Au moment où il entre dans la communauté chrétienne, le nouveau
baptisé revêt un vêtement blanc, symbole de sa dignité de chrétien
qu'il est encouragé à garder intacte tout au long de sa vie. On lui
remet un cierge, signe qu'il doit ''vivre en enfant de lumière`` et il
reçoit une onction d'huile qui le fait roi, prêtre et prophète. Tous
ces signes l'invitent à être, à la suite du Christ, un exemple en acte
de l'amour divin. Le début de la Lettre aux Thessaloniciens se
fait l'écho du souci de Paul : faciliter, par con comportement,
l'adhésion au Christ et le succès de sa mission se voit au rôle
d'exemple que joue à son tour la nouvelle communauté : ''Et vous vous
êtes mis à nous imiter, nous et le Seigneur, en accueillant la parole,
parmi bien des tribulations, avec la joie de l'Esprit Saint : vous
êtes ainsi devenus un modèle pour tous les croyants de Macédoine et
d'Achaie 1`` . Mais si l'apôtre peut oser dire ''Montrez-vous mes
imitateurs``, il explique aussitôt : ''Comme je le suis moi-même du
Christ 2``.
Jésus formant ses disciples se donne-t-il en exemple ? a-t-il lui-même
des modèles ? Est-il possible à l'éducateur chrétien de s'approprier
la ''pédagogie`` du Seigneur ?
L'Evangile de Jean est le seul à nous rapporter le lavement des pieds,
au cours duquel Jésus, explicitement, accomplit un geste accompagné de
l'ordre de suivre son exemple. De plus, la fréquence du thème de
l'imitation au sein du quatrième Evangile incite à y rechercher quel
rôle d'exemple y tient le Christ.
Jésus : un exemple atypique ?
Les contemporains du Christ semblent l'assimiler bien souvent aux
docteurs de la Loi. Ils lui donnent fréquemment le titre de
rabbi. De fait, l'enseignement à la synagogue, au temple, est un
aspect essentiel de l'activité de Jésus et il comporte un double
aspect : une annonce du salut et un enseignement pratique, ce qui ne
différencie pas en soi Jésus d'autres ''maîtres``.
Sans cesse, on le compare aux prophètes ou aux patriarches. Comme le
prophète, il est associé à la mission divivne tout en faisant preuve
d'une obéissance complète à Dieu. Les signes qu'il accomplit suggèrent
l'inspiration directe de Dieu. Le lavement des pieds même, parce qu'il
choque les disciples et cherche ainsi à les ouvrir à la connaissance
de Dieu, s'apparente aux geste prophétiques de l'Ancienne Alliance.
L'évangéliste inscrit lui aussi le Christ dans cette histoire du
peuple d'Israel.
Jésus, dans son discours d'adieux aux disciples (du chapitre 13 au
chapitre 17) évoque en filigrane Moise au mont Nébo. Sachant qu'il
n'entrera pas dans la Terre Promise, Moise rappelle à Israel la Loi du
Seigneur, l'invite à la fidélité et institue Josué son successeur. De
même le Christ s'adressant longuement aux disciples annonce la venue
de l'Esprit Saint. Cependant, l'analogie de la situation et le
thématique commune de l'alliance font aussi ressortir la différence
qui s'opère avec Jésus : ''S'il forme avec l'Esprit un couple analogue
à celui de Moise avec Josué, la différence s'impose : l'Esprit ne
succède pas proprement à Jésus, il intériorise dans les croyants leur
lien avec le Fils glorifié 3``. De manière générale, les
assimilations de révèlent réductrices et ne font que mieux ressortir
l'originalité du Christ. Contrairement aux docteurs de la Loi, Jésus,
chez Jean, cite peu les Ecritures. Mais la caractéristique de son
enseignement, c'est qu'il est reçu du Père : ''La parole que vous
entendez n'est pas de moi, mais du Père qui m'a
envoyé 4``. Jésus révèle qu'il est à la fois le prophète par
excellence, le Messie attendu et l'image parfaite du Père. Lui seul
peut réaliser l'oeuvre du Père, conforme à sa volonté et rester
parfaitement libre. Parlant de sa vie aux apôtres, il leur dit
''Personne ne me l'enlève, mais je la donne moi-même. J'ai pouvoir de
la donner et j'ai pouvoir de la reprendre ; tel est le commandement
que j'ai reçu de mon Père 5.``
Le secret de ce paradoxe apparent est l'union parfaite de Jésus et du
Père. Jésus est appelé 'Fils de l'Homme`. Chez Daniel, cette
expression désignait-elle le Messie ? Elle s'appliquait en tout cas à
Israel idéal à venir. Le Christ 'Fils de l'Homme`, dans sa relation au
Père devient le modèle de la relation qui unit les disciples au Christ
et par lui, au Père. Il leur donne la vraie vie : ''La vie
éternelle, c'est qu'ils te connaissent toi, le seul véritable Dieu, et
celui que tu as envoyé, Jésus Christ. 6`` La mission du Christ
est d'ouvrir ses disciples à une vérité qui est avant tout une
relation entre personnes. ''Pour 'connaître la vérité`, il ne leur
faut pas seulement entrer dans ses paroles, il leur faut, en quelque
sorte, être unis à lui qui est la vérité. Ainsi, là même où le concept
de connaissance de Dieu est le plus totalement intellectualisé, il
reste vrai qu'il implique une union personnelle au Christ qui dépasse
la simple appréhension intellectuelle 7.``
Si le Christ a ainsi donné en exemple non sa propre personne, mais la
relation d'amour qui l'unit au Père, comment est-il possible au
croyant de suivre cet exemple et peut-il s'en inspirer lorsqu'il a,
lui-même, à remplir son rôle de témoin ?
Le Christ Ressuscité, un exemple imitable ?
Le disciple reproduit dans sa vie ce que le Christ vit avec son Père :
Jésus l'a non seulement dit mais il en a donné un exemple
(hypódeigma) : ''Le terme hypódeigma a une connotation nettement
visuelle, celle de figure, d'image, de 'type`, de modèle, et non
seulement l'acception d''exemple` (à suivre ou à ne pas suivre) dans
l'ordre moral 8.`` Et cet exemple, ''Jésus ne le présente pas
simplement au titre d'un modèle extérieur à imiter, mais d'un don qui
génère le comportement à venir des disciples``.
A plusieurs reprises, Jésus, avant sa passion, dit aux Juifs, et même
aux Douze, qu'ils ne peuvent le suivre là où il va. Mais l'exaltation
du Christ dans la crucifixion et la résurrection permettent que
s'accomplissent les prophéties d'Ezechiel (Ez XXXVI, 27) ou de Jérémie
(XXXI, 33-34) : désormais, Dieu parlera directement au coeur de chacun
par l'Esprit Saint qui conduira les croyants à ''la vérité toute
entière 9``. Jésus ne se contente pas de donner l'exemple, il
donne à ses disciples, par l'Esprit Saint, la force de le suivre.
Les formules de réciprocité et de comparaison reviennent sans cesse
dans le discours d'adieux : l'imitation du Christ n'est pas accessoire
mais elle est la condition même de l'authenticité du témoignage
chrétien. L'amour fraternel et le souci de l'unité entre les croyants
sont la conséquence directe de la résurrection du Christ et du don de
l'Esprit Saint. Eux-seuls peuvent permettre l'accomplissement de
l'oeuvre du Père : ''le rassemblement dans l'unité divine des
enfants de Dieu dispersés 10``.
Le lavement des pieds est un geste auquel la nature divine du Christ
donne toute sa singularité : il est un exemple d'humilité et l'image
d'un amour a priori inimitables. L'Eglise cependant y voit un
appel à l'amour concret des hommes qui devient alors le signe de
l'amour même de Dieu. Saint Augustin, tout en donnant une
interprétation morale et symbolique plus large de l'exemple donné par
le Christ, explique qu'il peut être important de refaire ce geste :
''Que le chrétien ne dédaigne pas de faire ce que le Christ a
fait. En effet, quand le corps s'incline jusqu'aux pieds des frères,
dans le coeur lui-même, le sentiment de cette humilité se trouve
excité ou, s'il y était déjà, il est affermi 11``.
A la suite du Christ, éduquer par l'exemple ? Le disciple ne 'se`
donne pas à proprement parler en exemple, mais il essaie, par son
comportement, de laisser transparaître quelle est la source de son
dynamisme. Cette folle responsabilité n'est pas impossible : il ne
s'agit pas en effet d'un auto-perfectionnement moral irréalisable,
mais d'une relation d'amour offerte par le Christ ressuscité.
Un prêtre me disait insister sur certaines attitudes : inclinations,
silences, durant l'Eucharistie, non pour attirer par une 'mise en
scène` artificielle les regards sur le célébrant, mais afin de
rappeler que c'est le Christ serviteur qui rassemble l'Eglise. Le
croyant a besoin de signes concrets qui accompagnent la Parole divine.
Rude tâche que celle de donner une 'éducation religieuse`, à laquelle
tout chrétien, parent, ami, membre d'une communauté paroissiale... se
trouve un jour confronté. Elle met à l'épreuve l'authenticité de notre
propre foi. Pourtant, nous pouvons l'accepter joyeusement : il s'agit
en définitive de laisser l'éducateur par excellence, Dieu Père, Fils
et Esprit Saint, nous envahir de son Amour.
Article paru dans Sénevé
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