d'après une conférence de R.Pradayrol, professeur en classe de Mathématiques Speciales à Bordeaux
Il semble à peu près sûr que le quatrième Evangile a été rédigé à la fin du premier siècle de notre ère, soit plus de cinquante ans après la mort du Christ. Ainsi Jean, au moment où il écrit se trouve confronté à la première génération de Chrétiens qui ne l'aient pas connu. Se pose alors le problème crucial de la foi. Après avoir rapidement évoqué quelle notion de foi Jean aborde dans son Évangile, nous verrons les différentes formes que peut revêtir le refus de croire.
Une approche de la foi selon Saint Jean
Plusieurs théologiens ont remarqué que le substantif
pistis n'est employé qu'une seule fois
dans le quatrième Evangile : l'auteur
lui préfère le verbe ou l'infinitif substantivé :
``parce que je t'ai vu sous le figuier, tu crois'' (I,50),
``celui qui croit a la vie éternelle'' (VI,47).
Ainsi est manifesté le caractère dynamique de l'acte de foi, croire met en jeu une adhésion de l'être à la personne du Christ. De même l'absence de foi consiste en un refus de croire :
``mais je vous l'ai déjà dit, vous m'avez vu et vous ne me croyez pas'' (VI,36).
Les différentes formes de refus de croire
On en trouve divers exemples dans l'Évangile de Saint Jean.
On pourrait d'abord penser au scepticisme de Thomas :
``si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous (...) je ne le croirai point.'' (XX...).
Mais l'apôtre est prêt à croire à condition qu'on lui apporte des
preuves tangibles de la résurrection du Christ.
Plus grave est le comportement de la foule, exprimé dans les mêmes
termes en (VI,36) :
``vous m'avez vu et vous ne me croyez pas''.
La venue de Jesus, ses actes et son enseignement provoquent des divisions au sein du peuple juif, et le refus de croire se renforce collectivement. On le voit à la suite d'un discours du Christ au chapitre VIII ; à la suite d'une argumentation avec des Pharisiens, le peuple qui assistait réagit violemment :
``là-dessus, ils prirent des pierres pour les lui jeter.'' (VIII,50)
Enfin, il apparaît chez les savants d'Israël une autre forme de suffisance. On peut montrer à partir d'un exemple comme celui de l'aveugle-né (ch IX) qu'ils se sont eux-mêmes bâti un systême qui les empêche de croire. On sait le probleme que posait l'existence de l'aveugle-né à des gens qui voyaient en la maladie la consequence d'un péché, en dépit des dénégations de Job.
``Maître, est-ce le péché de cet homme ou de ceux qui l'ont mis au monde qui est cause qu'il est né aveugle?'' (IX,2).
Or la solution proposée par Jésus au problème du mal n'est pas dans les causes mais dans l'usage qui peut en être fait :
``Ni lui ni ses parents n'ont péché, mais c'est afin qu'en lui soient manifestées les oeuvres de Dieu'' (IX,3).
Le Christ remet en cause une certaine conception de Dieu en tant
qu'autorité extérieure, en tant que loi. Au contraire, les chefs
des prêtres se trouvent dans une impasse logique soulignée par
l'aveugle lui-même (IX 30-33). En guérissant
avec de la boue (travail défendu le jour du sabbat), Jésus
contrevient à une loi qui vient de Dieu ; comment donc dans le même
temps peut-il affirmer qu'il vient de Dieu ? Et comment un pécheur
peut-il faire de pareils miracles? Le probleme ainsi posé est
insoluble car les présupposés de départ, considérés comme des
axiomes irrévocables à partir desquels on déduit des règles de
comportement sont faux. Certains diraient que c'est une confusion
entre algèbre et théologie.
Ainsi ce même chapitre présente la confrontation de sages aveuglés
par leur refus de croire et d'un aveugle commençant à entrevoir la
vérité du Christ. Se posent alors deux questions auxquelles Jean
répond dans son Évangile. Comment se fait-il que certains cherchent
des arguments pour ne pas croire? Quelle solution leur est apportée
par Dieu pour les aider à croire?
Cause de la difficulté de croire et assistance de la foi.
Pour Jean, le refus de croire n'est pas seulement d'origine humaine,
il est aussi inspiré aux hommes par le diable :
``Vous êtes les enfants du diable.'' (VIII,41).
De même, la levée de la difficulté de croire se fera grâce à une intervention divine, celle de l'Esprit :
``Mais le consolateur, qui est le Saint-Esprit, que mon père enverra en son nom, sera celui qui vous enseignera toutes choses'' (XIV,26)
L'Esprit enseigne la vérité aux hommes ((XIV,25-26) et (XVI,12-15)),
témoigne en faveur du Christ rescucité, confond le monde en réfutant
les arguments contre le Christ. C'est ainsi que le terme employé en
grec pour désigner l'Esprit, ``le paraclet'' est un
terme juridique.
Il faut bien sûr remarquer que ceci n'est qu'un des aspects de la
théologie trinitaire développée par Saint-Jean.
Ainsi dans son Évangile, Jean insiste beaucoup sur les divisions au
sein du peuple juif au sujet de la foi et de l'incrédulité. Or on
pense que ces divisions sont aussi l'image de celles qui se
déroulaient à l'époque où le texte a été rédigé, c'est à dire
cinquante ans plus tard : affrontements entre juifs et chrétiens mais
aussi au sein même de l'Église naissante. Leur caractère universel est
ainsi renforcé. De plus les enseignements que l'on peut tirer des
erreurs commises par la foule et les Pharisiens dépassent même le
cadre de la foi : il ne faut ni se laisser entraîner dans des élans de
croyance collective, ni s'enfermer dans un système de pensée trop
rigide qui nous aveugle et nous empêche d'élargir notre réflexion.
Article paru dans Sénevé
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