Prier : croire passionnément au possible


Voici quelques extraits du Traité du désespoir de Kierkegaard au sujet de la prière.

Le déterministe, le fataliste sont des désespérés qui ont perdu leur moi, parce qu'il n'y a pour eux plus que de la nécéssité. C'est la même aventure qu'à ce roi mort de faim, parce que sa nourriture se changeait toute en or. La personnalité est une synthèse de possible et de nécéssité. Sa durée dépend donc, comme la respiration (re-spiratio), d'une alterance de souffle. Le moi du déterministe ne respire pas, car la nécéssité pure est irrespirable et asphyxie bel et bien le moi(...). Le fataliste est sans un Dieu, autrement dit, le sien, c'est la nécéssité; car à Dieu, tout étant possible, Dieu c'est la possibilité pure, l'absence de la nécéssité. Par suite, le culte du fataliste est au plus une interjection et, par essence, mutisme, soumission muette, impuissance de prier. Prier, c'est encore respirer, et le possible est au moi, comme à nos poumons l'oxygène. Pas plus qu'on ne respire l'oxygène ou l'azote isolés, pas davantage le souffle de la prière ne s'alimente isolément de possible ou de nécéssité. Pour prier, il faut ou un Dieu, un moi -et du possible, ou un moi et du possible dans son sens sublime, car Dieu c'est l'absolu possible, ou encore la possibilité pure c'est Dieu; et seul celui qu'une telle secousse fit naître à la vie spirituelle en comprenant que tout est possible, seul celui-là a pris contact de Dieu. C'est parce que la volonté de Dieu est le possible, qu'on peut prier; si elle n'était que nécéssité, on ne le pourrait, et l'homme serait de nature sans plus de langage que l'animal.(...)

Dans le possible, le croyant détient l'éternel et sûr antidote du désespoir; car Dieu peut tout à tout instant. C'est là la santé de la foi qui résout les contradictions.


Article paru dans Sénevé


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