La nouvelle donne de l'Église catholique en France

Jean-Robert Armogathe



Tenu à Chartres au printemps 1995, un salon d'articles religieux a brisé quelques idées fausses : la religion en France se porte bien, on vend quantité de cierges dans les églises et sanctuaires, on fabrique des rosaires et des calices, l'industrie du vêtement liturgique connaît un renouveau. Bien sur, les critiques sont faciles : les statues en plâtre de sainte Thérèse de Lisieux et du saint curé d'Ars se vendent mieux que des créations contemporaines. Et les jeunes prêtres semblent plus attirés par des modes rétro que ce qui avait été prophétisé par les revues et les officines spécialisées. Alors, qu'en est-il vraiment de lÉglise catholique en France ? Entre la déroute des effectifs et la bonne tenue des comptes, que faut-il penser ? Et, surtout, que faut-il faire ?
Un bilan global de l'Église catholique n'est pas seulement celui des statistiques. A partir des données numériques, il faut une réflexion sur les conditions d'exercice de la mission qui constitue cet ensemble social en dépositaire de lÉvangile. Donnons quelques chiffres, pour nous en tenir à la France :



1980 1990
prêtres 38 000 30 000
ordinations 110 126
diacres 100 1000 environ
catéchumènes adultes 4000 8000



On constate une forte baisse du nombre de prêtres, que ne compense pas une timide remontée des ordinations. Le nombre croissant de diacres permanents et celui des catéchumènes adultes indiquent bien cependant qu'un nouveau visage de l'Église de France se met en place. Il faut aussi constater la diversification de la pratique et comparer le nombre de prêtres à celui des pratiquants. La France, en l'espèce, n'est pas la plus mal lotie d'Europe.
Je ne dispose pas des chiffres français pour l'assistance à la messe, mais j'ai les données britanniques : le déclin est constant, rapide, décisif. En 2010, dans quinze ans, si le mouvement continue au même rythme, 60 % des fidèles auront disparu, autrement dit : sur dix personnes assistant aujourd'hui à la messe en Angleterre, il n'en restera que quatre dans quinze ans et, au même rythme, il ne restera plus personne en 2028.
Où se situent les responsabilités ? On peut accuser les malheurs des temps, le matérialisme et l'hédonisme ambiants, la mort des idéologies, l'insouciance pour les valeurs, la recherche d'un plaisir facile et immédiat. Cela ne permet pas de rendre compte de tout, d'autant moins qu'il y a d'autres données qui montrent une réelle demande du religieux : succès de grands rassemblements, ventes élevées pour le Catéchisme universel, les encycliques, l'entretien du Pape avec Vittorio Messori, mais aussi l'accroissement des sectes, la fortune des horoscopes et des tireuses de cartes, l'effondrement intellectuel du marxisme enfin, qui se donnait pour la seule idéologie scientifique de notre temps. Toutes les causes extérieures ne suffisent pas à épuiser la responsabilité des responsables : ceux qui furent à la tête de l'Église en France, évêques et supérieurs religieux. Tout a commencé avec le modernisme, une complicité mal entendue d'abord, une répression aveugle ensuite, et une permanente mauvaise conscience pour en finir. Cela a continué avec la condamnation de l'Action française, et un épiscopat docile, tout prêt à entrer comme un seul homme (ou presque) dans lidéologie de la Révolution nationale et la collaboration avec l'occupant allemand. Les Carnets de Mgr Baudrillart sont accablants à cet égard. Après la Guerre, les mesures maladroites se sont succédées, en catéchèse, en liturgie et en art sacré, pour les oeuvres de jeunesse et les mouvements. Une lecture attentive de l'histoire religieuse de la France est accablante. L'état contemporain de l'Église catholique en France pâtit des erreurs commises par ses dirigeants depuis quatre-vingts ans. À la différence du Parti communiste de l'Union Soviétique, il ne semble pas qu'une autocritique soit envisagée. On se contente, comme en Union soviétique aussi, d'ailleurs, d'essayer de récrire les histoires officielles. On essaie aussi, et cela mériterait un examen attentif de la part des historiens, de faire porter à Rome l'odieux de mesures souvent sollicitées, voire anticipées, par les autorités religieuses, évêques et supérieurs locaux. La recherche des responsabilités n'est pas simple d'historien. Pour proposer des remèdes, il est bon de connaître les causes. Il est bon aussi de rappeler que dans la vague de défection des clercs, les motifs intellectuels ont été importants. L'Église de France a perdu, dès les années cinquante, des clercs de grande valeur, qui ont parfois connu de brillantes carrières dans la recherche ou l'université et dont les inquiétudes et les exigences intellectuelles n'avaient rencontré chez leurs supérieurs quincompréhension, ironie ou mépris. Il ne fait pas bon d'être un intellectuel catholique en France, surtout si l'on est clerc.
Nous savons aussi que cette description d'ensemble, qui est en gros catastrophique, reflète mal les situations réelles, dans trois domaines : la situation économique, la formation des militants, les nouvelles propositions de vie consacrée.
L'Église catholique possède un extraordinaire potentiel. Forte du rassemblement dominical, qui lui permet, dans sa structure hiérarchique, d'atteindre chaque semaine des millions de militants, elle peut s'enorgueillir d'avoir le plus grand nombre de bénévoles du pays, des bénévoles souvent formés pendant de longues années, ainsi qu'un quadrillage diocésain (et de maisons religieuses) qui, s'il n'est plus aussi dense quaprès la seconde Guerre mondiale, reste impressionnant. Quel mouvement, quel parti peut afficher des dizaines de milliers d'instructeurs bénévoles, les catéchistes ? Ses mouvements de jeunesse, considérablement affaiblis, restent les premiers de France, avec un effort intensif du bénévolat d'encadrement. Le nombre des permanents (prê tres, religieux, religieuses), nous dit-on, est en baisse : aucune autre organisation ne peut cependant aligner autant de personnes, avec un investissement de formation de plusieurs années, qui acceptent un salaire très dévalué par rapport au niveau de formation et au type de responsabilité exercée et dont le célibat propose une disponibilité accrue pour le service, pour son organisation autant que pour son contenu. Les chiffres diocésains doivent être attentivement rétablis dans le contexte des religieux et religieuses, de plus en plus actifs dans l'évangélisation.
Ce réseau s'appuie sur un financement globalement mal connu : en particulier, il n'y a pas de bilan consolidé pour les ordres religieux, auxquels il faudrait ajouter une prélature personnelle et des fraternités diocésaines, souvent très importantes (dans les ``nouveaux mouvements''). N'oublions pas, en particulier pour les ``nouveaux mouvements'' ou ``nouvelles communautés'', la force des bénévoles, qui suppléent au travail de salariés et constituent un important apport de ``bénévolat compensé `` qui doit entrer en ligne de compte dans un budget.
Les ressources du ``denier du culte'', qui ne concernent que les associations diocésaines, ne couvrent pas les besoins et d'autres ressources beaucoup plus importantes interviennent dans les dons des fidèles à des organisations inter- ou extra diocésaines, de type caritatif, ayant souvent de nombreux salariés, ou dans les revenus propres d'associations proches des diocèses. Le parc immobilier de l'Église catholique, enfin, est important, souvent constitué par des dons ou legs postérieurs à 1905 et ayant donné lieu à des opérations de promotion qui ne furent pas toutes des échecs. Le jeu des associations ``protégées'' auquel l'inapplicable régime de Séparation a contraint l'imagination catholique à se livrer, rend ici encore difficile et hasardeuse l'estimation du patrimoine immobilier des paroisses, des diocèses, des congrégations. On peut sans trop de risques penser que l'Église catholique est le premier propriétaire immobilier de France (faut-il rappeler qu'elle est certainement aussi le premier prestataire d'hôtellerie ?). Rappelons qu'en France, le domaine de l'État reste limité et que la majeure partie des biens ``collectifs'' appartiennent en effet aux collectivités locales : des milliers d'entre elles (les communes) ont à leur charge le clos et le couvert des bâtiments de culte, les églises paroissiales antérieures à 1905, et louent à faible prix aux Associations diocésaines l'usage des presbytères, ce qui accroît d'autant l'emprise immobilière indirecte de l'Église catholique.
L'Église dispose donc en France de moyens financiers et immobiliers importants. Elle les tire le plus souvent d'associations dont les bilans n'apparaissent pas dans les comptes diocésains ni dans ceux des congrégations. Que ces moyens soient mal répartis, mal utilisés, mal gérés n'est pas toujours prouvé . Premier prestataire privé de la santé, premier agent d'enseignement, un des plus grands propriétaires immobiliers du pays, elle est le premier groupe de presse écrite. Les titres catholiques nationaux (un quotidien, cinq hebdomadaires, treize mensuels et neuf journaux pour la jeunesse) diffusent ensemble 2,5 millions d'exemplaires, tandis que les vingt-neuf hebdomadaires régionaux tirent à plus de 450 000 exemplaires. La Fédération nationale de la presse locale chrétienne, qui procure un fonds commun aux journaux paroissiaux, affiche un tirage total de 2 millions et demi et assure que 18 % des français lisent ses produits. Messages, le périodique du Secours catholique, est distribue à 1,1 million d'exemplaires. Il a lieu d'être surpris, devant la puissance de la plus médiatisée des institutions françaises, de l'écart entre le message et sa réception. Peut-être y a-t-il des parasites sur la ligne ? Ce que les médias communiquent, c'est une culture vivante, que l'Église catholique, en France, semble être devenue incapable de produire. Rien ne sert de contrôler des moyens d'expression lorsqu'on ne sait plus très bien quoi exprimer. La netteté de la confession de foi, la solidité des convictions sont les conditions préalables pour maîtriser les moyens de communication. Rien ne sert de ``pouvoir dire'' si l'on n'a rien à dire.
Ensuite, le domaine des militants. Jamais l'Église catholique n'a dispose d'autant de militants, aussi nombreux, à un aussi haut niveau de formation. Enfin, lécroulement des vocations diocésaines et du recrutement de certains ordres masque le dynamisme et le développement de réalités nouvelles ou de statut canonique particulier : la prélature personnelle de l'Opus Dei, dont l'importance en France ne cesse de croî tre, les instituts séculiers, les fraternités de droit diocésain.
Il convient de dire cela pour ne pas se tromper sur les causes, et donc sur les remèdes. Mais cela étant dit, qu'est-ce que l'on peut proposer à l'Église de France ? Si nouvelle évangélisation il y a, en quoi peut-elle consister ?
Les conflits autour de la liturgie ont été stériles, parce qu'une mauvaise foi totale et une incompréhension réciproque habitaient leurs protagonistes. On opposait une liturgie figée, arrêtée au début des années cinquante, à des inventions dépourvues de goût et de sens théologique. En premier lieu, de manière urgente, il faut créer des liturgies attirantes, adaptées à la demande urgente et générale : qualité musicale et esthétique, sobriété d'expression, netteté de la prédication. Il faut en finir avec les pièces musicales médiocres, et accepter une grande diversité artistique. Les grandes paroisses urbaines peuvent avoir des messes d'expression différente : messe grégorienne, messe en rythme, messe de musique classique ou baroque. Il ne faut pas vouloir à tout prix faire chanter des cantiques à l'assemblée, mais il faut l'encourager à chanter les réponses dialoguées. Il y a un temps pour chanter, un temps pour écouter chanter ou pour écouter l'orgue ou d'autres instruments. Il faut aussi que l'homélie soit un endroit où les auditeurs apprennent des choses intéressantes, qui ne soient ni les états d'âme du prédicateur ni des commentaires de l'actualité. Les fidèles trouvent mieux ailleurs, à domicile, à la radio ou à la télé ; ils n'ont pas besoin de se déplacer un dimanche matin pour entendre cela. Enfin, quel que soit le style musical retenu, la messe doit être l'expression du sacré rendu visible. L'expression doit donc ê tre hiératique. Le célébrant n'a pas à dire ``bonjour'' comme les caissières d'un supermarché, et je n'ai pas envie qu'il me souhaite un bon dimanche. Autrement important pour moi est dê tre accueilli au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et d'être invité à passer ma journée ``dans la paix du Christ''. C'est de cela que je rends grâce à Dieu. De la qualité du geste liturgique dépend la qualité de la prière. Et la qualité de la préparation spirituelle du célébrant entraî ne celle de son expression et de sa manière de célébrer.
En second lieu, il est nécessaire de permettre aux catholiques de vivre leur foi là où ils sont, dans la condition de vie, de travail, de famille qui est la leur. C'est le fondement de l'enseignement du bienheureux Escriva de Balaguer, et c'est ce qui attire tant de personne vers la spiritualité de son Oeuvre, l'Opus Dei. Ce qui signifie d'abord qu'il faut prendre au sérieux la différence catholique, à commencer, paradoxalement, par son universalité. Être catholique est une qualité. Un oecuménisme généreux, mais maladroit, un sens profond, mais incomplet, de la tolérance et un respect d'autrui mal entendu ont pousse les catholiques, du moins là où ils sont majoritaires, à affirmer une certaine équivalence des religions, à commencer par les Églises chrétiennes. Il ne s'agit pas de sous-évaluer l'importance spirituelle de lunité du Credo, signifiée dans l'unique baptême trinitaire. Il ne fait pas non plus ignorer la puissance de la prière et du jeûne, comme ils furent proposés à Assise dans la Journée mondiale des religions. Il s'agit de valeurs essentielles face à la montée des matérialismes. Mais le catholicisme a son identité, liée à l'histoire de l'Église, comme histoire de la Vérité. Portant le poids, les ombres et parfois la honte de ce passé, l'Église catholique en a accepté l'héritage : elle a donc le droit d'en revendiquer les gloires et les lumières. Sa relation au judaïsme est complexe et riche. Mais de même que saint Paul mettait en garde les Galates contre les judaïsants qui se glissaient parmi eux, de même faut-il être attentif aujourd'hui à ne pas confondre la priorité d'aînesse avec un vérité intrinsèque et achevée.
Cette exigence d'une structure catholique doit être en premier lieu marquée dans l'éducation. C'est dans sa famille, dans son milieu de vie que l'enfant apprendra à être catholique. Le rôle de l'école est bien entendu essentiel. Alors qu'il semble que l'enseignement catholique se soit résigné à s'aligner sur les programmes et la formation des maîtres que l'État laïc lui impose, il faut assurer la qualité de la formation proposée dans les catéchismes (en préparation aux sacrements, et aussi dans les aumôneries), avec des horaires conséquents. Les activités de loisirs propos ées par des mouvements de jeunes, les activités de formation catholique mises en place dans des cercles paroissiaux ou des centres culturels religieux doivent tenir compte de cette spécificité catholique du savoir. Pour faire bref, disons qu'il n'est pas indifférent de rappeler qu'Ampère, Mendel, Branly, Duhem furent de grands savants et des croyants irréprochables, dans un âge où la science semblait avoir marqué la fin de toute religion. À l'âge des apprentissages, il faut que l'enfant et l'adolescent reçoivent une colonne vertébrale structurée par les valeurs catholiques, dans la connaissance de la pensée catholique, de son histoire, de la liturgie et une relation personnelle au Christ vivant et ressuscité tel qu'Il s'offre à nous dans la prière.
Ces deux points, disons-le, se révèleront inaccessibles sans un troisième : redonner toute sa dignité au sacerdoce. Certaines congrégations attirent à la vie religieuse de nombreux jeunes gens. L'accent y est mis sur la différence et la séparation : priorités spirituelles, austérité de vie, exigences communautaires, disponibilité de service et d'obéissance, port d'un costume. Qu'il s'agisse d'anciens ordres contemplatifs dont la discipline et la fidélité de fondation a résisté aux tempêtes ou de nouvelles congrégations, c'est cette intransigeance et cette séparation du ``monde'' qui, globalement, attirent les postulants. Le recrutement du clergé diocésain souffre d'avoir effacé ces différences. Il ne s'agit pas ici de soutane ni de tonsure. Il s'agit, de la perte actuelle didentité des ``simples prêtres'' à qui fait défaut l'exercice des tria munera Christi, des trois fonctions du Christ : prêtre, prophète et roi., celui qui célèbre, celui qui enseigne et celui qui gouverne.
Les deux textes conciliaires de 1965, Optatam totius et Presbyterorum Ordinis n'ont pas levé toutes les ambiguïtés. Textes bâclés et mal rédigés dans leur ultime rédaction, avec quelques contradictions internes . En particulier, le Concile s'est révélé incapable de donner une juste articulation des fonctions presbytérales et des fonctions sacerdotales . L'alinéa bêta 28 de Lumen Gentium (1964) est à cet égard exemplaire : après avoir traité pendant trois paragraphes de l'exercice épiscopal des tria munera, on en vient à parler des prêtres... pour leur attribuer la même mission ! A force de répéter, d'un côté comme de l'autre, que les prêtres n'ont pas de ministère fonctionnel, on en est venu à oublier qu'ils pouvaient avoir, quand même, des choses à faire. Fungi sacerdotio : la notion de functio n'est pas réductible à la seule fonction ; il s'agit plutôt de l'exercice des munera, des charges. Les prêtres sont ordonnés, mais pour quoi faire ? L'Église a refusé les ``ordinations absolues'' d'évêques : pas de fonction sans charisme, mais pas de charisme sans fonction. Cela vaut-il pour le prêtre ``du second rang'' ? Ces fonctions fondamentales sont apparemment remplies par d'autres, avec compétence, dévouement et souvent même succès. Que reste-t-il à faire au prêtre ? Peut-être faut-il trouver des fonctions neuves, ou du moins des modalités nouvelles qui actualisent leur urgence. Devant les changements rapides de nos sociétés, il convient de modifier les profils de travail, de réajuster les postes. Des ruptures de société n'ont pas été suivies d'une redéfinition des fonctions ou ministères des prêtres. Des essais se sont soldés par des échecs douloureux (les prê tres ouvriers...) ; il convient de redéfinir radicalement les raisons d'exercer ces fonctions comme ministère ordonné. Nous avons remarqué ailleurs l'importance des déplacements récents à cet égard, nous résumerons ici une étude précédente . L'absence de prise de parole de laïcs est à cet égard exemplaire : dans les grands affrontements de société des années cinquante, Mauriac, Cesbron, Marrou, Vignaux prenaient la parole, et on n'entendait guère les cardinaux-archevêques. La prise de parole de catholiques avait un double avantage : une compétence réelle, d'une part, et une expression distincte de la hiérarchie sacramentelle de l'autre. Le processus réducteur auquel nous assistons a trouvé la complicité de l'Église institutionnelle : par une collaboration contre-nature avec le jeu des médias, l'institution a confisqué la parole publique des laïcs. Les médias s'adressent, pour prendre la parole, aux ``chefs''. Ce sont des clercs qui viennent parler, comme autant d'apparatchiks, au nom des catholiques : par l'éphémère gloire des écrans scintillants, ils se trouvent assimilés, l'espace d'une soirée, aux ministres de l'État et distillent leur opinion sur des sujets de société auxquels leur formation ne les a guère préparés et où l'assistance du Saint Esprit n'est pas donnée pour garantie. Les médias nous proposent aujourd'hui un cardinal ou un autre évê que, et parfois le porte- parole de la conférence, qui est censé parler au nom de l'Église catholique en France, ainsi ramenée aux dimensions des commissions de la conférence nationale, ce qui constitue une curieuse diminutio capitis théologique. Le clergé ``de base'' et les fidèles n'ont plus la parole, ce qui crée un malaise réel. On a retiré le gouvernement au clergé, pour le confier à des laïcs, tandis que le pape et les évêques ont repris un monopole d'enseignement, les fonctions de célébration, enfin, souvent limitées, ont perdu de leur qualité et de leur mystère.
Il est bien légitime que la condition de sous-popes célibataires et miséreux n'attire guère des jeunes gens soucieux d'exigences sinon plus sévères, du moins mieux mises en évidence. Je ne nie pas ce que la vie d'un prêtre diocésain a de pénible, ni la générosité de ceux qui s'y emploient. Je constate seulement que l'image qui est perçue n'a guère lieu d'attirer des jeunes gens épris de lÉvangile et de ses exigences. Cela vaut aussi tout à fait pour beaucoup d'ordres religieux dont la vie quotidienne ne se distingue guère de celle de laïcs (certains en font même leur programme de vie !).
Le cardinal Newman écrivait que ``l'Église doit être prête à accueillir les convertis, comme les convertis doivent être prêts à accueillir l'Église''. Si le second terme est souvent bien pénible (et Newman en a su quelque chose !), le premier terme est difficile. On sait que les convertis sont encombrants et exigeants. Ils dérangent les habitudes et rappellent à une identité qu'on a eu tendance à oublier, par commodité. Ils sont pourtant là, apparemment de plus en plus nombreux, attirés moins par l'Église d'aujourd'hui que par celle de toujours, moins par les évêques d'aujourd'hui que par les apôtres du Christ, moins par les catholiques d'aujourd'hui que par la foule immense des saints. Ils sont le don que Dieu nous fait, les vrais prophètes de nos jours. Ils nous rappellent la fidélité au message élémentaire : Jésus Christ, Fils de Dieu, mort pour nos pêchés, vivant et ressuscité. Tout le reste vient du Malin. C'est à partir de cela qu'il faut construire la Cité, notre cité humaine, dans toutes ses dimensions : politiques, éducatives, intellectuelles.

J.A.


Article paru dans Sénevé


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