En recherche

Thomas Deneux



Chercheur en maths? Chercheur de sens? Chercheur de Dieu?
J'aime beaucoup le thème de ce Sénevé parce qu'il fait réfléchir à tout cela, il interroge notre relation entre notre activité publique a priori dans la recherche (académique) et nos sentiments plus personnels, nos certitudes et nos doutes, notre recherche de foi.
Je regroupe dans cet article ce qui aurait pu faire l'objet de 2 articles distincts:
D'abord une réflexion sur la recherche, en maths, ce qui m'y attire personnellement, comment j'y trouve déjà une certaine forme de «rencontre avec Dieu». J'aurais aimé le faire plus à la lumière de lectures comme l'Encyclique Foi et raison ou de biographies et pensées de grands scientifiques qui étaient profondément croyants (je ne sais pas: Copernic, Pascal, Pasteur, Einstein... il y en a tellement), mais ma culture étant ce qu'elle est, je partirai surtout de mon expérience personnelle!
Ensuite je vais parler de mon expérience de volontariat à New York, une grande coupure avec notre vie parisienne, mais qui justement s'inscrit dans une recherche, plus large, de Dieu.


Des Mathématiques

En fait je vais parler autant des sciences et même de la recherche en général que des mathématiques, mais ça m'amusait de donner comme titre à cette partie le titre de ce séminaire où, honte sur moi, je ne suis allé qu'une fois dans ma vie1 (et encore parce que c'était soi-disant intéressant pour l'agreg). Ça me fait un peu drôle de parler comme je vais le faire des maths et des sciences, veuillez me pardonner mes balbutiements.


L'attrait des sciences

Tout le monde dit que les enfants n'arrêtent pas de poser des questions («Pourquoi le ciel il est bleu?»...); et bien évidemment c'était pareil pour moi. J'aimais beaucoup les livres sur l'astronomie, le cycle de l'eau, les couleurs...
Les cristaux. Où qu'on aille en vacances je ramassais des cailloux (j'ai toujours ma collection d'ailleurs). Les formes géométriques des cristaux de quartz ou de calcites ---\, les plus communs en France\, --- sont fascinantes. D'ailleurs maintenant je me retrouve dans mon petit frère qui ramasse un coquillage, un marron...
Ce qui est génial ce n'est pas seulement la beauté, c'est quand il y a un mécanisme: expliquer les dégradés de couleur au coucher de soleil, démonter un réveil (ou plus grand, une moto!), découvrir qu'on peut décrire le mouvement des planètes avec une équation...
J'aimais bien sûr aussi tout ce qui est casse-tête chinois, labyrinthe, «jeux mathématiques» (par exemple, vous ne savez toujours pas combien j'ai de frères et soeurs? Et si je vous dis «j'ai 2 fois plus de soeurs que de frères, alors que mes soeurs ont autant de frères que de soe urs»?).



Alors maintenant, qu'est-ce que j'aime, qu'est-ce que je cherche dans les maths?
Eh bien un peu la même chose; et puis l'état de recherche en lui-même, comprendre de nouvelles notions, décortiquer ce qui se passe dans une certaine situation, la beauté d'un résultat.


Et alors?

Où est-ce que je veux en venir? Dieu dans les sciences. Pourtant on a l'habitude de penser le scientifique comme purement rationnel, et donc matérialiste et athée.
Pourtant... À une conférence du séminaire Science et Foi il y a 2 ans j'ai été touché par ce que disait le prêtre X, que l'athéisme scientifique ne l'alarmait pas tellement parce qu'il trouvait dans le milieu scientifique même une certaine forme de foi. Ça m'a étonné mais à y penser de plus près, je suis finalement assez d'accord.



Il y a d'abord cette «foi» dans la raison; que le monde est régi par des principes rationnels (et donc n'est pas un chaos vide de sens), et que la recherche scientifique se rapproche, d'approximation en approximation, de la vérité.
Et cette vérité est également beauté; la beauté de la nature (la beauté de l'agencement des atomes, la beauté du corps humain et de son fonctionnement, la beauté des étoiles...). Et la nature n'est-elle pas la création de Dieu? Admirer la création, c'est aussi ---\, même si on ne Le reconnaît pas\, --- admirer le Créateur. Même, penser Dieu comme le principe créateur de toute chose et de toute beauté, penser Dieu comme étant la Vérité, étant le Beau, ça peut aider à dépasser une vision un peu sclérosée de la religion des prières et des églises.



Le cas particulier des mathématiques, et de leur beauté particulière, est toujours assez déroutant. Dieu est mathématicien, mais Dieu a-t-il créé l'univers mathématique?
Mathématiciens, on s'émerveille souvent des résultats qu'on découvre, comment on arrive à décrire des objets des plus inimaginables, à identifier des structures, des relations... Mais qu'un Dieu y soit pour quelque chose semble un non-sens; les résultats mathématiques sont juste le fruit de définitions et de déductions purement logiques! D'ailleurs, c'est peut-être souvent parce qu'on ne comprend pas très bien ce qui se passe qu'on se met à philosopher, alors qu'une démonstration bien comprise peut démystifier un résultat extraordinaire.
Cela demande plus de réflexion évidemment. Il y a toujours quelque chose qui nous dépasse. En tout cas, Dieu a créé l'esprit humain, qui est capable d'étudier ces choses et de les trouver belles. Et cette beauté doit être un reflet de Sa Beauté.



Il y a aussi dans le «comportement» du scientifique une certaine attitude morale.
La recherche requiert certaines qualités: honnêteté intellectuelle, humilité, patience et persévérance...
Il y a aussi la notion de «s'accomplir» dans la recherche. On choisit de faire de la recherche au-delà de préoccupations financières, et même en général du plaisir intellectuel égoïste.
D'ailleurs, même si on cherche des années sans rien trouver de vraiment intéressant, ou si on fait des avancées dans des domaines complètement abstraits et apparemment inutiles, on se convainc que ce n'est pas du temps perdu, que son travail est un petit rien qui participe à faire avancer l'humanité dans le domaine de la connaissance.
J'ai toujours été embêté aussi par la nécessité de me spécialiser: quel est le sens d'une recherche dans un domaine hyper pointu si pour se donner à ça il faut abandonner le projet de vouloir comprendre tant d'autres choses intéressantes? Et bien une philosophie assez répandue est que quel que soit l'objet de notre travail, on peut atteindre son «accomplissement» personnel. Qu'entendre par là? On a donné de soi à la science, on a fait l'expérience d'une recherche longue, rencontré des échecs, tenu le coup, découvert des choses, trouvé du bonheur?



Je voudrais consacrer un paragraphe aussi au mystère de l'intuition.
Si la pensée occidentale commune est que le travail de recherche et l'intelligence humaine aboutissent à de nouveaux résultats, on m'a parlé de Russes qui au contraire voient la main de Dieu dans les différentes grandes découvertes, Dieu révélant petit à petit la vérité scientifique à l'humanité. Notre foi en tout cas est d'être persuadés que rien n'arrive sur Terre sans que Dieu ne le permette, que Dieu a toute puissance sur tout et donc est présent dans le monde des découvertes (au passage, ça me fait penser que Dieu a permis les découvertes scientifiques qui aboutissent à la bombe atomique ou aux manipulations d'embryons et autres; cela doit vouloir dire que l'humanité doit être capable d'en faire bon usage).
J'avais lu un article très intéressant écrit par Henri Poincaré2, qui essaye de décortiquer le processus de sa propre intuition: il explique à l'aide d'un exemple personnel comment l'intuition est une lumière, une compréhension qui arrive brusquement, mais qui est cependant le fruit d'un long travail de «cogitation» sur le problème en question; le travail conscient déclencherait donc un travail inconscient qui aboutirait à l'illumination.
Je ne veux pas interpréter ça en disant que en récompense de son long travail, Dieu a soufflé la réponse à Poincarre. Mais en tout cas le mathématicien reconnaît qu'il ne maîtrise pas tout à fait le processus de «découverte»; il y a une idée comme: «je fais mon possible et je fais confiance à la nature ($=$ mon inconscient) pour produire le nécessaire.»


(Recherche) $\Rightarrow$ (Dieu)?

Que conclure de ces remarques? Tout de même pas qu'on cherche Dieu dans la recherche scientifique!
Plutôt que la recherche scientifique a des vertus par la démarche qu'a le chercheur, et que le chercheur dans son travail contemple la Création, découvre au moins une «face» de Dieu. Et le chercheur croyant admire Dieu et lui rend gloire dans son travail.
Est-ce que maintenant des personnes qui consacrent leur vie à la science, de la manière la plus honorable qui soit, mais sans être croyants, accomplissent leur vocation?
Je pense quand même que Dieu désire que tous les hommes Le connaissent. Et donc ceux qui se contentent de la beauté qu'ils découvrent dans les sciences (comme d'autres dans l'art, la nature...), éventuellement ont une vision «divinisée» de la raison ou de la nature, seraient des gens qui s'arrêtent en chemin? C'est facile à écrire, mais je n'oserais jamais tenir de tels propos à quiconque!



La recherche peut même être un danger quand elle devient une passion dont l'esprit ne peut plus se détacher.
Ou quand le scientifique joue à «l'apprenti sorcier» sans se soucier de problèmes éthiques. La science risque plutôt de détourner l'homme de Dieu, quand il commence à maîtriser la nature par lui-même. La religion devient de la superstition; l'aspect surnaturel surtout fait rire le scientifique.
Je baigne moi-même dans cette pensée. J'ai du mal à croire vraiment aux miracles, ceux de la Bible comme ceux d'aujourd'hui (et pourtant j'en ai entendu parler de miracles: la vierge apparaît tous les jours à Medjugorje, Mère Teresa a guéri une handicapée, Mère Teresa a ressuscité un enfant!). A priori c'est réconfortant de voir que Dieu continue à accomplir des signes, mais c'est tellement incroyable...



Je reviens donc à moi, pour faire transition avec la seconde partie.
Effectivement j'aime toujours les maths, l'excitation de la recherche, la beauté mystérieuse des théorèmes qu'on met du temps à digérer; l'informatique aussi, qui permet d'être à son tour créateur.
Mais... je ne suis pas sûr de vouloir ne faire que ça de ma vie. D'ailleurs c'est pour voir autre chose que j'ai pris mon année sabbatique.


Gift of love

Donc voilà: d'octobre à début janvier, j'ai passé trois mois à New York, dans la maison «Gift of Love» des soeurs Missionaires de la Charité (la communauté fondée par Mère Teresa), où elles logent une dizaine d'hommes qui ont le sida. Je racontais déjà dans le Sénevé La Vie Éternelle ce que j'y faisais en tant que volontaire, comment mon travail était surtout des tâches quotidiennes et une présence dans la maison.
En décidant de faire cela j'avais en tête de chercher Dieu dans quelque chose de plus radical, de découvrir une certaine forme d'abandon, et l'importance des pauvres, qui sont la préoccupation principale de Mère Teresa. J'avais été interrogé cet été à Rome par cette phrase de St Laurent: «les pauvres sont la richesse de l'Église» (en fait l'histoire était que je ne sais plus quelle autorité le sommait de lui remettre les richesses de son Église et il avait apporté ses pauvres; mais je pense que plus qu'une boutade c'est une vérité importante). Je vais essayer de donner mes impressions à ce sujet, mais ça reste toujours un mystère.


Les pauvres

Pour vivre l'Évangile concrètement, il faut réaliser que Dieu est dans chacune des personnes qui nous entoure, et Jésus nous demande de toutes les aimer, amis comme ennemis ou comme ceux qu'on ne connait pas. Je pense que les pauvres sont si chers a beaucoup de saints parce qu'ils ont particulièrement besoin de notre aide, alors que souvent ils sont plutôt ignorés.



Mère Teresa par exemple a décidé de leur consacrer sa vie.
Mais ce qu'elle fait n'est pas une action humanitaire. Elle donne d'abord de l'amour, rend leur dignité à ceux qui souffrent, qui meurent, qui sont rejetés.
Tout le monde ne comprend pas cela. On m'a raconté comment certaines personnes auraient voulu qu'elle s'associe aux gouvernements pour mener une action d'envergure, ou même lui reprochaient de «gâter les pauvres» (je comprends: donner comme elle fait aux pauvres n'arrange rien à la pauvreté et même l'aggraverait).
Ce à quoi elle répond: «Moi je nourris les pauvres. Comprendre pourquoi ils sont pauvres, c'est votre problème».



Et elle répète: «Peu importe l'efficacité de ce qu'on fait. L'important c'est l'amour qu'on y met.» Et si on y met tout notre amour, notre travail ne sera jamais inefficace parce que Dieu le voit et y répondra par de la grâce.
Parmi les propos de Mère Teresa que j'ai eu l'occasion d'entendre et qui m'ont marqué, il y a encore ceux-là (ce ne sont pas vraiment des citations mais des reprises de tête):
«Commence avec ce que tu peux faire: si il y a 100 pauvres à ta porte, commence par en soigner un, et peut-être que tu arriveras alors à t'occuper de 5, peut-être de 20... et peut-être que tu finiras par pouvoir donner aux 100.»
«Mieux vaut brûler en ce monde que dans le suivant.»


Mon service à New York

J'ai donc plus ou moins vécu cela à New York; mais ce n'était pas si évident.
Parce que je vivais au quotidien, aidant sans vraiment trop penser à «Jésus présent dans ces pauvres».
Parce que les pauvres en questions n'étaient pas de simples gens qui n'ont rien. Leur pauvreté physique n'est pas si évidente (la plupart d'entre eux reçoit un RMI de 500\$ et leurs frais médicaux sont pris en charge à cause de leur maladie; et grâce aux nouveaux médicaments ils ne semblent pas forcément si malades ---\, même s'ils sont toujours faibles et à la merci d'une aggravation soudaine de leur état de santé). Et ils sont loin d'être innocents (drogue, prison, homosexualité...). On peut trouver qu'ils sont sacrément privilégiés de recevoir nourriture et logement gratuits!



Mais ils ne fallait pas me fier à mes propres réflexions mais plutôt faire confiance humblement à ce que font les soeurs. Elles ont donné leur vie à Dieu, dans la prière et dans ce qu'elles font là auprès de ces malades.
D'ailleurs comme elles le disent elles soignent finalement plus une pauvreté spirituelle que physique ici.



De toute façon je ne suis même pas censé tout comprendre de leur manière de faire. Je suis juste venu là pour les aider, faire ce qu'elles me demandent ---\, et surtout pas critiquer ou proposer de changer certaines choses (en fait j'ai eu un petit conflit avec une des soeurs parce que je trouvais qu'elle était trop dure avec certains, et bien je n'avais pas à juger).
C'est un apprentissage d'humilité.
Il me fallait reconnaître aussi que je n'étais pas indispensable; que quand il n'y a pas de volontaire permanent, eh bien elles font sans.
Mais en même temps si le «serviteur inutile» que je suis fais les choses avec amour, ça portera des fruits.


Conclusion

J'ai vécu quelque chose de différent et riche, mais ma foi, ma compréhension de «Jésus dans mon prochain et dans les pauvres», restent assez obscures. Ceci dit je garde en mémoire cette expérience, et les exemples de sainteté que j'ai rencontrés, et ça me donne confiance que c'est en persévérant dans la prière et le service que je ferai de plus en plus connaissance avec Dieu.
Actuellement je continue de voyager, faisant la découverte d'une Amérique protestante plus croyante que je ne l'imaginais. J'ai un peu de mal à réaliser que l'année prochaine je retomberai dans le quotidien normalien...

T.D.

Article paru dans Sénevé


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