L'on associe aujourd'hui encore Carême et jeûne,
ceinture alimentaire, patates, riz, pain et eau... Après les chocolats de
Noël, les crêpes de la Chandeleur et les beignets du carnaval, le
chrétien est appelé au sacrifice pour une démarche de conversion.
Détachons-nous des plaisirs terrestres pour nous rapprocher du Père.
Nous voici embarqués dans le bateau de la quarantaine. Tout un peuple nous y a précédés: traînant les pieds quarante années
dans le désert, il marchait sur une terre de conversion. Lisons
les
Écritures avec une curiosité renouvelée : quelles furent
les
habitudes alimentaires du peuple hébreu ? à peuple élu,
alimentation choisie ? quels enseignements en tirer pour notre
quarantaine ?
Le régime de la quarantaine au désert
Un repas c'est sacré.
Les Israëlites se battirent pour obtenir un repas quotidien au
désert, contestant Moïse par leurs murmures : Vous nous avez
amenés dans ce désert pour faire mourir de faim toute cette
multitude. Et lui de répondre : Yahvé vous donnera ce soir de
la
viande à manger et, au matin, du pain à satiété, car
Yahvé a
entendu vos murmures contre lui. (Ex, 16, 2 ). Manger chaque jour
est donc un besoin et une bénédiction. Donc on ne saute pas de
repas, d'autant plus que cette pratique déséquilibre. Et la
prière de
Jésus prend en compte cette réalité : ``Donne-nous
aujourd'hui notre
pain de ce jour...'' Aujourd'hui, qui nous donne le pain? Nous
l'oublions facilement dans nos sociétés d'abondance...
Chaque repas de la Bible est un moment privilégié.
Parce que
dans cette civilisation de pénurie, l'on trouve enfin quelque
chose à
se mettre sous la dent; parce que le repas est d'autre part un temps
essentiel pour retouver ses amis. On ne mange pas tout seul. Un
repas se partage (cf. la Cène...). Les repas des Proverbes donnent
l'occasion de témoigner de son amour pour les hommes, d'accueillir
l'étranger : La Sagesse a bâti sa maison,...elle a abattu ses
bêtes,
préparé son vin, elle a aussi dressé sa table.(Prov,9,1).
Si la pitance peut être rare, donc précieuse chez les
Hébreux,
l'on évite cependant les excès en cas de surplus. Sur cet
exemple,
tenons compte des besoins réels de notre organisme : ainsi les
Israëlites dans le désert apprirent à modérer leurs
besoins, à se
contenter du nécessaire : leur montrant la manne, Moïse leur
dit :
``Cela, c'est le pain que Yahvé vous a donné à manger...
Recueillez-en
chacun selon ce qu'il peut manger... Que personne n'en mette en
réserve jusqu'au lendemain.''(Ex, 16, 15). Conseil de santé
individuel et collectif : pas de gaspillage, et la surnutrition
fatigue.
Le jeûne ne fait alors pas de mal, quand il est bien
sûr un
choix délibéré, et s'inscrit dans une démarche
spirituelle.
Remarquons que les privations perdent leur sens quand le peuple
n'y met pas son coeur. Le jeûne est alors une invitation à
s'oublier.
Sachant qu'il ne s'agit pas de blesser un corps que Dieu nous a
donné : ne pas confondre jeûne et grève de la faim. Si le
jeûne nous
détruit, à quoi bon? Les Hébreux nous donnent l'exemple :
le plus
important est de boire beaucoup -et l'on embêtera Moïse
jusqu'à ce
qu'il trouve une source (Ex, 15,22-27: les eaux amères de
Mara.17,1-7: l'eau de Massa et Mériba, jaillie du rocher.); on
choisira
un jour où l'activité physique est réduite; et l'on
mangera aux
heures classiques des repas.
La quarantaine au désert, c'est alors pour le peuple
élu
l'apprentissage d'un nouveau mode de vie alimentaire : conversion
après les années d'abondance dans l'Égypte de l'esclavage,
élimination des aliments impurs (Lévitique, 11); prise de
conscience
que l'aliment n'est jamais neutre. Ainsi le kascher évitait
d'absorber
les toxines drainées par le sang d'animaux, jamais vraiment
très
frais aux temps de l'avant-frigidaire... (``Ne mange aucune viande qui
contienne encore du sang'', Lv19,26). Moïse, premier ministre de
la
santé de l'humanité, inaugurait la prévention...
Au fond, la liberté vaut bien un quignon de pain. Mieux
vaut
être libre et moins manger qu'être esclave dans/de la grande
bouffe... La quarantaine au désert fut une cure d'essentiel, dans
tous
les termes : santé du corps, santé du coeur.
Les repas de la Terre promise
Conversion nécessaire pour être digne de passer dans la
terre
de l'abondance. J'ai vu, j'ai vu la misère de mon peuple... Je
suis
descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire
monter de cette terre vers une terre plantureuse et vaste, qui
ruisselle de lait et de miel... (Ex, 3,7). La nourriture au pays des
Cananéens changea-t-elle donc beaucoup ? Tentons un rapide
panorama, de l'entrée en Canaan aux temps du Christ, pour
esquisser à grands traits les habitudes alimentaires bibliques. Faut-
il les imiter ?
Le premier repas du peuple hébreu entré en Terre
promise,
que l'Écriture nous rapporte, est celui de la Pâque
(Jos.5,10). Les
Hébreux installés garderont toujours en mémoire les temps
du
nomadisme, d'une éthique nutritionnelle autant que spirituelle.
Moins de graisses. En Terre sainte l'on consomme d'abord
moins de matières grasses, à commencer par les viandes, trop
riche
en graisses cachées. Habitude qui pourrait nous inspirer. En bons
sédentaires, nous mangeons trop de graisses animales, trop riches
en acides gras saturés sources de cholestérol,
artériosclérose et
vieillissement vasculaire -et responsables de la plupart des
maladies cardio-vasculaires. Pour mémoire : les Français
consomment en moyenne 200 à 300 g de viande par jour-
apportant 60 g de lipides pour un steak. Les volailles apportent
bien moins de graisses. Au désert, elles tombaient d'ailleurs du
ciel :
Le soir même, des vols de cailles s'abattent sur le campement...
(Ex,16,13). L'on évitera aussi les cuissons trop fortes et les
graisses
brûlées. Une côtelette cuite au charbon de bois
délivre en goudrons
l'équivalent de 1000 cigarettes...
Pour les fêtes, comme les Israëlites attendons la Pâque
pour
immoler et déguster l'agneau!
Choisissons le poisson, en dignes frères des pêcheurs
de
Tibériade. Remarquable, aucun évangéliste ne parle de
fritures
quand arrive l'heure du repas. Toujours le poisson est servi
grillé,
en particulier au bord du lac de Tibériade, lors de la
dernière
apparition de Jésus à ses disciples : ``Ils lui
présentèrent un morceau
de poisson grillé'' (Luc, 24,42). Et chez Jean : ``Ils
aperçoivent, posé
là, un feu de braise, avec du poisson dessus, et du pain.'' (Jn,
21, 9).
Les spécialistes de la nutrition insistent pour nous convaincre :
les
poissons sont riches en protéines d'excellente qualité,
pauvres en
matières grasses, très digestibles et favorables à un bon
état cardio-vasculaire. Leur chair contient autant de protéines que les
viandes
(20 g pour 100 g); leur teneur en cholestérol est inférieure
à celle
des viandes : 20 à 70 mg contre 70 à 75 mg pour 100 g de
viande;
ils apportent une quantité importante d'iode, de vitamines du
groupe B, de vitamine E et F.
Et le fer que nous procure la viande ? pourrait-on
rétorquer...
Jacob avait déjà trouvé la solution, ce bien avant les
tribulations de
l'Exode. Un bon plat de lentilles = fer, magnésium, zinc en fortes
concentrations, + fibres qui évitent la constipation, + droit
d'aïnesse
pour Jacob :
Un jour que Jacob mitonnait un brouet de lentilles,
Ésaü revient de la campagne harassé.
Il dit à Jacob : ``J'ai grand faim, donne-moi de ce roux''...
``Vends-moi d'abord, lui dit Jacob, ton droit d'aînesse''...
et il lui vendit son droit d'aînesse... (Gn. 25,29)
Bien plus avantageux, donc, que le fumet du gibier d'Ésaü...1
La Bible promeut aussi les vitamines. Déjà le soleil du
pays de
Canaan permet à ses enfants de fabriquer tout seuls la vitamine
D,
antirachitique. Surtout l'honneur est au fruits, aux raisins
sucrés de
la terre promise, aux figuiers des paraboles de Jésus; les
disciples
cueillent au passage leur déjeûner, arrachant des épis de
blé pour
les manger (Mt,12,1. Mc, 2,23. Lc, 6,1). Nourriture biblique,
écologique, presque esthétique. Elle n'oublie pas non plus la
douceur
et la poésie. Retenons l'image de Jean le Baptiste : Sa nourriture
était de sauterelles et de miel sauvage (Mt, 3,4). Le miel, sucre
naturel et riche en vitamines, aux vertus bienfaisantes, comme nous
le rappellent les Proverbes : Mange du miel, mon fils, car c'est bon,
un rayon de miel est doux à ton palais. Ainsi sera, sache-le, la
sagesse pour ton âme. (24,13)...
Modération en tout, tel est enfin le message nutritionnnel
essentiel des Écritures. En particulier pour les alcools2. Citons
seulement la Sagesse: Avec le vin ne fais pas le brave, car le vin a
perdu bien des gens. La fournaise éprouve la trempe de l'acier,
ainsi
le vin éprouve les coeurs dans un tournoi de fanfarons. Le vin
c'est
la vie pour l'homme, quand on en boit modérément. Quelle vie
mène-t-on privé de vin ? il a été créé pour la
joie des hommes.
Gaîté du coeur et joie de l'âme, voilà le vin
qu'on boit quand il faut
et avec suffisance. (Si, 31,25).
2000 ans après JC, les nutritionnistes, sans le savoir,
proposent donc des menus bibliques qu'ils appellent ``nutrition
méditerranéenne'' : réduction des apports lipidiques, des
acides gras
saturés, consommation importante de fruits et légumes frais,
légumineuses et pain, laitages et poissons plutôt que les
viandes.
Sans oublier l'huile d'olive qui aide à réduire le taux de
cholestérol
et régule le transit intestinal. Ces Biblic-menus réduisent le
taux des
maladies cardio-vasculaires, les taux de cancer du sein, du tube
digestif... Surtout c'est un festival de parfums, de lumière et
d'images de Mare nostrum ! Pas étonnant que Mathusalem soit né
au pays des Hébreux...
Un jour agréable à Yahvé
Changez vos coeurs, changez vos habitudes... Méditons
donc ce
que peuvent nous conseiller les Écritures pour notre quarantaine.
Mens sana in corpore sano, pas d'esprit sain sans un corps
sain. Ben Sirach l'écrivait déjà au IIème s. av.J.C.:
À régime sobre, bon sommeil, on se lève tôt,
on a l'esprit libre.
L'insomnie, les vomissements, les coliques,
voilà pour l'esprit intempérant. (31,20)
et plus haut :
Santé et vigueur valent mieux que tout l'or du monde,
un corps vigoureux mieux qu'une immense fortune.
Il n'y a richesse préférable à la santé,
ni bien-être supérieur à la joie du coeur. (30,15)
Pour souligner les vertus d'un rythme alimentaire
équilibré, il
suffira de recenser les quelques effets de l'accumulation
sandwiches-cantine-biscuits : lourdeurs d'estomac, surpoids, peau
grasse, sèche ou fleurie, carences en vitamines, d'où un teint
verdâtre, manques de minéraux -ongles et cheveux qui se
dédoublent-, sans oublier les traditionnels coups de fatigue et
les
insomnies... État corporel qui invite plus à se pencher sur
ses petits
problèmes que sur la détresse des autres... Et Dieu dans tout
cela ?
Or, nous dit le livre des Proverbes,
Coeur joyeux fait bon visage, coeur chagrin a l'esprit abattu
(Prov.
15,13).
Dans l'attente de la Pâque notre coeur doit être
joyeux, un bon
visage ne nous fera donc pas de mal. Jésus ne dit-il pas chez
Matthieu : Pour toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et
lave-toi le
visage pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton
Père qui est là, dans le secret; et ton Père, qui voit
dans le secret, te
le rendra. (6,16) Notre quarantaine peut prendre sens si nous
cherchons la bonne santé, qui favorise la joie du coeur, et
pourquoi
pas une vie plus ouverte, plus offerte.
Vous ne jeûnerez pas comme aujourd'hui, si vous voulez
faire
entendre votre voix là-haut! Est-ce là le jeûne qui me
plaît, le jour
où l'homme se mortifie?
Courber la tête comme un jonc, se faire une couche de sac
et
de cendre, est-ce là ce que tu appelles un jeûne, un jour
agréable à
Yahvé ?
N'est-ce pas plutôt ceci, le jeûne que je
préfère : défaire les
chaînes injustes, délier les liens du joug; renvoyer libres
les
opprimés, et briser tous les jougs ?
N'est-ce pas partager ton pain avec l'affamé, héberger
chez toi
les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te
dérober devant celui qui est ta propre chair ?
Alors ta lumière éclatera comme l'aurore, ta blessure
se
guérira rapidement, ta justice marchera devant toi et la gloire de
Yahvé te suivra... (Isaïe, 58,4).
Article paru dans Sénevé
Retour à la page principale