À la découverte des églises viennoises (2) : Le Stephansdom

Sylvain Perrot


Dans la rubrique des églises de Vienne, laissez-moi vous convier dans la cathédrale St Étienne, ou Stephansdom pour les intimes. Elle est sise au coeur historique et géographique : l'urbanisme viennois a ceci de particulier qu'on ne découvre la cathédrale qu'à une petite centaine de mètres, tant elle est enclavée au milieu de hauts immeubles, qui datent aussi bien du Moyen-Âge que du XXième siècle.

Devant la cathédrale


Étienne et Stéphane



Le français a ceci de particulier qu'il fait cohabiter deux prénoms qui sont en fait, dans l'Antiquité, un seul et même prénom. C'est le grec Stephanos qui donne les deux termes, le premier par déformation populaire, le second par une reprise exacte de la racine. Quoi qu'il en soit, il signifie «couronné». C'est un des premiers saints, et Saint Étienne est surtout connu pour ses épithètes de Protodiacre et Protomartyr. Il est considéré comme un grand fondateur de l'Église aux côtés des Apôtres, au point que son culte est pratiqué avec beaucoup de piété dans les pays germaniques : le 26 décembre en effet, jour de sa fête, est férié en Allemagne, en Autriche ainsi qu'en Alsace.

Le Protodiacre



L'existence d'Étienne est attestée dans les écrits canoniques où il est présenté comme un juif helléniste converti au christianisme — pensez à Saint Paul —, choisi avec six autres «hommes de bonne réputation, d'Esprit Saint et de sagesse» pour devenir les diacres chargés d'assister les apôtres. Le rôle d'Étienne dans l'organisation des premières communautés chrétiennes est fortement souligné dans les chapitres 6 et 7 des Actes des Apôtres.

En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, les Hellénistes se mirent à récriminer contre les Hébreux parce que leurs veuves étaient oubliées dans le service quotidien. Les Douze convoquèrent alors l'assemblée plénière des disciples et dirent : «Il ne convient pas que nous délaissions la parole de Dieu pour le service des tables. Cherchez plutôt parmi vous, frères, sept hommes de bonne réputation, remplis d'Esprit et de sagesse, et nous les chargerons de cette fonction. Quant à nous, nous continuerons à assurer la prière et le service de la Parole.» Cette proposition fut agréée par toute l'assemblée : on choisit Étienne, un homme plein de foi et d'Esprit Saint, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, prosélyte d'Antioche ; on les présenta aux apôtres, on pria et on leur imposa les mains1.

Étienne devient rapidement un personnage soit admiré, soit fortement haï à Jérusalem. C'est un érudit d'une exceptionnelle intelligence et un brillant dialecticien qui confond ses adversaires. En outre, il accomplit des «prodiges et des signes remarquables parmi le peuple2».

Érudit, il vient facilement à bout d'un débat qui se tient à la synagogue des Affranchis, lieu de culte des descendants de Juifs emmenés en esclavage par Pompée puis libérés. Devant le Sanhédrin, on confronte alors Étienne à de faux témoins qui l'accusent de quatre blasphèmes : contre Dieu, contre Moïse, contre la Loi et contre le Temple de Jérusalem, lieu saint. Dialecticien, Étienne se disculpe de ces accusations en résumant l'histoire d'Israël, dans laquelle il loue à trois reprises le Dieu de gloire, puis Moïse pour sa ferveur, les miracles qu'il a accomplis et pour sa relation très particulière à Dieu ; à trois reprises il loue aussi la Loi, en tant qu'elle vient de Dieu, est transmise par Moïse et donne la vie. La fin du discours d'Étienne, qui est relatée dans tout le chapitre 7 des Actes, est une louange du Temple, commandé par Dieu et construit par Moïse.

Le Protomartyr



Au verset 51, le discours d'Étienne change brutalement de ton : c'est une violente invective contre l'assemblée du Sanhédrin ; Étienne reproche à ses juges la dureté de leurs coeurs et la persécution des prophètes. Interpelés comme des hommes au cou raide, coeurs et oreilles incirconcis, tous se précipitent sur Étienne, le traînent hors de Jérusalem et le lapident à mort. Étienne tombe à genoux et n'a que prières et paroles de pardon à la bouche : «Seigneur Jésus, reçois mon esprit. Seigneur, ne leur impute pas ce péché.»

Saint Étienne, dans des écrits postérieurs, est présenté comme un thaumaturge. C'est le cas notamment dans la Légende dorée de Jacques de Voragine, ouvrage médiéval qui suit l'ordre de l'année liturgique et explicite les fêtes célébrées. L'histoire de Saint Étienne se trouve évidemment juste après la naissance du Seigneur.

Les restes du Saint, à l'origine à Jérusalem, se trouvent maintenant à Rome, dans l'église de Saint-Laurent-hors-les-Murs, avec ceux du Saint éponyme.

Un chef d'oeuvre gothique



Historique



Dans la première moitié du XIIIième siècle, une église romane remplace une première basilique3, romane elle aussi. De cette seconde église, d'un roman tardif, il ne subsiste aujourd'hui que le portail occidental.

La construction de l'édifice gothique a débuté au XIVe siècle. Le choeur est achevé en 1340. La nef, le transept et la tour sud sont construits entre 1359 et 1511. Entretemps, l'église est devenue cathédrale (1469). La tour nord, laissée inachevée4 (elle ne fait que 61 mètres), est coiffée de cuivre en 1556. C'est cette tour qui abrite depuis 1957 la Pummerin, nom donné à un bourdon de 21 tonnes... Elle se trouvait avant dans la tour Sud, mais son oscillation avait causé quelques dégâts !

Incendiée en 1945, la cathédrale est restaurée à partir de 1952.

Entrons dans la cathédrale


Architecture extérieure



Caractéristique des églises autrichiennes, la toiture est faite de tuiles multicolores qui dessinent, côté nord, un aigle à deux têtes accompagné de la date de restauration, 1831. L'aigle à deux têtes est le symbole de l'Empire autrichien.

La façade occidentale, par où l'on rentre aujourd'hui, assemble des éléments disparates. Le portail des Géants, reliquat de l'époque romane, est ainsi nommé car on trouva à son seuil un os énorme, qui en fait appartenait à un mammouth... La frise de dragons, d'oiseaux et de lions qui le décore date de 1805. Le tympan figure un Christ en gloire, accompagné de deux anges. Une autre curiosité est à remarquer : sont intégrées dans les murs des anciennes pierres tombales ou stèles votives, ce qui crée une certaine surprise. Cette façade est flanquée des deux «tours des païens».

La tour sud, qui culmine à 137 mètres du sol, est de style gothique flamboyant, commencée en 1359 et achevée en 1453. Il s'agit d'une longue flèche de pierre dentelée, ce qui lui donne de la légèreté. Ceux qui connaissent la cathédrale de Strasbourg, et il y en a, comprendront de quoi je parle ! Pour tous les Viennois, elle porte le petit nom de Steffl, abréviation du saint éponyme.

Au détour de la cathédrale on trouve une statue dédiée à St Jean Capistran, moine italien franciscain canonisé pour son action dans l'évangélisation de l'Europe centrale.

Architecture intérieure



Le vaisseau de cette cathédrale est proprement majestueux : long de 170 m et large de 39 m, il en impose par sa sérénité. Après un narthex de deux travées, augmenté de chapelles latérales5, on trouve une nef de quatre travées (107 m) dotée de voûtes en étoile complexes. Les collatéraux sont d'une largeur quasiment égale à celle du vaisseau principal, ce qui donne vraiment cette impression massive. Le collatéral droit s'achève sur l'abside dite «choeur des Apôtres» qui abrite le tombeau en marbre rouge de Salzbourg de Frédéric III, où est illustrée la lutte du Bien contre le Mal ; le collatéral gauche s'achève lui sur le «choeur de la Vierge» avec le retable de Wiener Neustadt, du XVième siècle : l'intérieur représente un Couronnement de Marie et une Vierge à l'enfant.

Au revers de la façade, l'orgue, supporté par une tribune qui forme une sorte d'arche au-dessus de l'entrée, est surmonté d'une large baie.

Incontournable dans la nef est la splendide chaire de pierre (grès) réalisée par Anton Pilgram au début du XVIième siècle. Il y a représenté les bustes des quatre pères latins de l'Église : Ambroise, Jérôme, Grégoire et Augustin. Petite curiosité : le sculpteur s'est représenté sous la rampe, aisément reconnaissable par l'équerre et le compas qu'il tient à la main...

Incontournable


Anton Pilgram


En fait, on ne retrouve pas la disposition commune au gothique français, le choeur avec déambulatoire et chapelles rayonnantes. Le choeur en effet est encadré de deux absidioles, qui forment l'extrémité des deux collatéraux.

Conclusion



Lorsque l'Autriche est entrée dans la zone euro, elle a pris le parti pour les pièces de 10, 20 et 50 cts de faire figurer une histoire en raccourci de son architecture. Ce n'est pas étonnant que cette histoire débute avec le Stephansdom, qui est un peu le symbole de la ville de Vienne. Elle a subi les âffres de différentes guerres, mais elle est toujours restée debout, à l'image de la fierté viennoise. Cette évolution de l'architecture, qui d'ailleurs est flagrante à chaque coin de rue, se poursuit sur les pièces par une représentation du Belvédère, résidence d'été du Prince Eugène de Savoie (XVIIIième siècle) et enfin par le pavillon de la Sécession, qui lui incarne une certaine vision de l'art au XXième siècle.

La cathédrale est vraiment au coeur de la vie des Viennois, au même titre que la piété : le Stephansdom peut accueillir jusqu'à une dizaine de messes le dimanche... Je ne pourrai malheureusement pas vous raconter la célébration de minuit du 24 décembre, la Chrismette, au Stephansdom, car je me trouvais à ce moment-là dans l'Augustinerkirche, l'église des Augustins, qui a ceci de particulier que tous les dimanches à 11 heures l'office est célébré avec musique sacrée (Mozart, Haydn, etc...). C'est d'ailleurs cette église que je vous proposerai de découvrir la prochaine fois...

S. P.
Index du numéro.