"J'existe, mon tabernacle est au désert."
Jean Grosjean, "Dominus Domino"1.
Le terme sacré serait absent de l'indo-européen commun, mais il est néanmoins chargé dans la plupart des mythologies européennes de deux sens : ce qui est pénétré de la présence divine, et ce qui est interdit au contact des hommes2. Cette double face du sacré, à la fois bénéfique et maléfique, inscrite dans l'étymologie, se découvre à nous, de façon bien plus tangible que tout discours philologique, dans un lieu particulier, qui est le désert. Il s'y joue des mystères que bien peu d'hommes pénètrent ; il s'y cache des vérités que bien peu d'hommes connaissent. Il n'est certainement pas indifférent que Moïse, qu'Elie, que Jean-Baptiste, que le Christ aient, à des moments clefs de leurs vies respectives, séjourné au désert. Il n'est pas non plus indifférent que bien des hommes, moins inspirés bien sûr, qui sont allés au désert eux aussi, en retirent des expériences exceptionnelles, en reviennent comme bouleversés en leur être profond, pénétrés d'une foi nouvelle, ou fous, irrémédiablement fous.
Car le désert est ce lieu de la mise à l'épreuve de soi-même. Que ce soit le désert de sable ou le désert tout métaphorique des sabliers du temps désolé et solitaire que chacun peut ressentir, il est bien le lieu de la confrontation avec soi, et de la rencontre, probable, mais pas assurée, avec ce qui nous dépasse, avec le principe de toute chose, le lieu de la découverte authentique, tant attendue, de notre Maître, de Dieu. L'homme s'y révèle à lui-même, en même temps que Dieu s'y révèle à lui. Ces révélations essentielles ébranlent, font proprement violence : se découvrir à soi-même, tel qu'en soi-même, est parfois effrayant. Mais la rencontre avec Dieu, alors, sauve, ou finit de faire sombrer devant la misère que nous lui offrons.
Le désert, intérieur ou réel, sert de décor à ces révélations intimes qui révolutionnent une vie. Le tragique de la situation vient de ce que l'homme y est seul, toujours, d'abord, qu'il doit seul se découvrir à lui-même et chercher Dieu, qu'il lui faut seul composer avec son passé de pécheur, de tricheur, de bonimenteur, qu'il doit combattre seul les démons qui séduisent son esprit, les tourments qui l'assaillent, et, peut-être, finalement, ne jamais trouver aucun signe de piste, rester condamné à errer dans sa désolation, en pleine perdition. Ce qui frappe, c'est bien "cette opposition de deux images si contradictoires du désert, terre des fiançailles divines avec l'homme et sol de malédiction, patrie de Dieu et du diable"3, lieu de la tentation, mais aussi de la Révélation. Ce chemin au désert vers Dieu, à travers les démons, nos démons, n'est-il pas en vérité le cheminement qui attend tout homme de foi authentique ?
Vivre, dans le désert, c'est avancer sans cesse, marcher, chameaucher. Or la marche va de pair avec le silence. L'homme qui avance dans le désert s'enfonce à mesure en lui-même, en ses pensées, il rumine son petit lot de misères, voit fondre toutes ses prétentions illusoires. La caravane n'est pas bavarde, les récits d'expéditions ne bruissent pas des échos des conversations : tout le monde se tait, tout le monde se terre, s'enfouit en soi-même, s'enfuit en soi-même. Cet état de solitude trouble l'homme qui s'y soumet, car cette plongée uniquement en soi-même ne va pas sans douleur. C'est l'expérience d'un étrange mutisme avec les autres, d'une étrange surdité aux autres. C'est surtout l'expérience d'un étrange silence autour de soi et en soi. Le bruit des villes, l'affairement de nos vies, trop souvent, font échapper à cette confrontation essentielle avec soi-même, à ce regard juste porté sur les valeurs qui sont par habitude les nôtres, qui fondent notre identité, à ces idées pour lesquelles nous agissons et auxquelles, pourtant, nous avons si peu réfléchi en profondeur. Combien cela est vrai aujourd'hui. Combien cela le fut toujours. Comme du temps de Jean-Baptiste. Origène nous le montre parfaitement dans son commentaire sur l'Evangile de Luc4 quand il parle du fils de Zacharie : "il convenait, note-t-il, qu'il se retirât, fuyant le tumulte des villes, l'affluence du peuple, les vices des cités, et qu'il s'en allât dans le désert, où l'air est plus pur, le ciel plus découvert et Dieu plus familier." C'est lumineux ! La nécessité du désert est établie. Ces terres incultes, comme sorties des mains du Créateur, sont le lieu par excellence où l'homme peut se connaître, et connaître Dieu.
Mais, avant de connaître Dieu, l'homme se découvre lui-même. Avant d'être disposé intérieurement à entendre la parole de Dieu, l'homme doit se réconcilier avec lui-même. Dieu dit à Abraham : "Va vers toi-même" (Gn 12, 1), pars au désert, "Connais-toi toi-même" presque. Dans le dépouillement du lieu, c'est à un dépouillement de soi que Dieu invite. Bien de nos prétentions et de nos suffisances ne résistent pas à l'épreuve du désert. La trop lourde présence des choses n'embarrasse plus non plus : le voyage se fait en soi.
"Partir au désert
C'est partir
Au plus loin
De soi-même
Š
Pour en revenir
Au plus près5."
En fait, tout se passe comme s'il y avait dans le désert un espace miroir pour l'homme. Il fait mal, parfois, de se voir dans ce miroir tel que l'on est, sans fard, sans masque, sans comédie. Enfin seul, enfin soi. Au milieu de cet espace immaculé, dans le dénuement, dans le clair absolu de la lumière. Plus de voile pour cacher ce que l'on préfère ne pas voir, plus de borne pour arrêter notre démesure, ni de repères non plus pour nous orienter dans notre pérégrination. L'homme est révélé à soi, "car c'est cela, finalement, le grand sortilège : la lumière drue de ce ciel sans pitié agit comme un révélateur chimique ; elle dissout l'accessoire, l'ajouté, le superflu, et elle accentue l'essentiel. Alors s'affirme la vraie hiérarchie des valeurs"6.
Mais la traversée du désert est multiforme. Il y a l'expérience proprement physique du sang qui frappe les tempes, des yeux qui se ferment devant la lumière aveuglante, de la lente, mais inexorable, progression dans cet espace monotone, immense. Adonis imagine ainsi que devient lui-même désert la personne qui est allée trop loin dans son amour du soleil et qui s'est laissée brûler7. C'est qu'il n'y a pas de refuge dans le désert, que du sable, des pierres, de la poussière, des cendres. C'est un monde purement minéral. Théodore Monod nous rend très sensible cette réalité terrestre du désert, lui-même y apportant l'acuité de son regard de scientifique. Le désert est, pour lui, la "présence retrouvée (...) de l'écorce terrestre"8. C'est la nature vraie, le sol dru, la minéralité brute que nous découvrons, de pair avec le bleu aride du ciel et le jaune immense du sable. C'est le lieu où temps et espace ne font qu'un, où immensité et éternité se conjoignent. En en détournant le sens, et en imaginant un Pascal retour du désert9, c'est bien cette pensée que nous avouons face à cette énormité qu'est le désert : "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie"10.
Mais ce paysage d'Apocalypse sert aussi de cadre à des visions d'Apocalypse. L'homme y découvre son être intime, ses chimères attrayantes, ses démons effrayants.
"Ils brûlaient de désirs dans le désert,
ils tentaient Dieu parmi les solitudes" (Ps 105, 14).
Charmes et soupirs semblent sortir sans cesse des sables. Sur le sol immaculé porte le regard qui s'absente des choses, le sable crisse sous les pieds, il étincelle dans la lumière crue, aveugle tout à fait, et le marcheur ne voit plus rien. Ou plutôt, il commence à voir tout un paysage magique insoupçonné qui l'enchante. La grenade de sa tête éclate, en répandant le grain du rêve. Les hordes du désir, bariolées, aguicheuses, envahissent son champ de visions ensorcelantes. Ce sont les facettes jusque-là restées dans l'ombre de son moi qui miroitent sous ses yeux, pour la première fois révélées dans cette lumière si crue. Ce sont les tribulations de saint Antoine, des démons aux tétines haletantes et menaçantes ... Lieu de sortilèges11 que le désert. Et l'envoûtement existe bel et bien. Mais ce n'est que la chair de notre âme qui les incarne, ces sortilèges. Ils sont notre reflet dans le miroir que nous offre le désert. Reflet qui inquiète, et peut mener à la folie.
Le désert est aussi ce lieu d'épreuve, de passage, d'entre-deux. Au pas élastique et prudent des chameaux, dans la fournaise, ou bien dans la solitude de nos existences, au coeur de nos souffrances, le désert est ce moment d'abandon, cette traversée des temps mauvais. L'expression métaphorique de traversée du désert est bien d'usage courant12. Tous les saints devaient avoir leurs jours de pénitence au désert - qu'il fût réel, reconstitué, ou métaphorique. Saint Thomas Becket, ainsi, imite un temps la vie des anachorètes. Ce séjour au désert, d'une façon ou d'une autre, est l'étape précédant les grands événements. Moïse a passé quarante ans dans le désert de Madian comme berger des troupeaux de son beau-père Jéthro, puis quarante jours sur le Sinaï avant de recevoir la Loi de l'Alliance. Le Christ a jeûné pendant quarante jours dans le désert avant de commencer son ministère. Les chrétiens se préparent à célébrer le Mystère pascal de la mort et de la résurrection du Seigneur par quarante jours de pénitence.
L'imitation du Christ est certainement la plus belle des conversions. Il est le modèle que tous peuvent imiter, puisqu'il a épousé nos misères, nos faiblesses, puisqu'il a subi même la tentation.
"Et aussitôt, l'Esprit le pousse au désert. Et il était dans le désert durant quarante jours, tenté par Satan. Et il était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient" (Mc 1, 12-13)13.
Au désert, lors de ces quarante jours, se livre dans l'âme du Christ un combat spirituel immense, inouï, entre l'Esprit Saint et l'esprit du mal. Les tentations offertes au Christ ne sont pas concupiscences, oeuvres de chair pour le plaisir de la chair, mais assouvissements des prétentions de pouvoir, de puissance ancrées au coeur de l'homme. Satan propose trois tentations des plus typiques du messianisme : mettre Dieu au service de son seul profit personnel ; lier la foi à des manifestations spectaculaires ; confondre, enfin, religion et pouvoir temporel. Jésus décline chacune des trois offres qui lui sont faites par son tentateur en citant trois paroles de l'Ecriture qui constitueront la règle de son action : il se donnera tout entier, usque ad mortem, aux choses de son Père ; il ne fera que des miracles de pure bonté ; et il édifiera un royaume qui n'est pas de ce monde. Le Christ revit, en fait, les trois tentations auxquelles Israël avait succombé dans le désert14, pour en triompher avec gloire15. C'est que l'Esprit pousse - en grec : ekballei - Jésus au désert : c'est une action impérieuse qui est le signe d'un accomplissement majeur, le signe de la rédemption. L'Esprit Saint, dit saint Athanase16, pénètre alors entièrement l'âme du Christ, et il en reçoit sa mission en tant qu'homme, et la force de l'accomplir. Il y a sûrement aussi dans l'épisode de la tentation au désert la préfiguration de Gethsémani. Là, un ange fortifie Jésus (Lc 22, 43), comme au désert ils le servaient déjà.
La tentation répétée trois fois par Satan ne trouve aucun écho en l'humilité du Christ. Aussi ce qui importe pour nous, c'est d'essayer d'être comme le Christ, sourd aux illusions de puissance de ce monde, insensible aux vanités, fidèle à nos promesses, confiant en la grâce de notre Père. Ce qu'il faut bien retenir, c'est que Satan est le prince de ce monde, le dispensateur de toutes les fausses promesses, l'attiseur et non le consolateur de tous les désirs. Satan est cette tentation qui surgit en nous de satisfaire nos envies les plus folles, de dominer, d'assouvir. L'esprit de Satan rôde aux déserts, réels comme métaphoriques.
" Lorsque l'esprit impur est sorti de l'homme, il erre par les lieux arides en quête de repos " (Mt 12, 43).
Dans la solitude des lieux désertiques, ou dans l'esseulement de nos vies, la traversée est pénible, longue. Ce face à face avec soi-même nous fait nous découvrir sans plus d'artifice, avec nos faiblesses, nos noblesses, nos tentations coupables, nos espérances indéracinables. Le désert de l'amour17 est, lui aussi, très amer. Le désir amoureux, même dans sa plus belle pureté, même dans sa plus irréfragable sincérité, peut n'être qu'un terrible cheminement au milieu d'un désert18. Les tendres attaches tant souhaitées peuvent ne rencontrer que le silence, l'oasis d'une vraie rencontre se muer en un désert sans fin19. Assurément, la parole du désir surgit d'un manque, de l'abîme du moi qui vit la présence ou l'absence de la grâce. Dans la vie humaine, courte et fragile, pleine de finitude, l'infini du désir ne peut enrichir le coeur de l'homme qu'en l'élevant par la maîtrise de la volonté qu'il parvient à prouver sur lui-même. L'homme du désir doit reconnaître son néant. C'est la marche dans le désert de la chair. Les tempêtes du coeur sont alors autant de pas qui nous rapprochent du paradis du désir. Il y a lutte contre soi-même et lutte contre l'autre, ou son image. Dans cet espace de torture et de désirs inassouvis, le retour à soi devient comme une conversion intérieure. Dans cet itinéraire spirituel, la première station est toujours au désert. L'homme du désir rejoint là, secrètement, la nuit de ceux qui cherchent Dieu parmi d'autres souffrances. Et il lui faut alors errer, se perdre, avant d'espérer pouvoir se retrouver. Dans cette quête nocturne dans le désert, tout est effondré sauf l'arbre
" sève source du sang qui traverse le sable ",
mais
" non palmier du désert
non arbre "20
arbre unique de la croix. L'homme du désir traverse alors le chemin de la délivrance, le seul, qui est indiqué par la Croix, élévation vers la Révélation, Apocalypse du désir.
Le désert humain est terrible. Il est dans la maladie, dans le vieillissement. Dans nos existences. Ainsi, le violoncelliste Dominique de Williencourt évoque son parcours intime du désert. S'il a voyagé dans les contrées arides, suivi des caravanes, connu le roulis du dos du chameau, il sait bien plus encore ce que c'est que le désert éprouvé dans la solitude du quotidien de grandes villes. Pour lui, "le désert, c'est un désir de se retrouver seul, perdu, comme sur une scène." Mais, plus encore, il considère que "l'expérience du désert est présente partout dans [s]a vie", car il a "eu des déserts, des passages à vide", et ses "quatre années de vie à l'abbaye de la Prée furent aussi un désert, cistercien "21.
L'expérience du désert est donc bien au coeur de nos sociétés occidentales fatiguées. Céline ne notait-il pas dans Le voyage au bout de la nuit que "l'isolement dans cette fourmilière américaine prenait une tournure plus accablante encore". "Toujours, écrit-il à la suite, j'avais redouté d'être à peu près vide, de n'avoir en somme aucune sérieuse raison pour exister. A présent j'étais devant les faits bien assurés de mon néant individuel." Nos sociétés contemporaines offrent un tableau bien comparable, et toutes les instances de vie commune sont touchées par cette désertification. Il est jusqu'à l'Eglise, pour une part reflet de son temps à travers le peuple de ses fidèles, qui est touchée par ce phénomène de désaffection et qui voit des croyants s'éloigner d'elle, professer leurs propres catéchismes, s'accorder leurs propres indulgences, se replier sur eux-mêmes au sein d'une société qui ne leur offre que des exemples d'égoïsme, où la réussite n'est plus que personnelle, où la charité n'a plus sa place. Significativement, on en vient à parler aujourd'hui de "déserts religieux"22.
"Tes villes saintes sont devenues un désert, Sion est devenue un désert, Jérusalem, un lieu désolé" (Is 64, 9).
Désert de sable, désert des sabliers. C'est l'expérience du temps, de la patience. Car "celui qui n'a pas connu l'épreuve, n'a pas fait ses preuves" (Si 34, 10). Et nous sommes nous-mêmes cette terre aride qui attend Dieu.
"Le désir de Dieu."
De David. Quand il était dans le désert de Juda.
"Dieu, c'est toi mon Dieu, je te cherche,
mon âme a soif de toi,
après toi languit ma chair,
terre sèche, altérée, sans eau" (Ps 62, 2).
Le désert, c'est aussi l'expérience de la fragilité de l'existence, que notre vie n'est rien face au Tout qui est en Dieu. Au désert, il nous est clairement révélé que notre humaine condition n'est rien sans Dieu, et qu'elle est tout, qu'elle peut tout avec Lui. C'est ainsi que Thérèse de Lisieux décrit son expérience du désert, quand elle dit qu'elle "demeure sans appui, mais est pourtant appuyée." C'est le miracle que rend possible le désert : plus d'appuis sensibles, affectifs, mais une féconde vacuité. Plus de désir, Dieu comble. Le vide ne fait plus peur. Dans cette traversée du désert, l'homme apprend à se connaître, et la plus merveilleuse des révélations peut alors lui advenir : il se découvre créature de Dieu. Maître Eckhart enseigne que "Dieu conduit cet esprit dans le désert, dans l'unité de lui-même, où il est purement un et où il sourd de lui-même"23. La réconciliation avec soi-même en Dieu se fait au désert, qu'il soit réel ou intérieur. Nous nous y éveillons à l'Être essentiel. "S'il est le lieu des révoltes et des nostalgies, si on y regrette ses habitudes, si on y a peur de l'inconnu, s'il aiguise notre faim de connaissance et de tendresse... le désert est aussi un jardin, pour celui qui creuse dans l'instant, à chaque pas, son puits..."24. À cet instant, sur nos lèvres brûlées, le goût toujours inattendu de l'Eau vive vient nous délivrer. La soif rencontre une Source. Et c'est alors la joie du Psalmiste qui nous soulève :
"Au désert, les pâturages ruissellent" (Ps 64, 13).
Ainsi, l'expérience du désert permet-elle le désencombrement de l'esprit, la réduction à l'essentiel. Le désert est bien cet espace où voyage l'esprit. Le cheminement passe par soi-même pour aboutir à la fin ultime de toute chose, Dieu. À cet égard, l'étymologie nous apporte quelques éléments étonnants. En hébreu biblique, un seul mot sert à fabriquer le verbe parler et le mot qui nomme le désert - si l'on n'en reste seulement aux schèmes consonantiques toutefois... Non vocalisés, les deux termes ne se distinguent pas ! Et "c'est ainsi qu'on a coutume de dire que le désert est le lieu de la parole"25. Ce lien entre le désert et la Parole divine a quelque chose de fascinant26, et rend compte parfaitement de ce que nous y ressentons. Il y a un appel du désert. C'est le Christ qui est presque appelé au désert, poussé par l'Esprit Saint en tout cas. Il ne fait que répondre à une demande qui sourd du Verbe qu'il incarne, et le désert lui révèle sa vocation. Pour nous aussi, le désert est cet appel à quitter nos habitudes, à s'échapper de notre confort intellectuel ou matériel trop facile, pour affronter les Commandements du Père, pour remplir notre promesse, pour faire oeuvre de charité. Car le Père nous guide, et Il nous découvre ses chemins.
"Voici que je vais faire une chose nouvelle (...) Oui, je vais mettre dans le désert un chemin" (Is 43, 19).
Le désert, l'expérience de son lieu ou de son état, agit sur nous,
nous appelle à un effort de conversion. La solitude nous fait nous
découvrir, penser le monde pour la première fois en refusant la
facilité des idées apprises, des automatismes. Nous réfléchissons
enfin à un monde qui a plus de réalité, tel qu'en lui-même. Oui,
peut-être n'est-il pas faux de dire qu'"il y a plus de
philosophie dans cent lieues de caravane que dans dix ans de lectures
et de méditation"27. La cruauté de la vie, sa fragilité, sa
vraie beauté ne nous échappent plus au terme de notre traversée du
désert. Non plus que les moyens de sanctifier nos vies. Il apparaît,
en fait, que, dans ce lieu d'épreuve de la foi, le Seigneur se venge
des infidèles, et éprouve celui qui invoque son nom. S'Il perd le
méchant28, Il réserve à l'homme de bonne foi de trouver un jour,
à son heure, son chemin. Contemple bien ton malheur, dit un proverbe
touareg ; dans ce désert, tu finiras par apercevoir une
oasis29... L'errance n'est donc pas sans fin, au désert comme
dans nos vies. Espérons.
"Au désert
Chacun rencontre son secret
Entouré
D'un secret plus grand"30.
Article paru dans Sénevé
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