Alors le Seigneur Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme, qui s'endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Le Seigneur Dieu bâtit en femme la côte qu'il avait prise de l'homme.
La femme naît du sommeil de l'homme. Et sa naissance, qui est sa
connaissance, la fait surgir du rêve. Née du sommeil de l'homme, elle
est prise de son côté, de la profondeur cachée sous le coeur de
l'homme, part rêvée, insaisissable, enfouie, part du désir. La femme,
alors, est le désir de l'homme.
La femme est créée après l'homme: elle est son mystère, elle est aussi
son vis-à-vis. Elle est le sourire qui répond -l'achèvement. La
plénitude du ventre bombé -l'homme contemple en elle qui est homme la
création accomplie et achevée en l'homme, et la promesse faite à lui
de l'homme qui doit venir; c'est la femme qui porte cette promesse, en
son ventre, en son sourire, visage ouvert et clair, clarté de l'homme:
``elle est la gloire de l'homme"(1 Co XI, 7).
Et créée après l'homme, la femme aussi, mystérieusement, est avant
l'homme, comme l'alpha est avant l'oméga. La sagesse créatrice est
femme, elle qui porte dès l'origine le monde et la volonté de
Dieu. C'est que la femme, qui est le visage et le sourire de face de
l'homme, la contemplation de sa gloire, est aussi, en cette science,
qu'acquiert l'homme de lui-même en elle, sagesse antérieure et
inconsciente d'elle-même, non créée encore, nescience, mystère qui
réside auprès de Dieu avant les temps, dans la latence des mondes (Pr
VIII, 22 sqq.). Au commencement, la femme est le mystère de l'homme,
comme elle est à la fin son dévoilement à soi.
Telle est l'ostension des mondes, l'homme en face,
Et la femme le ventre rond à son côté
L'origine bombée à peine rêve en elle
Tandis que lui les yeux lointains fixe la fin.
Pierre Emmanuel, Le grand oeuvre, Hymne au Père, pp. 120-121.
Et l'homme vient ensuite, comme Dieu s'engendre éternellement un Fils
au sein de sa Sagesse Éternelle, comme de nouveau Marie engendre le
dernier homme, en qui se contemple enfin l'homme parfait.
C'est en ce jeu équivoque que se joue le mystère de la femme, qui est
au début de toute chose, et qui pourtant vient après l'homme comme sa
révélation; elle est le halo qui est le resplendissement. Elle est à
l'homme comme son ombre et son éblouissement, sa profondeur et son
éclatement, le centre et en même temps tout ce qui échappe à lui, la
brèche par où il se regarde. L'autre. Dieu en engendrant le Fils, en
créant la création, invente l'Autre, et ce dont il devient l'Autre. Et
tirant la femme de l'homme encore, il en fait l'image de lui-même; la
femme est l'image de Dieu, car elle est l'Autre, absolument
mystérieuse à l'homme. Elle est le vierge, ce qu'il faut violer pour y
pénétrer, ce qui est fermé et en même temps donne le vertige à force
d'être abyssalement ouvert. La brèche en lui, déclarant l'Autre si
infiniment loin de lui.
Article paru dans Sénevé
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