Du nouveau sur saint Denis.

Philippe Saudraix


Saint-Denis ? Vous avez certainement toujours voulu en savoir plus sur ce personnage qui a donné son nom à une abbaye, à une basilique, à une préfecture et même à un évêché. Si vous avez toujours préféré être ignorant, heureusement, les derniers résultats de la recherche sont là, pour vous, en exclusivité.

Voici le récit de la Tradition. En l'an de grâce 96 après l'Incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ, un évêque chrétien arrive en Gaule avec un groupe de missionnaires : il s'agit de Denys l'Aréopagite, c'est-à-dire Denys formé sur l'Aréopage par saint Paul, donc un témoin très proche de l'âge apostolique et de surcroît le premier évêque d'Athènes. Avec lui, six compagnons, qui ont aussi la dignité épiscopale. Il arrive à Lutèce et prêche publiquement la Bonne Nouvelle. Comme ça plaît moyennement aux prêtres des temples païens de la ville, ceux-ci en réfèrent à l'empereur du moment, lequel envoie des troupes. Au moment où il annonçait la Résurrection du Christ, Denis est arrêté avec Rustique et Éleuthère. Ils sont amenés au préfet Sisinnius Fesceninus, qui leur donne le choix entre se soumettre à l'empereur et mourir. Ils refusèrent de choisir : nul ne pouvait les livrer à la mort, disaient-ils, car le Christ leur donne la vie ; nul ne pouvait les soumettre à l'empereur, ajoutaient-ils, car le Christ règne. Ne comprenant rien à leur galimatias, le préfet décide de les mettre à mort. Cela s'est fait sur une butte, ils n'ont pas réussi à arriver en haut de la colline, le serviteur étant toujours plus petit que le maître. Mais, pour ne pas donner raison à son meurtrier, une fois décapité, Denis prend sa tête et grimpe au sommet de ladite butte. Comme il trouve sa tête un peu sale, il la lave dans une source, puis continue son chemin et se laisse tomber par terre. Une bonne veuve l'enterre, du blé sort immédiatement de sa tombe. Plus tad, ayant appris tous ces événements, sainte Geneviève se rend là-bas et y fonde une basilique : c'est la première église de Saint-Denis, fondée au Vième siècle. Le bon roi Dagobert, voulant rendre grâce de l'intercession de saint Denis, ajoute une abbaye bénédictine en 626. Le bâtiment actuel date du XIIième siècle, avec une restauration par Viollet-le-Duc entretemps.

Saint Denis : après Dagobert et Viollet-le-Duc


Ainsi, le lieu actuel d'inhumation de saint Denis est parfaitement identifié : il suffit de prendre en considération la continuité de la basilique de Saint-Denis du Vième siècle à nos jours. Mais des zones d'ombres subsistent, en dépit du récit composé par Jacques de Voragine au XIIIième siècle. La première d'entre elles est une futilité chronologique : d'après des sources indubitables, l'empereur qui a donné l'ordre d'en finir avec les troubles occasionnés par les chrétiens à Lutèce est Dèce, qui règne de 249 à 251 et qui lance une grande persécution vers 250. Le martyre de saint Denis, saint Rustique, saint Éleuthère et leurs compagnons a eu lieu en 250. Or, un homme qui a connu saint Paul a nécessairement plus de 40 ans en 96 : le martyre de saint Paul a eu lieu en 67 ou 68, la prédication de saint Paul à Athènes a eu lieu vers 57 ou 58 ; si l'on suppose que Denis a environ 10 ans à cette époque, cela lui fait près de 40 ans en 96. S'il a 40 ans en 96, cela lui fait près de 154 ans en 250. Une longévité remarquable ! À moins de supposer que, par une grâce particulière du Seigneur, Denis a vécu très vieux, la raison raisonnante préférera penser que l'homme qui est arrivé en 96 à Lutèce et l'homme qui est mort à Lutèce en 250 sont deux personnes différentes. Peut-être Denys l'Aréopagite s'est-il rendu à Lutèce en 96, mais on ne pourra jamais le prouver. Ce qui est en revanche certain, c'est que l'histoire des sept évêques s'est déroulée au IIIième siècle : d'après Grégoire de Tours, ils auraient été envoyés d'Italie pour porter la Bonne Nouvelle en Gaule. Donc saint Denis, saint Rustique et saint Éleuthère ne sont pas arrivés à Lutèce en 96, mais ils y sont morts en 250, le 9 octobre très exactement.

Deuxième difficulté : étant donné que saint Denis a fini par être enterré à Saint-Denis, où son martyre a-t-il eu lieu ? La linguistique peut nous aider : la persécution de Dèce en 250 a été un événement particulièrement sanglant et il semblerait que les compagnons de saint Denis aient été plutôt nombreux à avoir connu le martyre. Souvenons-nous qu'à Lutèce, cette persécution est liée à la première grande annonce de la Bonne Nouvelle : les Lutéciens ne devaient pas avoir l'habitude de voir autant de gens donner leur vie pour témoigner de leur foi et ceux d'entre eux qui avaient été touchés par la grâce de la conversion, ne pouvaient qu'accorder une grande importance à ce témoignage par le sang du martyre. Or, il n'y a pas 36 buttes près de Lutèce et l'une s'appelle justement Montmartre, Mons Martyrum, le Mont des Martyrs : il est donc probable que le Mont des Martyrs ait été le lieu du martyre de saint Denis et de leurs compagnons. Ceci est corroboré par un fait : sur ce mont a été construite à partir de 1876 la basilique du Sacré Coeur de Montmartre, grand lieu de pèlerinage parisien. Je ne sais s'il faut tirer une conclusion de ce que les bénédictines du Sacré Coeur de Montmartre ont aussi à leur charge la basilique Notre-Dame des Victoires, où est honorée l'Immaculée Conception2. Selon des gens très informés, saint Denis aurait été décapité au niveau de l'actuelle rue Yvonne Le Tac.

...décapité dans la rue Yvonne Le Tac...


Troisième difficulté : que faut-il entendre par une prédication publique de saint Denis ? L'on connaît une bonne partie du trajet de son martyre. De façon tout à fait ordinaire, saint Denis et ses compagnons sont incarcérés dans la prison dite de Glaucus, sur l'île de la Cité, au niveau de l'actuel marché aux fleurs. Ils ont été torturés à la pointe Est de l'île, donc au niveau de l'actuel square de l'Île de France. Puis ils se rendent à pied jusqu'à la butte Montmartre, hors des murailles de Lutèce. La direction générale de leur martyre est donc Sud-Nord : il faut chercher le lieu de prédication, et donc d'arrestation, au Sud de l'île de la Cité. Ceci n'est pas complètement absurde, car, une prédication, pour être efficace, doit avoir lieu là où il y a le plus de monde. Or, qu'est-ce que Lutèce au IIIième siècle ? Plus qu'un village de pêcheurs, mais pas encore << la plus prodigieuse cité de l'univers >> : depuis l'île de la Cité, la ville s'est étendue en rive gauche de la Seine et c'est dans ces quartiers Sud qu'ont lieu les grandes opérations d'aménagement urbain de l'époque. Le grand palais des Thermes, édifié par Constance Chlore (empereur de 293 à 306) n'existe pas encore, mais c'est dans ce quartier, au pied de la montagne Sainte-Geneviève, qu'a lieu tout ce qui se fait de nouveau à Lutèce : le grand chantier des années 240-250 est celui des Arènes de Lutèce. Il est donc légitime de supposer que saint Denis et ses compagnons se soient installés près de cette zone neuve. Mais ils n'ont sans doute pas prêché en plein centre-ville, à l'intérieur des murailles : même s'ils sont conscients que c'est courir au devant du martyre qu'annoncer cette folie, le Verbe s'est fait vraiment homme, Il est mort pour nos péchés, par Sa mort, il a vaincu la mort et par Sa Résurrection, il nous donne la vie, ils ont dû être suffisamment prudents pour s'installer dans un faubourg. Pour que les prêtres des temples païens aient réagi en allant jusqu'à avertir l'empereur en personne, il faut que le succès de la mission ait été grand (ce qui est d'ailleurs confirmé par le grand nombre des martyrs) et dérangeant, donc le lieu de prédication est un endroit où l'on est susceptible de toucher du monde et suffisamment près du coeur de Lutèce pour déranger des intérêts. Or quel est l'endroit idéal, qui répond à tous ces critères ? Tout simplement, les carrières du grand chantier de l'époque, les carrières des Arènes de Lutèce. Où ces carrières se situaient-elles ? Dans ce qui est devenu bien plus tard, le faubourg Saint-Jacques, sur les pentes sud-est de la montagne Sainte-Geneviève : c'est précisément au-dessus de ces carrières qu'ont été bâtis les locaux de l'École normale supérieure en 1846. L'on s'en rend compte aujourd'hui, à l'heure où il est nécessaire de consolider la cour aux Ernests qui s'effondre. Donc saint Denis prêchait à l'École normale supérieure. Il y a plus, il est tout à fait légitime de considérer que le lieu exact de son arrestation a été la cave tala. En effet, pourquoi les talas auraient-ils choisi cette cave humide comme lieu de réunion, si ce n'est pour se retrouver au plus près du premier évangélisateur et du premier martyr de Paris ? On aura beau jeu de m'objecter qu'avant cette cave, il y avait une chapelle, qui a servi comme lieu de culte pour les talas, mais aujourd'hui habitée par notre princesse Marie-Amélie.

...il y avait une chapelle...


Première réponse à l'objection : depuis que cette chapelle a été retirée au culte, aucun tala ne tient véritablement à ce qu'elle soit à nouveau érigée en chapelle ; si les talas tiennent autant à leur cave, c'est qu'ils y sont appelés par l'Esprit Saint sous l'intercession de saint Denis. Deuxième réponse à l'objection : le principe est bien connu qu'avec le temps les bâtiments s'enfoncent. Cette carrière à ciel ouvert s'est donc enfoncée : au IIIième siècle, la chapelle était quelque part dans les cieux et la cave était à l'air libre. Aucun des hagiographes de saint Denis ne mentionne à son égard un don de lévitation, donc saint Denis ne devait pas prêcher suspendu dans les airs. Par ailleurs, point n'est besoin en effet de supposer que saint Denis prêchait en sous-sol : il n'était pas suffisamment idiot pour annoncer aux gens une bonne nouvelle en s'enfermant dans un souterrain. Une bonne nouvelle, ça se crie sur les toits et les carrières de la montagne Sainte-Geneviève étaient des carrières à ciel ouvert. Il est donc acquis que la cave tala est le lieu historique de prédication et d'arrestation de saint Denis. Un archéologue aurait d'ailleurs découvert un dessin étonnant dans cette cave, derrière le rideau installé par les talas soucieux manifestement de le conserver : trois poissons en cercle. De quoi peut-il s'agir, sinon d'un symbole chrétien, employé par saint Denis et tracé dans cette cave par quelque néophyte dans l'ardeur de sa foi juvénile ? Le poisson, Echtus, le Christ ; trois poissons, la Trinité, les trois mysères de l'Incarnation, de la Passion et de la Résurrection ; trois poissons en cercle, la Trinité comme le tout de la Création parfaite, le Christ, alpha et oméga, accomplissement de la Création, le Règne de l'éternité.



P.S.




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