Fidélité du chrétien
La foi vécue, selon Benoît XVI
Servane Michel
« Comme l'existence chrétienne n'est pas un art spécial parmi
d'autres, mais simplement l'existence humaine vécue comme il faut,
(...) nous voulons exercer l'art de vivre droitement, nous voulons
mieux comprendre l'art des arts, l'art d'être un
homme »1.
Le Saint-Père vous parle.
Ces paroles de celui qui était alors le cardinal Ratzinger suggèrent au
chrétien qui veut être fidèle à sa foi que son chemin est un chemin
profondément humain. C'est pourquoi l'effort pour répondre à l'appel de
Dieu doit tendre à une unité de plus en plus grande de toute la personne,
où la foi s'exprime en chaque dimension de l'être.
1- « Ce n'est pas vous qui
m'avez choisi »2. La foi comme réponse
L'acte de foi ne consiste pas en un choix de vie ni en une opinion
personnelle, mais dans la réponse libre à un appel. Dieu parle à
tout homme d'abord par la « soif d'infini [qui] fait partie de la
nature humaine»
3, c'est
elle qui témoigne que l'existence est plus qu'un calcul de plaisirs
et de peines. Pourtant nous sommes réticents à accepter tout ce qui
semble remettre en cause notre autosuffisance, tout ce qui nous
déplacerait de la confortable position de juge à celle
d'indigent
4. C'est pourquoi, face à
l'« agnosticisme tranquillisé » qui caractérise notre époque, le
chrétien doit entretenir en lui « vigilance pour les plus profondes
dimensions du réel », afin de comprendre toujours mieux la
révélation de Dieu dans sa Création, « interrogations sur la
totalité de notre existence humaine », afin d'y déceler à chaque
étape les appels de Dieu, et enfin « humilité devant la grandeur de
la vérité et disponibilité pour se laisser purifier par elle et
pour elle »
5. Il lui faut accepter
aussi toutes les voies par lesquelles Dieu choisit de se révéler :
la confiance, attitude fondamentale de toute relation humaine,
désarme l'orgueil et attire la grâce de Dieu. Confiance d'abord en
sa Parole : à l'heure de la fatigue et du doute, la solution n'est
pas de remettre en cause intellectuellement certains aspects de la
foi (ceux qui nous gênent...), mais au contraire de s'abandonner
humblement à Celui qui s'offre sans s'imposer. Confiance dans ses
amis sur terre : « Il y a toujours des saints cachés qui reçoivent,
dans la communion avec Jésus, un rayon de son éclat, une expérience
de Dieu concrète et réelle »
6. Cette
humilité encore permet d'accepter que la sainteté n'est pas donnée à celui pour qui les vérités de la foi sont une évidence intellectuelle, mais à celui qui vit la vie du Christ.
C'est ainsi que la vie du chrétien est pour les autres un écho de l'appel de Dieu : la fidélité des uns dans la foi soutient la fidélité des autres. La vie de foi est donc d'elle-même témoignage, mais pas seulement de manière inconsciente. En effet la fidélité du chrétien n'est pas un effort solitaire de perfectionnement personnel, et l'appel du Christ comprend explicitement l'envoi en mission : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez, que vous donniez du fruit, et que votre fruit demeure ».
2- La fidélité comme témoignage
« Le témoin doit tout d'abord, avant de faire quelque chose, devenir ami de
Jésus-Christ, s'il ne veut pas se contenter de transmettre des
connaissances reçues d'un autre. »
7 Le témoignage du
chrétien n'est pas l'exposé brillant et persuasif d'une doctrine bien
assimilée ; il est en cela significatif que Benoît XVI, éminent théologien,
ait voulu ouvrir son pontificat sur ces mots « Nous avons reconnu et nous
avons cru que l'amour de Dieu est parmi nous (1 Jn,
4, 16)
»
8. Si le pape a
désarmé, dès les premiers jours, les batteries lourdes des préjugés
médiatiques, c'est parce qu'il est apparu non comme l'intransigeant
défenseur de vérités qui dérangent — charge qu'il ne renie pas? — mais
comme un humble disciple du Christ chargé par Lui de Le représenter sur
terre. Or, « Dieu est amour »
9... « C'est parce qu'ils ne le savaient pas
seulement en théorie, mais le portaient en eux comme une perception
vivante, gravée en lettres de feu dans leur âme, que les apôtres étaient
remplis de joie »
10. Dans ces conditions, la transmission de la foi porte du fruit dans
la mesure où elle est l'expression naturelle d'une réalité vécue. Le
cardinal Ratzinger rappelait que « l'Église primitive, à la fin de l'ère
apostolique, [...] n'avait pas de stratégie propre de l'annonce de la foi
aux païens. Pourtant, cette époque fut celle du plus grand succès
missionnaire. [...] Inversement, l'apostasie du monde moderne repose sur la
disparition de la constatation de la foi dans la vie des
chrétiens. »
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Le témoin n'en est pas pour autant passif. Celui qui a trouvé le bonheur ne
peut le garder pour lui et éprouve le besoin de le partager, selon un
sentiment tout naturel. C'est ainsi que réagit la Samaritaine : elle
rapporte ce qui lui est arrivé avec Jésus, et comment elle a reconnu en lui
le Messie. Les habitants du village croient « à cause des paroles de la
femme », c'est-à-dire de seconde main. Mais, après avoir à leur tour
rencontré personnellement le Christ, ils déclarent : « ce n'est plus sur tes
dires que nous croyons ; nous l'avons nous-mêmes entendu, et nous savons
que c'est vraiment lui le Sauveur du monde »
12. « Dans la rencontre vivante, la foi est devenue connaissance,
"savoir" »
13. C'est ainsi qu'agit
le disciple : il témoigne de sa rencontre personnelle avec son Dieu et
amène ses proches à connaître cette expérience. C'est ensuite à la grâce
d'agir en chaque âme, et la fidélité du chrétien consiste à s'effacer
devant le Christ. À la tentation de chercher un succès personnel, de voir
les fruits de son travail, il faut répondre par un retour permanent auprès
du maître d'oeuvre, pour ne jamais chercher que sa volonté. C'est seulement dans l'union des volontés, c'est-à-dire dans l'amour, que le disciple peut rester fidèle à son maître.
3- « Demeurez dans mon amour »14 : à l'école du Christ
Le chrétien a pour exemple les Apôtres : la foi de Pierre est vive et son
amour ardent, mais son zèle n'est pas toujours fidèle à l'esprit du
Christ. Ainsi, après la profession de foi sur les bords du lac de
Tibériade, il cherche à détourner son Maître du chemin de la
Croix. « Pierre avait voulu décider lui-même, par avance, du chemin de
Jésus. Suivre le Christ, ce n'est plus chercher seul son chemin ; c'est
faire don de sa propre volonté pour adopter celle de Jésus et lui céder
vraiment le pas. »
15 L'amour
en effet, consiste non pas à trouver dans la relation à l'autre son
plaisir, mais à parvenir à une identité de volonté : « devenir l'un
semblable à l'autre, ce qui conduit à une communauté de volonté et de
pensée. [...] la volonté de Dieu n'est plus pour moi une volonté étrangère,
que les commandements m'imposent de l'extérieur, mais elle est ma propre
volonté, sur la base de l'expérience que, de fait, Dieu est plus intime à
moi-même que je ne le suis à moi-même »
16. La vérité de foi selon laquelle
Dieu est amour n'est plus l'objet d'une stricte adhésion intellectuelle,
mais une réalité vécue par la personne tout entière, dans l'unité
progressive de toutes ses facultés, intelligence, volonté,
sensibilité. Mais ce processus demande une vigilance, celle qui maintient
le regard sur le Christ et ne cherche pas à compter ses propres
forces. L'épisode de Jésus marchant sur les eaux est significatif : « tant
que [Pierre] regarde Jésus, il avance sans entrave. Mais à l'instant où son
attention se fixe sur le vent et sur l'eau, il commence à couler (Mt
14, 28-32). Il suit un chemin qui contredit la pesanteur. [...]
Suivre le Christ veut dire : nous devons et pouvons prendre un chemin qui
suit une direction opposée à la pesanteur naturelle, à la pesanteur de
l'égoïsme, à la recherche de ce qui n'est que matériel et du maximum de
plaisir, souvent confondu avec le bonheur ». Et ce chemin aboutit à la
Résurrection, c'est-à-dire « au bonheur intégral et
indestructible ». « C'est la seule perspective qui explique pourquoi la
Croix fait aussi partie de cette école »
17. Si la Résurrection est le fondement de notre
foi, la Croix est le chemin qui éprouve notre fidélité. Mais l'inquiétude
n'a pas sa place dans l'effort du chrétien : « on se tromperait si l'on se
représentait le chemin de la foi simplement comme un processus rectiligne
de progrès. Il est si étroitement lié à notre vie, qui connaît toutes
sortes de hauts et de bas, qu'il y a toujours des retours en arrière qui
obligent à prendre un nouveau départ »
18. La fidélité de Pierre a connu des épreuves mais elle a triomphé
parce qu'il a su, à temps, « regarder le Christ ».
Triomphe de la fidélité de Pierre
« Demandons-lui de nous donner le courage de descendre de la barque de nos
certitudes, et de nos réticences terrestres, et de nous lancer sur les
eaux. Demandons-lui de nous tendre les mains au bon moment, de nous prendre
par la main et de monter dans notre barque. Remercions-le de nous avoir
appelés pour être auprès de lui et le servir »
19.
S.M.