Les Scouts de France

Un projet éducatif pour les garçons et les filles 1

Guillaume Champagne


Le scoutisme est longtemps demeuré un environnement marqué par une forte séparation entre garçons et filles. Certes, il existait des propositions variées pour les garçons d'une part, pour les filles d'autre part, mais les lieux d'échange étaient rares et souvent conflictuels. Au début des années 70, les tentations de rassemblement entre les branches aînées (enfants de 17 à 20 ans) des scouts de France et des Guides de France restèrent vaines. La décision des Scouts de France d'ouvrir leur comités aux garçons et aux filles au début des années 80 avait donc un caractère révolutionnaire dans le microcosme scout. Il est possible une quinzaine d'années plus tard de dégager les enjeux majeurs de cette nouveauté pédagogique instituée dans le premier mouvement scout de notre pays. Cette brève étude est nourrie par une double approche théorique et pratique, permise par l'expérience de 3 années d'encadrement d'une unité de pionniers (ados de 14-18 ans) comprenant garçons et filles en nombre à peu près égal.


Le projet éducatif pour les garçons et les filles des scouts de France peut trouver deux mises en oeuvre :
-la constitution d'unités2 (meutes, troupes, postes) mixtes au sein desquelles les sizaines, patrouilles, équipes demeurent unisexuées.
-la constitution au sein d'un même groupe3 (meute+troupe+poste) d'unités homogènes de filles et de garçons. Il s'agit alors de partager un certain nombre d'activités et pour la maîtrise4 de préparer et d'évaluer ensemble ces activités. Ceci suppose un travail conjoint des maîtrises dans la durée pour donner force et cohérence au projet.
Il s'agit là d'un projet, ce qui n'exclut pas que demeure aujourd'hui au sein du mouvement scout de France un certain nombre de groupes homogènes. ``Tenant compte des aspirations des jeunes et des familles, de l'environnement social et de l'Eglise locale''. Le mouvement invite cependant ses groupes à engager une démarche progressive d'ouverture aux filles. Quel que soit le choix retenu, la maîtrise est mixte. Si la réalité parisienne présente souvent des maîtrises assez jeunes (19-22 ans) et parfois homogènes, la maîtrise type au sein des Scouts de France compte plutôt un couple marié d'une trentaine d'années associé à des étudiants. Dans les faits, la jeunesse et l'instabilité des maîtrises constitue un défi supplémentaire pour la réalisation du projet d'éducation des garçons et des filles.




Le projet est né de la conjonction de deux demandes : -la mixité des équipes de maîtrise a longtemps été un fait non théorisé, non pris en compte par le mouvement. -l'extension progressive de la mixité dans l'environnement social des jeunes conjuguée à l'absence d'un discours éducateur. Le projet Scout de France a donc deux axes directeurs au centre duquel se détache la maîtrise. Education des jeunes au vécu relationnel entre garçons et filles, au-delà des stéréotypes ambiants, cloisonnants. Cet axe est porté par l'ambition personnalisée du mouvement qui veut travailler au développement de tout l'Homme,(...) l'Homme, homme et femme 5 . Il s'agit d'éduquer le jeune en l'ouvrant à la réalité sexuée, sur le double terrain psychologique du même et de l'Autre. Il semble impossible dans notre cadre sociétal de former un jeune garçon ou une jeune fille, de le constituer homme ou femme en le renvoyant seulement à des référents de son sexe, en oubliant que cette identité est toujours relationnelle. L'éducation par une Maîtrise mixte permet donc la double référence suivante : l'enfant est face à un référent identificatoire de son sexe qui l'aide à se construire garçon ou fille porteur d'une identité sexuée ; l'enfant est face à un modèle identificatoire de relations homme-femme qui l'aide à structurer sa perception de l'autre sexe et son mode d'être-avec, son acception de la complémentarité. Sur ce double enjeu fondamental, je renvoie aux travaux de T. Anatrella, notamment dans L'Amour et le préservatif 6 où ce prêtre psychanaliste rappelle l'importance de la structuration de l'identité masculine ou féminine par l'appel à la différence qui seule permet l'individualisation. Cette éducation trouve un terrain particulièrement propice à l'adolescence, lorsque le jeune devient pionnier ou pionnière. Le vécu relationnel de ces jeunes formés dans leur famille, lycée, par le biais des médias est structuré pas deux tendances : ``si tu ne sors pas avec un mec ou une fille, tu n'existes pas socialement'' et ``la fidélité est dépassée, regarde tes parents divorcés''. Eloge du couple passager, du passage à l'acte immédiat en réponse aux pulsions sans égard pour la construction d'un vécu affectif durable. Il s'agit donc ici d'éduquer le jeune à une véritable relation à l'autre sexe par le biais du discours préventif, par le biais de l'accompagnement des expériences du jeune dans lequel il sera invité à verbaliser ses actions, à reconnaître la réalité de son sentiment, à sortir de son subjectivisme totalitaire, par le biais enfin de l'exemple de la vie de la Maîtrise qui offre, expose aux regards des jeunes un vécu différent de la relation homme-femme. L'éducateur est donc conduit à tenir au jeune un discours balancé, alternant entre la reconnaissance de la véracité du vécu affectif du jeune, et l'invitation à un dépassement, à l'intégration de valeurs qui viendront structurer son expérience. Oeuvre de patience, toujours à recommencer, et pourtant combien fondatrice puisque l'enjeu n'est rien d'autre ici que l'avenir relationnel, conjugual, familial de l'adolescent.
On pourrait être tenté de croire que cette éducation à la relation à soi et à l'autre peut se contenter de l'association d'une Maîtrise mixte face à une unité homogène, permettant la tenue d'un discours, l'aperçu d'un modèle structurant de relation homme-femme. Il n'apparaitrait donc pas nécessaire de créer des unités mixtes à équipes homogènes ou d'unir dans un même groupe des unités homogènes. C'est oublier que la pédagogie scout n'est pas une pédagogie du discours ex ante, une pédagogie de la chaire, mais une pédagogie de l'action, de la relecture de l'agir commun pour en dégager le sens et la finalité, partant d'une pédagogie de la chair. La formation du jeune, la construction progressive de sa personne sexuée, relationnelle, s'accomplit donc dans la confrontation avec le même et l'autre dans un cadre éducatif. L'éducation se fait donc progressive, ponctuée d'échecs affectifs, que l'on aurait pu voiler, interdire dans le cadre scout, et qui sont pourtant la véritable occasion de la progression personnelle de l'enfant. ``Nous savons qu'il n'y a pas d'éducation sans expérience, sans apprentissage. Donc un projet d'éducation pour les garçons et les filles dans le scoutisme, passe nécessairement par des situations dans lesquelles garçons et filles préparent et vivent des activités communes permettant la découverte mutuelle et l'apprentissage de la coresponsabilité.'' (Extrait du rapport d'orientation de l'AG de 1982 7). Il s'agira donc de pratiquer une juste alternance des temps mixtes (en unité, ou en associant deux unités homogènes), et les temps non mixtes (en unité homogène, ou en équipe ; les équipes ne sont jamais mixtes dans le cadre de la proposition Scout de France).
Le deuxième axe directeur du projet éducatif pour les garçons et les filles des Scouts de France indique l'importance cruciale de la Maîtrise pour la réussite de celui-ci. La Maîtrise doit répondre à un double défi : -offrir aux jeunes des modèles d'identification spécifiques, sexués -offrir aux jeunes un modèle chrétien des relations homme-femme. Le jeune chef est dinc renvoyé à sa propre pratique des relations homme-femme, à sa restructuration de son identité sexuée. L'éducation des garçons et des filles que désire mettre en place le mouvement Scout de France suppose donc des chefs adultes formés, à tout le moins, des chefs et cheftaines qui acceptent d'entrer dans un travail d'élaboration personnelle de leur identité d'homme ou de femme. ``Il n'est pas douteux qu'aux yeux du jeune ce que dit le chef compte moins que ce qu'il fait'', disait Baden-Powell. On ne triche pas avec les jeunes, particulièrement avec les adolescents qui savent mettre à jour nos artifices, nos protections fragiles. Le chef se trouve donc impliqué tout entier dans la relation d'éducation puisque sa vie dans ce qu'elle a de plus intime, de plus fondateur, sert à la formation du jeune.
Le mouvement Scout de France prend donc le risque de confier à des post-adolescents8, non achevés, dont l'identité sexuée et relationnelle est encore en évolution, l'éducation des plus jeunes. Il renvoie ainsi à une de ses convictions fortes, rappellée dans la Charte fondatrice du mouvement : ``Nous agissons pour le développement de l'homme par l'éducation (...).Nous agissons avec les jeunes pour notre libération mutuelle.'' 9 Cette prise de risque invite le mouvement à développer une action dans deux directions parallèles :
1) la réaffirmation d'un discours structurant à l'intention des Maîtrises grâce aux relations homme-femme que le mouvement souhaite promouvoir. ``Au-delà de nos diversités, nous réaffirmons notre idéal d'une vie affective, sexuelle et sociale qui trouve ses racines dans l'Evangile : manière de mener sa vie affective. cohérence entre discours et actes, comportements dans la relation entre homme et femme.'' 10. 2) un travail suivi d'accompagnement des Maîtrises, leur permettant à la fois d'évoluer personnellement, d'achever leur croissance, et d'autre part de relire avec d'autres adultes le vécu de leur unité dans l'axe de l'éducation des garçons et des filles. Ce travail trouve sa place au niveau du Groupe, au conseil des Maîtrises (conseil de Groupe) qui associe les Maîtrises de différentes unités, les chefs de Groupe (un couple d'adultes mariés), et l'aumônier. Cela suppose évidemment qu'un accent particulier soit aussi posé sur la formation des chefs de Groupe à cet accompagnement.


En choisissant collégialement de faire de l'éducation des garçons et des filles une composante fondamentale de leur projet éducatif, les Scouts de France ont relevé un défi majeur de la société post soixante huitarde : une société qui banalise le sexe sans amour, qui privilégie la pulsion, la consommation sur le désir et le respect de l'autre, une société en quête de sens. Afin d'annoncer le Christ libérateur, rédempteur de tout homme, appelant l'homme à aimer en vérité, les Scouts de France ont choisi, selon la tradition éducative qui est leur, de donner leur chance aux garçons et aux filles, de faire confiance à de jeunes adultes qui constituent la plupart des Maîtrises du mouvement, et de compter sur les adultes pour accompagner leurs cadets. A cet égard, la proposition Scout de France semble plus que jamais d'actualité.

G.C.


Article paru dans Sénevé


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