La Maternité du Père.

L'Eternel féminin. 1

Elise Gillon



`` Si mon père et ma mère m'abandonnent,
le Seigneur me recueille. ''
Psaume XXVII, 10
`` ...avec la tendresse non pas d'un père seulement,
mais aussi d'une mère... ''
saint Augustin, sermon 362 4.4



Notre Dieu est Père : telle est la foi que nous proclamons à la suite des Apôtres, aux premiers mots du Symbole qui leur est attribué ; telle est la prière que le Christ Lui-même nous a enseignée ; tel est le Nom que l'Esprit Saint crie dans nos coeurs. Le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus le Christ, qui éternellement engendre le Fils éternel dans la Communion trinitaire, nous a voulus fils dans le Fils, et nous a adoptés pour que nous ayons part à sa vie divine. Ainsi le Ressuscité peut dire à Marie-Madeleine : `` Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. ''2 Mais Dieu n'est pas père à la manière des hommes, sa ``parentalité'' ne se limite pas à l'un ou l'autre sexe : le Verbe incréé, avant l'Incarnation, ou l'homme divinisé, accompli par la grâce, ne sont pas orphelins de mère ! Si un être humain a naturellement besoin, pour s'épanouir, de l'amour d'un père et d'une mère, il faut en conclure que l'homme spirituel reçoit du Dieu Unique cette double part d'amour.3



`` Le Bon Dieu est plus tendre qu'une mère.'' Cette parole de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus de la Sainte Face peut nous sembler bien fade, et il ne faut pas être grand clerc pour reconnaître là le dix-neuvième siècle finissant. Mais elle témoigne à sa manière de la découverte éblouie du livre d'Isaïe faite au Carmel par la petite Thérèse4 :



Le prophète exprime ici en termes maternels l'amour de Dieu pour son peuple éprouvé ; cette tendresse de Dieu dépasse même explicitement l'amour d'une mère nourricière ou biologique, puisqu'elle est indéfectible : une femme peut renier sa maternité en refusant d'être la mère de ses enfants, mais le Dieu-Père, source de toute paternité6, précède et excède aussi toute maternité. Le mot ``entrailles'' employé par le Deuxième Isaïe, rehem en hébreu, est ici particulièrement significatif : il désigne le sein maternel, et la forme plurielle, rahamim, veut dire en hébreu ``miséricorde''. La miséricorde de Dieu a donc le caractère d'un amour maternel, amour d'une mère aux entrailles bouleversées devant la misère de ses enfants, amour d'un Dieu qui ne peut supporter de voir son Peuple en exil7. Le prophète Osée atteste ainsi de la révolution intérieure qui émeut le Dieu d'Israël devant les souffrances de son ``premier-né''8 : `` Comment t'abandonnerais-je, Ephraïm, te livrerais-je, Juda ? Mon coeur en moi se retourne, toutes mes entrailles frémissent. ''9
Inlassablement, les prophètes de l'Ancien Testament rappellent la rahamim du Seigneur, l'amour maternel et miséricordieux qui toujours vient tempérer Ses colères, dans la longue histoire où Dieu éduque Israël comme un père éduque son enfant, n'hésitant pas parfois à l'admonester fermement :



De fait, c'est l'amour maternel qui est à l'image de la Miséricorde infinie et non l'inverse, car Dieu a voulu que l'humanité exprime quelque chose de Lui dans la différence sexuelle, dans l'homme et dans la femme11 :


`` Dieu créa l'homme à son image,
à l'image de Dieu Il le créa,
Homme et femme Il les créa. ''12




`` Comme un petit enfant contre sa mère. ''13 La maternité de Dieu à l'égard de son peuple s'exprime par des images très concrètes, qui traversent toute l'histoire d'Israël. Nous avons déjà vu comment l'exil était pour les prophètes l'occasion de rappeler la miséricorde divine ; mais c'est la sortie d'Egypte qui est perçue comme l'événement fondateur du Peuple et le moment de sa ``conception'' en Dieu ; ainsi Moïse rappelle-t-il au Seigneur ses responsabilités envers les fils d'Israël : `` Est-ce moi qui ai conçu tout ce peuple, est-ce moi qui l'ai enfanté ? ''14 Puis il poursuit sa comparaison en assimilant la Nation sainte à un 'enfant à la mamelle' 'porté sur le sein'15. Les quarante ans passés au désert sont donc décrits par le prophète Osée comme le temps de la petite enfance, le temps de la première éducation, où s'exprime toute la tendresse maternelle de Dieu :



Mais c'est le thème de l'allaitement qui revient sans conteste le plus fréquemment quand Dieu se compare à une mère ; en effet, ce geste joint deux besoins essentiels, la nécessité physique de la nourriture et l'affection qu'exige une personne humaine : la mère tient son enfant tout contre elle et lui donne une part d'elle-même en l'abreuvant de son lait18. C'est en ces termes qu'Isaïe promet la consolation d'Israël :



Le lait maternel symbolise donc une très forte intimité entre Dieu et Sa Jérusalem, dans des prophéties où nous pouvons lire l'annonce des temps messianiques : saint Pierre ne reprend-il pas cette image pour parler du ``lait logique'', du lait de la Parole ? Il écrit en effet dans sa première Epître :



Saint Augustin21, parlant de ce lac parvulorum, de ce ``lait des tout-petits'', assure qu'il s'agit de l'humanité de notre Seigneur Jésus Christ, Chemin offert à tous pour aller vers Dieu. C'est dans l'offrande de la Parole incarnée que se révèle donc le mieux la maternité du Père.




`` De son sein couleront des fleuves d'eau vive. ''22 Le Christ est en effet Celui qui nous fait connaître le Père, 'l'Image

du Dieu invisible`23, et ses propres paroles nous montrent l'amour de Dieu sous un jour maternel : `` Jérusalem, que de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes ; et vous n'avez pas voulu ! ''24 Dans ce passage où Jésus interpelle Jérusalem comme celle ``qui tue les prophètes'', il annonce indirectement sa condamnation à mort. Or c'est sur la croix que se manifeste complètement la maternité de Dieu. Souvenons-nous de la parole qu'avait proclamée le Christ au premier jour de la fête des Tentes, invitant ceux qui avaient soif à venir à Lui : `` Car il est écrit : ``De son sein couleront des fleuves d'eau vive.'' ``25 Les exégètes se battent pour savoir à quel passage de l'Ecriture Jean fait ici allusion. Mais il est à noter que le mot grec koilia ici rendu par ``sein'' ne signifie nullement la poitrine, mais une quelconque cavité de l'abdomen26, ce qui amène la traduction peu élégante du chanoine Osty : ``De son ventre couleront des fleuves d'eau vive.'' Or l'Evangéliste précise que notre Seigneur parlait de l'Esprit Saint, qui n'avait pas encore été donné car Jésus n'avait pas encore été glorifié. La glorification de Jésus et le don de l'Esprit sont advenus, selon saint Jean, à la mort du Crucifié. L'offrande du Christ est accomplie au moment où de son coeur transpercé jaillissent l'eau et le sang, après qu'Il eut remis l'Esprit27 : de cette eau, de ce sang, la tradition chrétienne affirme que sont nés l'Eglise et ses sacrements ; Marie, figure de l'Eglise, se tenait au pied de la croix : c'est le moment où la mère de Dieu est enfantée par son fils, comme elle-même l'avait mis au monde dans l'eau amniotique et le sang placentaire. C'est en quelque sorte le moment de son immaculée conception, puisque cette dernière grâce puise à la source du salut universel, la mort et la résurrection du Christ. Il s'agit là d'un véritable accouchement, où renaît tout le Peuple de Dieu :

L'amour du Dieu trinitaire s'exprime donc en termes maternels pour tout homme enfanté à la vie divine par l'offrande du Christ sur la croix ; le don de l'Esprit saint, par qui Dieu se communique aux hommes, est l'expression de cette participation des baptisés à la fécondité de la gloire divine :








E.G.


Article paru dans Sénevé


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