J'ai découvert Charles de Foucauld il y a peu, à vrai dire à partir du moment où Harold m'a proposé de lire un peu de sa prose pour Sénevé. Je n'ai aucune prétention à dire des choses nouvelles et pertinentes sur Charles de Foucauld : je le connais encore trop peu. Je ne suis pas sûr d'intéresser qui l'aura déjà amplement médité, car je ne puis rapporter dans ces brèves lignes que ce que mon regard et mon esprit naïfs ont pu découvrir et suivre dans la lecture du bref ouvrage édité par Jean-François Six, Lettres et carnets (éd. du Seuil, Livre de vie). Que l'on me pardonne, donc, la simplicité de mes vues, c'est tout ce que je demanderai à mon lecteur.
Associer désert et Charles de Foucauld paraîtra sans doute une évidence pour certains ; pour moi, c'est moins clair, d'autant que je me suis penché sur un seul livre de Charles de Foucauld. Ce dernier, par sa forme, m'a plongé dans son intimité. Il y a certes dans ce livre des lettres, mais je dirais plutôt que ce sont tantôt des consolations, tantôt des paroles d'encouragement, tantôt des appels à l'aide adressés à son père spirituel, le Père Huvelin. Un certain nombre rapportent également son projet de fonder une nouvelle congrégation (les Petits Frères et Petites Soeurs du Coeur de Jésus). On y trouve encore des méditations, fort impressionnantes à vrai dire, dont une sur le Notre Père (p. 46-55), et quelques autres qu'il écrit en s'appuyant sur l'Evangile (l'une sur la "Pauvreté", une autre sur "Jésus présent dans l'Eucharistie"). Tout cela constitue la diversité de ce livre. On peut y sentir le coeur de Fr. Charles vivre, battre, brûler d'amour pour Jésus ; on le voit souffrir, se morigéner, s'accuser, en reconstituant des paroles du Christ destinées à lui, de ne pas l'aimer assez.
Voilà comment je pourrais présenter ce petit livre. Mais le désert dans tout cela ? Y-a-il une expérience du désert ?
"Toutes choses égales d'ailleurs, préférer la solitude à la société, le silence à la parole, la vie cachée à la vie publique, pour être plus semblable à Jésus" (p. 224).
Je voudrais tout d'abord commencer par cette brève méditation que l'on peut trouver vers la fin du recueil. Le mot "désert" n'y apparaît pas, et d'ailleurs il apparaît rarement dans le recueil. Sauf à l'occasion d'une expérience précise, lorsqu'il part en mission auprès des Touareg, puis au Maroc, pour apporter Jésus à ceux qui ne le connaissent pas encore, le "désert" n'est pas explicitement là.
Cependant, on peut déceler à travers tout le recueil une expérience. Fr Charles écrit : "ma vocation ordinaire, c'est la solitude, la stabilité, le silence" (p.178). C'est le mot solitude qui pourrait résumer sans doute cette expérience. Certains savent qu'en latin solitudo veut dire aussi désert. C'est indéniablement là que se situe l'expérience du désert de Charles de Foucauld. Il s'agit de la solitude, de l'isolement, de la vie reculée. Cette vie se déroule dans un grand un grand dénuement ; Fr. Charles insiste par exemple sur son attachement à porter un vêtement de travail des plus vulgaires, lorsque vient pour lui le moment d'entrer en sacerdoce, qui implique de porter un autre habit. Cette vie est surtout la vie de Nazareth qu'il a vécue longtemps auprès de couvents, là où Jésus a vécu jadis. Cette vie de Nazareth est l'imitation de la vie cachée de Jésus. On a là une constante absolue, fondamentale de la vie de Charles de Foucauld : l'imitation de Jésus. Elle consiste en humilité, abjection et amour. Toute l'expérience du désert, de solitude de Fr. Charles est consacrée à Jésus, consiste à suivre les pas de Jésus dans ses années de silence, avant son ministère public.
On peut ainsi repérer plusieures façons de vivre le désert chez lui. Curieusement, ce n'est pas précisément les jours que Jésus a passés au désert qui ont le plus marqué Charles de Foucauld. Certes, lui aussi pratique de fréquentes retraites, passées dans la grotte de Bethléem, par exemple, mais toujours devant le Tabernacle, à ses pieds. Sa solitude est souvent une solitude nocturne, pour prier comme le Seigneur priait le nuit venue, après s'être retiré. Sa solitude est une solitude loin des hommes qui par leurs actes blessent le coeur de notre Seigneur, mais près du Corps de Jésus. Outre cela, Fr. Charles a fait le choix d'une vie cachée, dans un cabanon un temps auprès de couvents, humblement habillé et travaillant à des tâches ingrates. Enfin, il fait aussi l'expérience du désert dans ces contrées où le Christ n'a pas encore été introduit, parmi les Touareg et au Maroc. Il y est seul parce qu'il part seul en mission, mais surtout parce qu'il ne peut pas célébrer la messe (Charles de Foucauld est prêtre à partir du 9 juin 1901), étant sans fidèles. Il ne peut pas se réfugier auprès du Christ présent dans l'Hostie consacrée.
Je n'en dirai pas plus sur Charles de Foucauld. Il y a à découvrir et à dire encore, sur d'autres points. En tout cas, je laisse la dernière parole à celui qui, de toute façon, dira mieux que moi ce qu'est le désert selon lui dans la vie du chrétien (il s'agit d'une lettre écrite au Père Jérôme, un de ses amis faisant ses études à Rome) :
"Votre occupation maintenant, c'est de vivre seul avec Dieu seul, c'est
d'être, jusqu'à votre sacerdoce, comme si vous étiez seul avec Dieu dans
l'univers... Il faut passer par le désert et y séjourner pour recevoir la
grâce de Dieu... C'est là qu'on chasse de soi tout ce qui n'est pas Dieu...
Il faut à l'âme ce silence, ce recueillement, cet oubli de tout le créé au
milieu desquels Dieu établit en elle Son Règne et forme en elle l'esprit
intérieur, la vie intime avec Dieu... la conversation de l'âme avec Dieu
dans la foi, l'espérance et la charité...Plus tard, l'âme produira des
fruits exactement dans la mesure où l'homme intérieur se sera formé en
elle... Si cette vie intérieure est nulle, il y aura beau avoir du zèle, de
bonnes intentions, beaucoup de travail, les fruits sont nuls ; c'est une
source qui voudrait donner la sainteté aux autres, mais qui ne peut, ne
l'ayant pas : on ne donne que ce qu'on a. C'est dans la solitude, dans cette
vie seule avec Dieu, dans ce recueillement profond de l'âme qui oublie tout
le créé, que Dieu se donne tout entier à celui qui se donne ainsi tout
entier à Lui..." (p.128)
Article paru dans Sénevé
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