Le drame de l'incrédulité

François Marion


d'après une conférence de R.Pradayrol, professeur en classe de Mathématiques Speciales à Bordeaux


Il semble à peu près sûr que le quatrième Evangile a été rédigé à la fin du premier siècle de notre ère, soit plus de cinquante ans après la mort du Christ. Ainsi Jean, au moment où il écrit se trouve confronté à la première génération de Chrétiens qui ne l'aient pas connu. Se pose alors le problème crucial de la foi. Après avoir rapidement évoqué quelle notion de foi Jean aborde dans son Évangile, nous verrons les différentes formes que peut revêtir le refus de croire.


Une approche de la foi selon Saint Jean
Plusieurs théologiens ont remarqué que le substantif pistis n'est employé qu'une seule fois dans le quatrième Evangile : l'auteur lui préfère le verbe ou l'infinitif substantivé :



Ainsi est manifesté le caractère dynamique de l'acte de foi, croire met en jeu une adhésion de l'être à la personne du Christ. De même l'absence de foi consiste en un refus de croire :


Les différentes formes de refus de croire
On en trouve divers exemples dans l'Évangile de Saint Jean.
On pourrait d'abord penser au scepticisme de Thomas :


Mais l'apôtre est prêt à croire à condition qu'on lui apporte des preuves tangibles de la résurrection du Christ.
Plus grave est le comportement de la foule, exprimé dans les mêmes termes en (VI,36) :



La venue de Jesus, ses actes et son enseignement provoquent des divisions au sein du peuple juif, et le refus de croire se renforce collectivement. On le voit à la suite d'un discours du Christ au chapitre VIII ; à la suite d'une argumentation avec des Pharisiens, le peuple qui assistait réagit violemment :



Enfin, il apparaît chez les savants d'Israël une autre forme de suffisance. On peut montrer à partir d'un exemple comme celui de l'aveugle-né (ch IX) qu'ils se sont eux-mêmes bâti un systême qui les empêche de croire. On sait le probleme que posait l'existence de l'aveugle-né à des gens qui voyaient en la maladie la consequence d'un péché, en dépit des dénégations de Job.



Or la solution proposée par Jésus au problème du mal n'est pas dans les causes mais dans l'usage qui peut en être fait :



Le Christ remet en cause une certaine conception de Dieu en tant qu'autorité extérieure, en tant que loi. Au contraire, les chefs des prêtres se trouvent dans une impasse logique soulignée par l'aveugle lui-même (IX 30-33). En guérissant avec de la boue (travail défendu le jour du sabbat), Jésus contrevient à une loi qui vient de Dieu ; comment donc dans le même temps peut-il affirmer qu'il vient de Dieu ? Et comment un pécheur peut-il faire de pareils miracles? Le probleme ainsi posé est insoluble car les présupposés de départ, considérés comme des axiomes irrévocables à partir desquels on déduit des règles de comportement sont faux. Certains diraient que c'est une confusion entre algèbre et théologie.
Ainsi ce même chapitre présente la confrontation de sages aveuglés par leur refus de croire et d'un aveugle commençant à entrevoir la vérité du Christ. Se posent alors deux questions auxquelles Jean répond dans son Évangile. Comment se fait-il que certains cherchent des arguments pour ne pas croire? Quelle solution leur est apportée par Dieu pour les aider à croire?


Cause de la difficulté de croire et assistance de la foi.
Pour Jean, le refus de croire n'est pas seulement d'origine humaine, il est aussi inspiré aux hommes par le diable :



De même, la levée de la difficulté de croire se fera grâce à une intervention divine, celle de l'Esprit :



L'Esprit enseigne la vérité aux hommes ((XIV,25-26) et (XVI,12-15)), témoigne en faveur du Christ rescucité, confond le monde en réfutant les arguments contre le Christ. C'est ainsi que le terme employé en grec pour désigner l'Esprit, ``le paraclet'' est un terme juridique. Il faut bien sûr remarquer que ceci n'est qu'un des aspects de la théologie trinitaire développée par Saint-Jean.


Ainsi dans son Évangile, Jean insiste beaucoup sur les divisions au sein du peuple juif au sujet de la foi et de l'incrédulité. Or on pense que ces divisions sont aussi l'image de celles qui se déroulaient à l'époque où le texte a été rédigé, c'est à dire cinquante ans plus tard : affrontements entre juifs et chrétiens mais aussi au sein même de l'Église naissante. Leur caractère universel est ainsi renforcé. De plus les enseignements que l'on peut tirer des erreurs commises par la foule et les Pharisiens dépassent même le cadre de la foi : il ne faut ni se laisser entraîner dans des élans de croyance collective, ni s'enfermer dans un système de pensée trop rigide qui nous aveugle et nous empêche d'élargir notre réflexion.

F.M.


Article paru dans Sénevé


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