tous ceux qui veulent l'édification de l'homme. Et donc entre autres pour les chrétiens.
Après, on aime ou on n'aime pas en faire, mais ça reste de l'ordre du goût personnel.



Xavier, historien des dogmes

Bon, un vieux littéraire se lance.
Je suis amusé de ce débat qui me rappelle les mêmes questions que nous nous étions posés, mais entre littéraires, quand nous avons commencé. J'ai eu par exemple de longues conversations avec Cécile (Poisson-)Hussherr, lorsque nous étions en maîtrise.



La première chose que je veux dire, c'est que je suis d'accord à peu près avec tout ce qu'ont dit les précédents contributeurs à ce dialogue. Cela signifie une première chose: on ne peut pas répondre de façon générale à la question: la science est-elle utile? Cela dépendra de chaque domaine scientifique (il est indéniable que bon nombre de domaines scientifiques sont utiles, au sens où ils sont applicables, en soi, et on appelle alors cela «technologie»), de chaque scientifique lui-même ayant des motivations subjectives diverses de se lancer dans un domaine scientifique ayant par ailleurs spécifiquement tel ou tel degré d'utilité; enfin cela dépend de chaque époque, de chaque culture, et plus précisément, de la représentation (Weltanschauung) que chaque groupe humain se forge de sa propre activité (ses propres activités) à l'intérieur de l'environnement-monde (Umwelt).
Déjà deux mots allemands, certains auront deviné que la solution que, personnellement, j'avais trouvée, et que je suis prêt à recycler pour le présent dialogue, je l'ai trouvée en lisant Husserl. J'avais été horriblement déçu par un petit ouvrage de Max Weber, et puis on m'a fait lire une conf de Husserl qui s'appelle La crise de l'humanité européenne et la philo. Et ça m'a beaucoup intéressé.



Premier point: ce que je vais dire s'applique à un certain domaine de la science; ensuite, en conclusion, j'essaierai de parler de la science en général, c'est-à-dire de l'activité humaine en général ($=$ quelque soit son objet) dans laquelle l'homme connaît. Ce domaine de la science (une science), c'est ce que les allemands appellent les «Sciences de l'esprit» (en français on dit Sciences humaines). Husserl les caractérise comme ce qui est propre à l'Europe, et plus précisément elles datent de la Grèce (berceau de l'Europe). Dans ces sciences qui n'étudient pas la Nature, et donc qui ne sont pas un préalable à une attitude technique envers le monde, bref en ces sciences dans lesquelles (c'est le côté radicalisme chez Husserl) il ne s'agit pas d'employer le concept d'application ou d'utilité, quelque chose d'absolument particulier se fait jour. Husserl écrit «en lui (l'homme européen, c'est-à-dire le philosophe) d'abord, s'élargit une humanité particulière (l'humanité européenne, appelée à faire fermenter toute l'humanité, à tout européaniser), qui, vivant dans la finitude, projette néanmoins sa vie vers le pôle de l'infinité». En tant que sciences de l'infinité, elles sont inapplicables, du fait que leur objet, leur contenu (la science au sens, non plus de la recherche, mais de ce qu'on a trouvé, d'un système de connaissances) est une idée à l'horizon: l'homme est en effet le sujet d'infinies variations, et on ne pourra donc jamais vraiment énoncer des lois, c'est-à-dire des prévisions, sur la politique, l'histoire, la linguistique, l'art, etc. Il n'y aura jamais ni un système complet de connaissances sur l'homme, ni une technologie qui utilisera ce système de connaissances pour influer sur les facteurs humains, bref une anthropotechnologie ou une psychotechnologie. Mais cette infinité (indéfinité) qui semblerait disqualifier ces sciences (inutiles puisqu'elles ne parviendront jamais à ce qu'elles cherchent) est justement ce qui les justifie.
En gros, ces sciences là, en tant qu'elles ne sont pas sciences d'un contenu de connaissance, sont sciences d'une attitude. Elles sont sciences de l'esprit non seulement au sens où leur objet est l'esprit humain, à l'infini de ses possibilités, mais sciences dont le sujet est l'esprit humain s'ouvrant à sa propre infinité. L'esprit humain se saisit réflexivement comme un possible c'est-à-dire avant tout comme une LIBERTÉ et une RAISON: liberté du possible par rapport au nécessaire (comme lorsque l'on dit que la réalité dépasse la fiction, l'histoire étonne l'historien par son imprévisible, parce que tout est possible, parce qu'il y a de la liberté dans le monde), et raison comme ce qui justifie l'existence de ce qui existe (en disant que cette existence est possible: et la raison en trouve alors les conditions).
Les Sciences humaines, de ce point de vue, surgissent de l'humanité elle-même, de ce qui fait que nous sommes des hommes même: comme activité qui auto-proclame à l'homme une humanité qui «ne veut et ne peut vivre que dans la libre formation de son existence, de sa vie historique, par les idées de la raison, par des tâches infinies». Les Sciences de l'Esprit sont donc la composante centrale d'une idée (moderne) de l'humanité (de ce qu'est l'humain) que l'humanité (les hommes) veut se donner à elle-même. Elles ont une fonction en quelque sorte représentatrice, et cette représentation n'est pas la propriété seule du scientifique lui-même (je suis donc contre la théorie qui consiste à dire que la science ne sert qu'à ceux qui en sont les acteurs, par exemple dans ce qu'écrit Renaud), mais appartient à chacun, à chaque membre de la culture, comme fondement à la liberté et la rationalité comme valeurs proposées par l'humanité moderne à elle-même.



Bon c'est un peu charabia philophilo. Concrètement, et même si tout de même on pourra toujours trouver des applications à quelque recherche que ce soit, on pourra dire par exemple que ce que je fais en histoire des dogmes, pourrait avoir une application en théologie, et qu'une fois en théologie, on pourra passer à la spiritualité, et que la spiritualité, c'est de la psychotechnologie...
Malgré cela, dis-je, je vous invite à caractériser les sciences humaines dans ce qui fait leur spécificité comme des sciences inapplicables par essence ---\, mais je pense bien que mes frères scientifiques (non littéraires, on dirait physiciens, pour faire général) auront peut-être été d'accord avec certains aspects applicables (!!) aussi au domaine de la science de la nature. Les sciences humaines, pour les caractériser par rapport à leur auteur (le chercheur) sont une attitude, et pour les caractériser par rapport à leur production, non une technologie mais une représentation. Vous voyez que je dépasse ici l'extrapolation que l'on pourrait donner à la thèse de Louis en lettres, qui consisterait à dire que la recherche en sciences humaines, c'est beau parce qu'on y contemple l'esprit humain ---\, ainsi j'aurais la chance folle de passer mes journées à contempler l'esprit d'Athanase d'Alexandrie injurier ses adversaires théologiques et je m'émerveillerais de voir que l'humanité n'a pas changé, ou que oh comme il était intelligent, ou que oh ça me parle à mon vécu d'homme parce l'un comme l'autre dans nos circonstances propres nous sommes des hommes semblables... C'est vrai mais ça n'est pas complet! Et il ne s'agit pas non plus de donner une histoire à l'homme, de le réconcilier avec ses racines, de lui faire connaître ses origines etc. (enfin pas seulement). Il y a derrière tout cela quelque chose de supérieur, au sens où il s'agit de la culture, et donc du groupe social auquel j'appartiens. C'est ce groupe social qui accepte et même paie des gens en son sens pour être des scientifiques, c'est-à-dire pour occuper l'attitude scientifique de la rationalité et de l'infinité d'un projet idéal. Je ne serais pas loin de dire que l'humanité dans les scientifiques se donne la caution de son humanité...



Voilà pour la justification de la science de l'esprit dans son espèce. Ensuite, comme je l'ai dit au début, chacun des acteurs de cette science pourra bien avoir une motivation différente. Pour mon cas particulier, dans mon domaine de recherche, la patristique, je suis acteur de ce qu'on appelle l'histoire des dogmes, qui est elle-même un secteur de l'histoire des religions, elle-même un secteur de l'histoire de l'humanité. Cette histoire des dogmes est pour moi une façon de faire de la théologie, c'est-à-dire contempler Dieu. Vous voyez qu'en prononçant le nom de Dieu, j'offre forcément une réponse subjective, une réponse de croyant, et je ne saurais exclure de la science les non croyants, ou prétendre que leurs motivations sont impures ou qu'ils ne sont pas des vrais scientifiques...
Je m'explique: dans l'histoire des dogmes, j'étudie comment l'esprit humain tente de saisir le mystère de la divinité, j'étudie les réponses de la raison à la question de Dieu, et j'examine les limites de ces réponses, leurs successions, leurs dialogues et réfutations. D'une certaine manière (mais ne le dites pas à mon directeur de thèse) j'étudie aussi le travail de l'Esprit Saint dans l'Église, qui la conduit vers une appréhension la plus correcte possible de Dieu, grâce à la révélation faite en Jésus. C'est ma manière à moi de faire de la théologie (au lieu d'essayer de construire moi-même ma réponse à la révélation, ce qui est la théologie elle-même, je passe par les réponses des autres), or la théologie c'est la contemplation de Dieu. De ce point de vue, la théologie, à côté de la prière ou des actes de la charité, est une des manières de contempler Dieu: dans la théologie, c'est ma raison qui contemple Dieu, dans la prière, c'est mon coeur, dans les actes de la charité, c'est ma volonté et ma vie...



Maintenant, tout ce que je viens d'écrire a-t-il une répercussion sur la science en général, en tant qu'activité de connaître? Oui, au sens où l'objet de la science par-delà toute application est la Vérité elle-même, c'est-à-dire, par-delà l'existence, est l'idée. La science en tant que connaissance a pour objet ultime la Vérité la plus générale qui soit, et cette généralité absolue est la définition de l'idée en tant que ce qui est défini par une infinité de variations possibles et les contient toutes sans exception. Le projet de la Science est eidétique, dirait Husserl, non technique. Et toute réalisation technique, est le résultat de la transformation de la Science en technologie, c'est-à-dire de l'idée en acte, du possible infini en cas réel-existant. La Science en tant qu'attitude générale de l'esprit et que somme de tous les domaines de connaissance est elle-même un objet à l'infini, une idée. Nous les chrétiens, nous croyons que cette idée n'est pas seulement une idée (c'est-à-dire qu'elle n'est pas dotée d'un être seulement possible, mais qu'elle a un être réel, qu'elle existe), mais que cette idée est aussi un réel: la Vérité, c'est-à-dire l'idée ultime de la connaissance, l'objet que trouverait à l'horizon la Science de toutes les sciences, c'est Dieu. L'objet de la Connaissance est Dieu à l'infini de son projet. Et la Science est elle-même le développement de la vision de Dieu par lui-même (là je suis en train de Saint-Thomasiser...)
Tout cela peut paraître trop subtil et donc trop futile. Parfois, moi-même, en lisant St Bernard qui dit que la cognitio n'est que secondaire devant la dilectio, la connaissance devant la jouissance de l'amour de Dieu, je suis pris de doute. Mais c'est certainement une fausse impression: c'est que cette justification ultime si subtile n'est que le fondement sur lequel échafauder nous-mêmes en toute confiance nos propres motivations. Et ces motivations peuvent changer tout au long de notre vie...


Article paru dans Sénevé


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