``Biblic-menus'' de carême ou ceinture ecclésiastique?

Béatrice Joyeux


L'on associe aujourd'hui encore Carême et jeûne, ceinture alimentaire, patates, riz, pain et eau... Après les chocolats de Noël, les crêpes de la Chandeleur et les beignets du carnaval, le chrétien est appelé au sacrifice pour une démarche de conversion.
Détachons-nous des plaisirs terrestres pour nous rapprocher du Père.
Nous voici embarqués dans le bateau de la quarantaine. Tout un peuple nous y a précédés: traînant les pieds quarante années dans le désert, il marchait sur une terre de conversion. Lisons les Écritures avec une curiosité renouvelée : quelles furent les habitudes alimentaires du peuple hébreu ? à peuple élu, alimentation choisie ? quels enseignements en tirer pour notre quarantaine ?


Le régime de la quarantaine au désert


Un repas c'est sacré. Les Israëlites se battirent pour obtenir un repas quotidien au désert, contestant Moïse par leurs murmures : Vous nous avez amenés dans ce désert pour faire mourir de faim toute cette multitude. Et lui de répondre : Yahvé vous donnera ce soir de la viande à manger et, au matin, du pain à satiété, car Yahvé a entendu vos murmures contre lui. (Ex, 16, 2 ). Manger chaque jour est donc un besoin et une bénédiction. Donc on ne saute pas de repas, d'autant plus que cette pratique déséquilibre. Et la prière de Jésus prend en compte cette réalité : ``Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour...'' Aujourd'hui, qui nous donne le pain? Nous l'oublions facilement dans nos sociétés d'abondance...
Chaque repas de la Bible est un moment privilégié. Parce que dans cette civilisation de pénurie, l'on trouve enfin quelque chose à se mettre sous la dent; parce que le repas est d'autre part un temps essentiel pour retouver ses amis. On ne mange pas tout seul. Un repas se partage (cf. la Cène...). Les repas des Proverbes donnent l'occasion de témoigner de son amour pour les hommes, d'accueillir l'étranger : La Sagesse a bâti sa maison,...elle a abattu ses bêtes, préparé son vin, elle a aussi dressé sa table.(Prov,9,1).
Si la pitance peut être rare, donc précieuse chez les Hébreux, l'on évite cependant les excès en cas de surplus. Sur cet exemple, tenons compte des besoins réels de notre organisme : ainsi les Israëlites dans le désert apprirent à modérer leurs besoins, à se contenter du nécessaire : leur montrant la manne, Moïse leur dit : ``Cela, c'est le pain que Yahvé vous a donné à manger... Recueillez-en chacun selon ce qu'il peut manger... Que personne n'en mette en réserve jusqu'au lendemain.''(Ex, 16, 15). Conseil de santé individuel et collectif : pas de gaspillage, et la surnutrition fatigue.
Le jeûne ne fait alors pas de mal, quand il est bien sûr un choix délibéré, et s'inscrit dans une démarche spirituelle.
Remarquons que les privations perdent leur sens quand le peuple n'y met pas son coeur. Le jeûne est alors une invitation à s'oublier.
Sachant qu'il ne s'agit pas de blesser un corps que Dieu nous a donné : ne pas confondre jeûne et grève de la faim. Si le jeûne nous détruit, à quoi bon? Les Hébreux nous donnent l'exemple : le plus important est de boire beaucoup -et l'on embêtera Moïse jusqu'à ce qu'il trouve une source (Ex, 15,22-27: les eaux amères de Mara.17,1-7: l'eau de Massa et Mériba, jaillie du rocher.); on choisira un jour où l'activité physique est réduite; et l'on mangera aux heures classiques des repas.
La quarantaine au désert, c'est alors pour le peuple élu l'apprentissage d'un nouveau mode de vie alimentaire : conversion après les années d'abondance dans l'Égypte de l'esclavage, élimination des aliments impurs (Lévitique, 11); prise de conscience que l'aliment n'est jamais neutre. Ainsi le kascher évitait d'absorber les toxines drainées par le sang d'animaux, jamais vraiment très frais aux temps de l'avant-frigidaire... (``Ne mange aucune viande qui contienne encore du sang'', Lv19,26). Moïse, premier ministre de la santé de l'humanité, inaugurait la prévention...
Au fond, la liberté vaut bien un quignon de pain. Mieux vaut être libre et moins manger qu'être esclave dans/de la grande bouffe... La quarantaine au désert fut une cure d'essentiel, dans tous les termes : santé du corps, santé du coeur.


Les repas de la Terre promise Conversion nécessaire pour être digne de passer dans la terre de l'abondance. J'ai vu, j'ai vu la misère de mon peuple... Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre plantureuse et vaste, qui ruisselle de lait et de miel... (Ex, 3,7). La nourriture au pays des Cananéens changea-t-elle donc beaucoup ? Tentons un rapide panorama, de l'entrée en Canaan aux temps du Christ, pour esquisser à grands traits les habitudes alimentaires bibliques. Faut- il les imiter ?
Le premier repas du peuple hébreu entré en Terre promise, que l'Écriture nous rapporte, est celui de la Pâque (Jos.5,10). Les Hébreux installés garderont toujours en mémoire les temps du nomadisme, d'une éthique nutritionnelle autant que spirituelle.
Moins de graisses. En Terre sainte l'on consomme d'abord moins de matières grasses, à commencer par les viandes, trop riche en graisses cachées. Habitude qui pourrait nous inspirer. En bons sédentaires, nous mangeons trop de graisses animales, trop riches en acides gras saturés sources de cholestérol, artériosclérose et vieillissement vasculaire -et responsables de la plupart des maladies cardio-vasculaires. Pour mémoire : les Français consomment en moyenne 200 à 300 g de viande par jour- apportant 60 g de lipides pour un steak. Les volailles apportent bien moins de graisses. Au désert, elles tombaient d'ailleurs du ciel : Le soir même, des vols de cailles s'abattent sur le campement... (Ex,16,13). L'on évitera aussi les cuissons trop fortes et les graisses brûlées. Une côtelette cuite au charbon de bois délivre en goudrons l'équivalent de 1000 cigarettes...
Pour les fêtes, comme les Israëlites attendons la Pâque pour immoler et déguster l'agneau!
Choisissons le poisson, en dignes frères des pêcheurs de Tibériade. Remarquable, aucun évangéliste ne parle de fritures quand arrive l'heure du repas. Toujours le poisson est servi grillé, en particulier au bord du lac de Tibériade, lors de la dernière apparition de Jésus à ses disciples : ``Ils lui présentèrent un morceau de poisson grillé'' (Luc, 24,42). Et chez Jean : ``Ils aperçoivent, posé là, un feu de braise, avec du poisson dessus, et du pain.'' (Jn, 21, 9).
Les spécialistes de la nutrition insistent pour nous convaincre : les poissons sont riches en protéines d'excellente qualité, pauvres en matières grasses, très digestibles et favorables à un bon état cardio-vasculaire. Leur chair contient autant de protéines que les viandes (20 g pour 100 g); leur teneur en cholestérol est inférieure à celle des viandes : 20 à 70 mg contre 70 à 75 mg pour 100 g de viande; ils apportent une quantité importante d'iode, de vitamines du groupe B, de vitamine E et F.
Et le fer que nous procure la viande ? pourrait-on rétorquer... Jacob avait déjà trouvé la solution, ce bien avant les tribulations de l'Exode. Un bon plat de lentilles = fer, magnésium, zinc en fortes concentrations, + fibres qui évitent la constipation, + droit d'aïnesse pour Jacob : Un jour que Jacob mitonnait un brouet de lentilles, Ésaü revient de la campagne harassé. Il dit à Jacob : ``J'ai grand faim, donne-moi de ce roux''... ``Vends-moi d'abord, lui dit Jacob, ton droit d'aînesse''... et il lui vendit son droit d'aînesse... (Gn. 25,29)
Bien plus avantageux, donc, que le fumet du gibier d'Ésaü...1

La Bible promeut aussi les vitamines. Déjà le soleil du pays de Canaan permet à ses enfants de fabriquer tout seuls la vitamine D, antirachitique. Surtout l'honneur est au fruits, aux raisins sucrés de la terre promise, aux figuiers des paraboles de Jésus; les disciples cueillent au passage leur déjeûner, arrachant des épis de blé pour les manger (Mt,12,1. Mc, 2,23. Lc, 6,1). Nourriture biblique, écologique, presque esthétique. Elle n'oublie pas non plus la douceur et la poésie. Retenons l'image de Jean le Baptiste : Sa nourriture était de sauterelles et de miel sauvage (Mt, 3,4). Le miel, sucre naturel et riche en vitamines, aux vertus bienfaisantes, comme nous le rappellent les Proverbes : Mange du miel, mon fils, car c'est bon, un rayon de miel est doux à ton palais. Ainsi sera, sache-le, la sagesse pour ton âme. (24,13)...

Modération en tout, tel est enfin le message nutritionnnel essentiel des Écritures. En particulier pour les alcools2. Citons seulement la Sagesse: Avec le vin ne fais pas le brave, car le vin a perdu bien des gens. La fournaise éprouve la trempe de l'acier, ainsi le vin éprouve les coeurs dans un tournoi de fanfarons. Le vin c'est la vie pour l'homme, quand on en boit modérément. Quelle vie mène-t-on privé de vin ? il a été créé pour la joie des hommes.
Gaîté du coeur et joie de l'âme, voilà le vin qu'on boit quand il faut et avec suffisance. (Si, 31,25).
2000 ans après JC, les nutritionnistes, sans le savoir, proposent donc des menus bibliques qu'ils appellent ``nutrition méditerranéenne'' : réduction des apports lipidiques, des acides gras saturés, consommation importante de fruits et légumes frais, légumineuses et pain, laitages et poissons plutôt que les viandes.
Sans oublier l'huile d'olive qui aide à réduire le taux de cholestérol et régule le transit intestinal. Ces Biblic-menus réduisent le taux des maladies cardio-vasculaires, les taux de cancer du sein, du tube digestif... Surtout c'est un festival de parfums, de lumière et d'images de Mare nostrum ! Pas étonnant que Mathusalem soit né au pays des Hébreux...


Un jour agréable à Yahvé Changez vos coeurs, changez vos habitudes... Méditons donc ce que peuvent nous conseiller les Écritures pour notre quarantaine.
Mens sana in corpore sano, pas d'esprit sain sans un corps sain. Ben Sirach l'écrivait déjà au IIème s. av.J.C.: À régime sobre, bon sommeil, on se lève tôt, on a l'esprit libre.
L'insomnie, les vomissements, les coliques, voilà pour l'esprit intempérant. (31,20) et plus haut : Santé et vigueur valent mieux que tout l'or du monde, un corps vigoureux mieux qu'une immense fortune. Il n'y a richesse préférable à la santé, ni bien-être supérieur à la joie du coeur. (30,15)
Pour souligner les vertus d'un rythme alimentaire équilibré, il suffira de recenser les quelques effets de l'accumulation sandwiches-cantine-biscuits : lourdeurs d'estomac, surpoids, peau grasse, sèche ou fleurie, carences en vitamines, d'où un teint verdâtre, manques de minéraux -ongles et cheveux qui se dédoublent-, sans oublier les traditionnels coups de fatigue et les insomnies... État corporel qui invite plus à se pencher sur ses petits problèmes que sur la détresse des autres... Et Dieu dans tout cela ?
Or, nous dit le livre des Proverbes, Coeur joyeux fait bon visage, coeur chagrin a l'esprit abattu (Prov. 15,13).
Dans l'attente de la Pâque notre coeur doit être joyeux, un bon visage ne nous fera donc pas de mal. Jésus ne dit-il pas chez Matthieu : Pour toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave-toi le visage pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là, dans le secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. (6,16) Notre quarantaine peut prendre sens si nous cherchons la bonne santé, qui favorise la joie du coeur, et pourquoi pas une vie plus ouverte, plus offerte.
Vous ne jeûnerez pas comme aujourd'hui, si vous voulez faire entendre votre voix là-haut! Est-ce là le jeûne qui me plaît, le jour où l'homme se mortifie?
Courber la tête comme un jonc, se faire une couche de sac et de cendre, est-ce là ce que tu appelles un jeûne, un jour agréable à Yahvé ?
N'est-ce pas plutôt ceci, le jeûne que je préfère : défaire les chaînes injustes, délier les liens du joug; renvoyer libres les opprimés, et briser tous les jougs ?
N'est-ce pas partager ton pain avec l'affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair ?
Alors ta lumière éclatera comme l'aurore, ta blessure se guérira rapidement, ta justice marchera devant toi et la gloire de Yahvé te suivra... (Isaïe, 58,4).

B.J.


P.S : Quelques perspectives de réflexion...


Article paru dans Sénevé


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