Eduquer par l'exemple ?

Anne-Hélène Klinger

Au moment où il entre dans la communauté chrétienne, le nouveau baptisé revêt un vêtement blanc, symbole de sa dignité de chrétien qu'il est encouragé à garder intacte tout au long de sa vie. On lui remet un cierge, signe qu'il doit ''vivre en enfant de lumière`` et il reçoit une onction d'huile qui le fait roi, prêtre et prophète. Tous ces signes l'invitent à être, à la suite du Christ, un exemple en acte de l'amour divin. Le début de la Lettre aux Thessaloniciens se fait l'écho du souci de Paul : faciliter, par con comportement, l'adhésion au Christ et le succès de sa mission se voit au rôle d'exemple que joue à son tour la nouvelle communauté : ''Et vous vous êtes mis à nous imiter, nous et le Seigneur, en accueillant la parole, parmi bien des tribulations, avec la joie de l'Esprit Saint : vous êtes ainsi devenus un modèle pour tous les croyants de Macédoine et d'Achaie 1`` . Mais si l'apôtre peut oser dire ''Montrez-vous mes imitateurs``, il explique aussitôt : ''Comme je le suis moi-même du Christ 2``.
Jésus formant ses disciples se donne-t-il en exemple ? a-t-il lui-même des modèles ? Est-il possible à l'éducateur chrétien de s'approprier la ''pédagogie`` du Seigneur ? L'Evangile de Jean est le seul à nous rapporter le lavement des pieds, au cours duquel Jésus, explicitement, accomplit un geste accompagné de l'ordre de suivre son exemple. De plus, la fréquence du thème de l'imitation au sein du quatrième Evangile incite à y rechercher quel rôle d'exemple y tient le Christ.


Jésus : un exemple atypique ? Les contemporains du Christ semblent l'assimiler bien souvent aux docteurs de la Loi. Ils lui donnent fréquemment le titre de rabbi. De fait, l'enseignement à la synagogue, au temple, est un aspect essentiel de l'activité de Jésus et il comporte un double aspect : une annonce du salut et un enseignement pratique, ce qui ne différencie pas en soi Jésus d'autres ''maîtres``. Sans cesse, on le compare aux prophètes ou aux patriarches. Comme le prophète, il est associé à la mission divivne tout en faisant preuve d'une obéissance complète à Dieu. Les signes qu'il accomplit suggèrent l'inspiration directe de Dieu. Le lavement des pieds même, parce qu'il choque les disciples et cherche ainsi à les ouvrir à la connaissance de Dieu, s'apparente aux geste prophétiques de l'Ancienne Alliance. L'évangéliste inscrit lui aussi le Christ dans cette histoire du peuple d'Israel. Jésus, dans son discours d'adieux aux disciples (du chapitre 13 au chapitre 17) évoque en filigrane Moise au mont Nébo. Sachant qu'il n'entrera pas dans la Terre Promise, Moise rappelle à Israel la Loi du Seigneur, l'invite à la fidélité et institue Josué son successeur. De même le Christ s'adressant longuement aux disciples annonce la venue de l'Esprit Saint. Cependant, l'analogie de la situation et le thématique commune de l'alliance font aussi ressortir la différence qui s'opère avec Jésus : ''S'il forme avec l'Esprit un couple analogue à celui de Moise avec Josué, la différence s'impose : l'Esprit ne succède pas proprement à Jésus, il intériorise dans les croyants leur lien avec le Fils glorifié 3``. De manière générale, les assimilations de révèlent réductrices et ne font que mieux ressortir l'originalité du Christ. Contrairement aux docteurs de la Loi, Jésus, chez Jean, cite peu les Ecritures. Mais la caractéristique de son enseignement, c'est qu'il est reçu du Père : ''La parole que vous entendez n'est pas de moi, mais du Père qui m'a envoyé 4``. Jésus révèle qu'il est à la fois le prophète par excellence, le Messie attendu et l'image parfaite du Père. Lui seul peut réaliser l'oeuvre du Père, conforme à sa volonté et rester parfaitement libre. Parlant de sa vie aux apôtres, il leur dit ''Personne ne me l'enlève, mais je la donne moi-même. J'ai pouvoir de la donner et j'ai pouvoir de la reprendre ; tel est le commandement que j'ai reçu de mon Père 5.`` Le secret de ce paradoxe apparent est l'union parfaite de Jésus et du Père. Jésus est appelé 'Fils de l'Homme`. Chez Daniel, cette expression désignait-elle le Messie ? Elle s'appliquait en tout cas à Israel idéal à venir. Le Christ 'Fils de l'Homme`, dans sa relation au Père devient le modèle de la relation qui unit les disciples au Christ et par lui, au Père. Il leur donne la vraie vie : ''La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. 6`` La mission du Christ est d'ouvrir ses disciples à une vérité qui est avant tout une relation entre personnes. ''Pour 'connaître la vérité`, il ne leur faut pas seulement entrer dans ses paroles, il leur faut, en quelque sorte, être unis à lui qui est la vérité. Ainsi, là même où le concept de connaissance de Dieu est le plus totalement intellectualisé, il reste vrai qu'il implique une union personnelle au Christ qui dépasse la simple appréhension intellectuelle 7.``
Si le Christ a ainsi donné en exemple non sa propre personne, mais la relation d'amour qui l'unit au Père, comment est-il possible au croyant de suivre cet exemple et peut-il s'en inspirer lorsqu'il a, lui-même, à remplir son rôle de témoin ?


Le Christ Ressuscité, un exemple imitable ?
Le disciple reproduit dans sa vie ce que le Christ vit avec son Père : Jésus l'a non seulement dit mais il en a donné un exemple (hypódeigma) : ''Le terme hypódeigma a une connotation nettement visuelle, celle de figure, d'image, de 'type`, de modèle, et non seulement l'acception d''exemple` (à suivre ou à ne pas suivre) dans l'ordre moral 8.`` Et cet exemple, ''Jésus ne le présente pas simplement au titre d'un modèle extérieur à imiter, mais d'un don qui génère le comportement à venir des disciples``.
A plusieurs reprises, Jésus, avant sa passion, dit aux Juifs, et même aux Douze, qu'ils ne peuvent le suivre là où il va. Mais l'exaltation du Christ dans la crucifixion et la résurrection permettent que s'accomplissent les prophéties d'Ezechiel (Ez XXXVI, 27) ou de Jérémie (XXXI, 33-34) : désormais, Dieu parlera directement au coeur de chacun par l'Esprit Saint qui conduira les croyants à ''la vérité toute entière 9``. Jésus ne se contente pas de donner l'exemple, il donne à ses disciples, par l'Esprit Saint, la force de le suivre. Les formules de réciprocité et de comparaison reviennent sans cesse dans le discours d'adieux : l'imitation du Christ n'est pas accessoire mais elle est la condition même de l'authenticité du témoignage chrétien. L'amour fraternel et le souci de l'unité entre les croyants sont la conséquence directe de la résurrection du Christ et du don de l'Esprit Saint. Eux-seuls peuvent permettre l'accomplissement de l'oeuvre du Père : ''le rassemblement dans l'unité divine des enfants de Dieu dispersés 10``.
Le lavement des pieds est un geste auquel la nature divine du Christ donne toute sa singularité : il est un exemple d'humilité et l'image d'un amour a priori inimitables. L'Eglise cependant y voit un appel à l'amour concret des hommes qui devient alors le signe de l'amour même de Dieu. Saint Augustin, tout en donnant une interprétation morale et symbolique plus large de l'exemple donné par le Christ, explique qu'il peut être important de refaire ce geste : ''Que le chrétien ne dédaigne pas de faire ce que le Christ a fait. En effet, quand le corps s'incline jusqu'aux pieds des frères, dans le coeur lui-même, le sentiment de cette humilité se trouve excité ou, s'il y était déjà, il est affermi 11``.



A la suite du Christ, éduquer par l'exemple ? Le disciple ne 'se` donne pas à proprement parler en exemple, mais il essaie, par son comportement, de laisser transparaître quelle est la source de son dynamisme. Cette folle responsabilité n'est pas impossible : il ne s'agit pas en effet d'un auto-perfectionnement moral irréalisable, mais d'une relation d'amour offerte par le Christ ressuscité.
Un prêtre me disait insister sur certaines attitudes : inclinations, silences, durant l'Eucharistie, non pour attirer par une 'mise en scène` artificielle les regards sur le célébrant, mais afin de rappeler que c'est le Christ serviteur qui rassemble l'Eglise. Le croyant a besoin de signes concrets qui accompagnent la Parole divine.
Rude tâche que celle de donner une 'éducation religieuse`, à laquelle tout chrétien, parent, ami, membre d'une communauté paroissiale... se trouve un jour confronté. Elle met à l'épreuve l'authenticité de notre propre foi. Pourtant, nous pouvons l'accepter joyeusement : il s'agit en définitive de laisser l'éducateur par excellence, Dieu Père, Fils et Esprit Saint, nous envahir de son Amour.



A.K.


Article paru dans Sénevé


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