Chercheur en maths? Chercheur de sens? Chercheur de Dieu?
J'aime beaucoup le thème de ce Sénevé parce qu'il fait réfléchir à tout
cela, il interroge notre relation entre notre activité publique a priori
dans la recherche (académique) et nos sentiments plus personnels, nos
certitudes et nos doutes, notre recherche de foi.
Je regroupe dans cet article ce qui aurait pu faire l'objet de 2 articles
distincts:
D'abord une réflexion sur la recherche, en maths, ce qui m'y attire
personnellement, comment j'y trouve déjà une certaine forme de «rencontre
avec Dieu». J'aurais aimé le faire plus à la lumière de lectures comme
l'Encyclique Foi et raison ou de biographies et pensées de grands
scientifiques qui étaient profondément croyants (je ne sais pas: Copernic,
Pascal, Pasteur, Einstein... il y en a tellement), mais ma culture étant ce
qu'elle est, je partirai surtout de mon expérience personnelle!
Ensuite je vais parler de mon expérience de volontariat à New York, une
grande coupure avec notre vie parisienne, mais qui justement s'inscrit dans
une recherche, plus large, de Dieu.
Alors maintenant, qu'est-ce que j'aime, qu'est-ce que je cherche dans les
maths?
Eh bien un peu la même chose; et puis l'état de recherche en lui-même,
comprendre de nouvelles notions, décortiquer ce qui se passe dans une
certaine situation, la beauté d'un résultat.
Il y a d'abord cette «foi» dans la raison; que le monde est régi par des
principes rationnels (et donc n'est pas un chaos vide de sens), et que la
recherche scientifique se rapproche, d'approximation en approximation, de la
vérité.
Et cette vérité est également beauté; la beauté de la nature (la beauté de
l'agencement des atomes, la beauté du corps humain et de son fonctionnement,
la beauté des étoiles...). Et la nature n'est-elle pas la création de Dieu?
Admirer la création, c'est aussi ---\, même si on ne Le reconnaît
pas\, --- admirer
le Créateur. Même, penser Dieu comme le principe créateur de toute chose et
de toute beauté, penser Dieu comme étant la Vérité, étant le Beau, ça peut
aider à dépasser une vision un peu sclérosée de la religion des prières et
des églises.
Le cas particulier des mathématiques, et de leur beauté particulière, est
toujours assez déroutant. Dieu est mathématicien, mais Dieu a-t-il créé
l'univers mathématique?
Mathématiciens, on s'émerveille souvent des résultats qu'on découvre,
comment on arrive à décrire des objets des plus inimaginables, à identifier
des structures, des relations... Mais qu'un Dieu y soit pour quelque chose
semble un non-sens; les résultats mathématiques sont juste le fruit de
définitions et de déductions purement logiques! D'ailleurs, c'est peut-être
souvent parce qu'on ne comprend pas très bien ce qui se passe qu'on se met à
philosopher, alors qu'une démonstration bien comprise peut démystifier un
résultat extraordinaire.
Cela demande plus de réflexion évidemment. Il y a toujours quelque chose qui
nous dépasse. En tout cas, Dieu a créé l'esprit humain, qui est capable
d'étudier ces choses et de les trouver belles. Et cette beauté doit être un
reflet de Sa Beauté.
Il y a aussi dans le «comportement» du scientifique une certaine attitude
morale.
La recherche requiert certaines qualités: honnêteté intellectuelle,
humilité, patience et persévérance...
Il y a aussi la notion de «s'accomplir» dans la recherche. On choisit de
faire de la recherche au-delà de préoccupations financières, et même en
général du plaisir intellectuel égoïste.
D'ailleurs, même si on cherche des années sans rien trouver de vraiment
intéressant, ou si on fait des avancées dans des domaines complètement
abstraits et apparemment inutiles, on se convainc que ce n'est pas du temps
perdu, que son travail est un petit rien qui participe à faire avancer
l'humanité dans le domaine de la connaissance.
J'ai toujours été embêté aussi par la nécessité de me spécialiser: quel
est le sens d'une recherche dans un domaine hyper pointu si pour se donner à
ça il faut abandonner le projet de vouloir comprendre tant d'autres choses
intéressantes? Et bien une philosophie assez répandue est que quel que soit
l'objet de notre travail, on peut atteindre son «accomplissement» personnel.
Qu'entendre par là? On a donné de soi à la science, on a fait l'expérience
d'une recherche longue, rencontré des échecs, tenu le coup, découvert des
choses, trouvé du bonheur?
Je voudrais consacrer un paragraphe aussi au mystère de l'intuition.
Si la pensée occidentale commune est que le travail de recherche et
l'intelligence humaine aboutissent à de nouveaux résultats, on m'a parlé de
Russes qui au contraire voient la main de Dieu dans les différentes grandes
découvertes, Dieu révélant petit à petit la vérité scientifique à
l'humanité. Notre foi en tout cas est d'être persuadés que rien n'arrive sur
Terre sans que Dieu ne le permette, que Dieu a toute puissance sur tout et
donc est présent dans le monde des découvertes (au passage, ça me fait
penser que Dieu a permis les découvertes scientifiques qui aboutissent à la
bombe atomique ou aux manipulations d'embryons et autres; cela doit vouloir
dire que l'humanité doit être capable d'en faire bon usage).
J'avais lu un article très intéressant écrit par Henri
Poincaré2, qui essaye de décortiquer le processus de sa
propre intuition: il explique à l'aide d'un exemple personnel comment
l'intuition est une lumière, une compréhension qui arrive brusquement,
mais qui est cependant le fruit d'un long travail de «cogitation» sur le
problème en question; le travail conscient déclencherait donc un travail
inconscient qui aboutirait à l'illumination.
Je ne veux pas interpréter ça en disant que en récompense de son long
travail, Dieu a soufflé la réponse à Poincarre. Mais en tout cas le
mathématicien reconnaît qu'il ne maîtrise pas tout à fait le processus
de «découverte»; il y a une idée comme: «je fais mon possible et je fais
confiance à la nature ($=$ mon inconscient) pour produire le nécessaire.»
La recherche peut même être un danger quand elle devient une passion dont
l'esprit ne peut plus se détacher.
Ou quand le scientifique joue à «l'apprenti sorcier» sans se soucier de
problèmes éthiques.
La science risque plutôt de détourner l'homme de Dieu, quand il commence à
maîtriser la nature par lui-même. La religion devient de la superstition;
l'aspect surnaturel surtout fait rire le scientifique.
Je baigne moi-même dans cette pensée. J'ai du mal à croire vraiment aux
miracles, ceux de la Bible comme ceux d'aujourd'hui (et pourtant j'en ai
entendu parler de miracles: la vierge apparaît tous les jours à Medjugorje,
Mère Teresa a guéri une handicapée, Mère Teresa a ressuscité un enfant!).
A
priori c'est réconfortant de voir que Dieu continue à accomplir des
signes,
mais c'est tellement incroyable...
Je reviens donc à moi, pour faire transition avec la seconde partie.
Effectivement j'aime toujours les maths, l'excitation de la recherche, la
beauté mystérieuse des théorèmes qu'on met du temps à digérer;
l'informatique aussi, qui permet d'être à son tour créateur.
Mais... je ne suis pas sûr de vouloir ne faire que ça de ma vie. D'ailleurs
c'est pour voir autre chose que j'ai pris mon année sabbatique.
Mère Teresa par exemple a décidé de leur consacrer sa vie.
Mais ce qu'elle fait n'est pas une action humanitaire. Elle donne d'abord de
l'amour, rend leur dignité à ceux qui souffrent, qui meurent, qui sont
rejetés.
Tout le monde ne comprend pas cela. On m'a raconté comment certaines
personnes auraient voulu qu'elle s'associe aux gouvernements pour mener une
action d'envergure, ou même lui reprochaient de «gâter les pauvres» (je
comprends: donner comme elle fait aux pauvres n'arrange rien à la pauvreté
et même l'aggraverait).
Ce à quoi elle répond: «Moi je nourris les pauvres. Comprendre pourquoi ils
sont pauvres, c'est votre problème».
Et elle répète: «Peu importe l'efficacité de ce qu'on fait. L'important
c'est l'amour qu'on y met.» Et si on y met tout notre amour, notre travail
ne sera jamais inefficace parce que Dieu le voit et y répondra par de la
grâce.
Parmi les propos de Mère Teresa que j'ai eu l'occasion d'entendre et qui
m'ont marqué, il y a encore ceux-là (ce ne sont pas vraiment des citations
mais des reprises de tête):
«Commence avec ce que tu peux faire: si il y a 100 pauvres à ta porte,
commence par en soigner un, et peut-être que tu arriveras alors à t'occuper
de 5, peut-être de 20... et peut-être que tu finiras par pouvoir donner aux
100.»
«Mieux vaut brûler en ce monde que dans le suivant.»
Mais ils ne fallait pas me fier à mes propres réflexions mais plutôt faire
confiance humblement à ce que font les soeurs. Elles ont donné leur vie à
Dieu, dans la prière et dans ce qu'elles font là auprès de ces malades.
D'ailleurs comme elles le disent elles soignent finalement plus une pauvreté
spirituelle que physique ici.
De toute façon je ne suis même pas censé tout comprendre de leur manière de
faire. Je suis juste venu là pour les aider, faire ce qu'elles me demandent
---\, et surtout pas critiquer ou proposer de changer certaines choses (en fait
j'ai eu un petit conflit avec une des soeurs parce que je trouvais qu'elle
était trop dure avec certains, et bien je n'avais pas à juger).
C'est un apprentissage d'humilité.
Il me fallait reconnaître aussi que je n'étais pas indispensable; que quand
il n'y a pas de volontaire permanent, eh bien elles font sans.
Mais en même temps si le «serviteur inutile» que je suis fais les choses
avec amour, ça portera des fruits.
Article paru dans Sénevé
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