Combien de fois hésitons-nous à prier parce que nous avons peur de ne pas
savoir quoi dire ? Combien de fois notre prière, qui devrait être un
dialogue silencieux de l'âme avec Dieu, n'est qu'une adoration muette, un
silence inhabité ? Comment résoudre ce paradoxe de la prière, dans lequel
elle est certes un dialogue, mais un dialogue qui ne prend jamais sens à
partir de la multiplication des paroles, vain bruit qui réduirait notre
oratio à une causerie mondaine ?
Ouvrons l'Évangile de Matthieu au célèbre chapitre 6 : de l'aumône, de la
prière, du jeûne et de la providence divine. Tout y est humilité,
patience, confiance totale dans le Dieu créateur qui nous connaît comme
son oeuvre, qui prend soin de nous à chaque instant avant même que nous
le
Lui demandions. Tout y semble simple, mais d'une simplicité que nous
n'atteindrons jamais facilement, une simplicité qui, atteinte, ne serait
pas la paresse que le doute nous fait d'abord voir en elle, mais rien
d'autre que la sainteté du coeur.
Si nous faisons l'aumône, faisons-la sans attendre de récompense en
nature ; n'attendons pas le contre-don des hommes ; faisons l'aumône par
amour du prochain, par humilité devant Dieu qui, s'il ne récompense pas
comme nous le voudrions parfois, n'oublie pas ce sacrifice du coeur.
De même pour la prière. Ne considérons pas la prière comme une action
humaine parmi d'autres, comme une activité bien ordonnée dans les cases de
notre emploi du temps mental. Ne cherchons pas à faire de notre prière une
activité définie dans le temps et l'espace. Prions dans le secret, fermons
les portes, tant celles de nos maisons que celles de nos sens, et
ouvrons-nous à Dieu. Mais une fois que nous en sommes arrivés là, comment
prier ?
Si Dieu nous voit dans le secret, si Dieu est présent dans la prière,
présent par l'attention qu'il nous porte personnellement, que pouvons-nous
lui dire, à Lui qui sait, qui voit, qui connaît qui nous sommes ?
Que lui demander ? - puisqu'il sait tout ce dont nous avons besoin.
Que lui dire ? - puisqu'il entend nos pensées avant même que nous les
fassions sortir du silence d'où elles naissent.
Point n'est besoin de parler beaucoup, de multiplier les mots : nous ne
communiquons pas avec l'Au-delà, aucune unité ne nous sera facturée,
puisque c'est Dieu lui-même qui est présent à notre coeur dans la
prière.
Ne prions pas comme les païens, qui disent l'amour par téléphone portable
en un déluge de mots. Aimons Dieu parce qu'Il est là, dans l'écoute
attentive qu'il exige de la part de ceux qui l'aiment.
Mais si le bavardage n'est pas la prière, l'adoration muette l'est encore
moins.
La prière doit être une contemplation active, une écoute volontaire, ou
alors nous perdons notre temps et nous moquons de Dieu, cet invité du
silence.
Jésus, qui connaît mieux son Père que nous ne le connaissons, a trouvé la
solution et, mieux encore, nous l'a communiquée. Une grâce extraordinaire
dont nous oublions souvent de le remercier. Cette solution, c'est le Notre
Père. D'aucuns seront tentés de soupirer : « Ah ! cette prière ! Dieu sait
si nous l'avons radotée, au catéchisme, à la messe, quand nous ne savions
pas encore prier comme des adultes !». Et pourtant, c'est la prière par
excellence, celle à laquelle toute prière devrait ressembler.
« Quand vous priez, dites Notre Père »
Cette prière est une demande qui est en fait une acceptation, une parole
qui est toute écoute, une prétention à un titre fantastique - celui
d'enfants de Dieu - qui est en même temps une soumission humble, une
appréhension qui se résout en confiance («ne nous soumets pas à la
tentation ; mais délivre-nous du mal.»).
Cette prière ne parle que pour entendre, ne demande quelque chose - le
minimum vital - que pour tout accepter. Elle accomplit le miracle d'être
parole et silence. Et ce qu'elle dit, qui pourrait se flatter d'en épuiser
le sens ? Qui, ne serait-ce qu'une fois dans sa vie, a réussi à rester
attentif, d'un bout à l'autre, au sens toujours nouveau que prennent ses
mots si simples ?
Cette prière nous apprend à recevoir plus qu'à demander : à nous recevoir
du créateur comme au premier jour.
« Parle, Seigneur, ton serviteur t'écoute »
Elle nous apprend l'humilité, et qu'il nous reste beaucoup à apprendre de
cette écoute vivante.
Et si prier c'était dire pour ne pas parler ?
Article paru dans Sénevé
Retour à la page principale