Le scoutisme est longtemps demeuré un environnement marqué par une forte séparation entre garçons et filles. Certes, il existait des propositions variées pour les garçons d'une part, pour les filles d'autre part, mais les lieux d'échange étaient rares et souvent conflictuels. Au début des années 70, les tentations de rassemblement entre les branches aînées (enfants de 17 à 20 ans) des scouts de France et des Guides de France restèrent vaines. La décision des Scouts de France d'ouvrir leur comités aux garçons et aux filles au début des années 80 avait donc un caractère révolutionnaire dans le microcosme scout. Il est possible une quinzaine d'années plus tard de dégager les enjeux majeurs de cette nouveauté pédagogique instituée dans le premier mouvement scout de notre pays. Cette brève étude est nourrie par une double approche théorique et pratique, permise par l'expérience de 3 années d'encadrement d'une unité de pionniers (ados de 14-18 ans) comprenant garçons et filles en nombre à peu près égal.
Le projet éducatif pour les garçons et les filles des scouts de France
peut trouver deux mises en oeuvre :
-la constitution d'unités2 (meutes, troupes, postes) mixtes au
sein desquelles les sizaines, patrouilles, équipes demeurent
unisexuées.
-la constitution au sein d'un même groupe3 (meute+troupe+poste)
d'unités homogènes de filles et de garçons. Il s'agit alors de
partager un certain nombre d'activités et pour la maîtrise4 de préparer
et d'évaluer ensemble ces activités. Ceci suppose un travail
conjoint des maîtrises dans la durée pour donner force et cohérence au
projet.
Il s'agit là d'un projet, ce qui n'exclut pas que demeure aujourd'hui au sein
du mouvement scout de France un certain nombre de groupes
homogènes. ``Tenant compte des aspirations des jeunes et des
familles, de l'environnement social et de l'Eglise locale''. Le
mouvement invite cependant ses groupes à engager une démarche
progressive d'ouverture aux filles.
Quel que soit le choix retenu, la maîtrise est mixte. Si la réalité
parisienne présente souvent des maîtrises assez jeunes (19-22 ans) et
parfois homogènes, la maîtrise type au sein des Scouts de France
compte plutôt un couple marié d'une trentaine d'années associé à des
étudiants.
Dans les faits, la jeunesse et l'instabilité des maîtrises constitue un défi
supplémentaire pour la réalisation du projet d'éducation des garçons
et des filles.
Le projet est né de la conjonction de deux demandes :
-la mixité des équipes de maîtrise a longtemps été un fait non
théorisé, non pris en compte par le mouvement.
-l'extension progressive de la mixité dans l'environnement
social des jeunes conjuguée à l'absence d'un discours éducateur.
Le projet Scout de France a donc deux axes directeurs au centre duquel
se détache la maîtrise. Education des jeunes au vécu relationnel
entre garçons et filles, au-delà des stéréotypes ambiants,
cloisonnants.
Cet axe est porté par l'ambition personnalisée du mouvement qui veut
travailler au développement de tout l'Homme,(...) l'Homme, homme et
femme 5 .
Il s'agit d'éduquer le jeune en l'ouvrant à la réalité sexuée, sur le
double terrain psychologique du même et de l'Autre. Il semble
impossible dans notre cadre sociétal de former un jeune garçon ou une
jeune fille, de le constituer homme ou femme en le renvoyant seulement
à des référents de son sexe, en oubliant que cette identité est
toujours relationnelle. L'éducation par une Maîtrise mixte permet donc
la double référence suivante : l'enfant est face à un référent
identificatoire de son sexe qui l'aide à se construire garçon ou fille
porteur d'une identité sexuée ; l'enfant est face à un modèle
identificatoire de relations homme-femme qui l'aide à structurer sa
perception de l'autre sexe et son mode d'être-avec, son acception de
la complémentarité.
Sur ce double enjeu fondamental, je renvoie aux travaux de
T. Anatrella, notamment dans L'Amour et le préservatif 6 où
ce prêtre psychanaliste rappelle l'importance de la structuration de
l'identité masculine ou féminine par l'appel à la différence qui seule
permet l'individualisation.
Cette éducation trouve un terrain particulièrement propice à
l'adolescence, lorsque le jeune devient pionnier ou pionnière. Le vécu
relationnel de ces jeunes formés dans leur famille, lycée, par le
biais des médias est structuré pas deux tendances : ``si tu ne sors
pas avec un mec ou une fille, tu n'existes pas socialement'' et ``la
fidélité est dépassée, regarde tes parents divorcés''. Eloge du couple
passager, du passage à l'acte immédiat en réponse aux pulsions sans
égard pour la construction d'un vécu affectif durable. Il s'agit donc
ici d'éduquer le jeune à une véritable relation à l'autre sexe par le
biais du discours préventif, par le biais de l'accompagnement des
expériences du jeune dans lequel il sera invité à verbaliser ses
actions, à reconnaître la réalité de son sentiment, à sortir de son
subjectivisme totalitaire, par le biais enfin de l'exemple de la vie
de la Maîtrise qui offre, expose aux regards des jeunes un vécu
différent de la relation homme-femme. L'éducateur est donc conduit à
tenir au jeune un discours balancé, alternant entre la reconnaissance
de la véracité du vécu affectif du jeune, et l'invitation à un
dépassement, à l'intégration de valeurs qui viendront structurer son
expérience. Oeuvre de patience, toujours à recommencer, et pourtant
combien fondatrice puisque l'enjeu n'est rien d'autre ici que l'avenir
relationnel, conjugual, familial de l'adolescent.
On pourrait être tenté de croire que cette éducation à la relation à
soi et à l'autre peut se contenter de l'association d'une Maîtrise
mixte face à une unité homogène, permettant la tenue d'un discours,
l'aperçu d'un modèle structurant de relation homme-femme. Il
n'apparaitrait donc pas nécessaire de créer des unités mixtes à
équipes homogènes ou d'unir dans un même groupe des unités
homogènes. C'est oublier que la pédagogie scout n'est pas une
pédagogie du discours ex ante, une pédagogie de la chaire, mais une
pédagogie de l'action, de la relecture de l'agir commun pour en
dégager le sens et la finalité, partant d'une pédagogie de la chair. La
formation du jeune, la construction progressive de sa personne sexuée,
relationnelle, s'accomplit donc dans la confrontation avec le même et
l'autre dans un cadre éducatif. L'éducation se fait donc progressive,
ponctuée d'échecs affectifs, que l'on aurait pu voiler, interdire dans
le cadre scout, et qui sont pourtant la véritable occasion de la
progression personnelle de l'enfant. ``Nous savons qu'il n'y a pas
d'éducation sans expérience, sans apprentissage. Donc un projet
d'éducation pour les garçons et les filles dans le scoutisme, passe
nécessairement par des situations dans lesquelles garçons et filles
préparent et vivent des activités communes permettant la découverte
mutuelle et l'apprentissage de la coresponsabilité.'' (Extrait du
rapport d'orientation de l'AG de 1982 7). Il s'agira donc de
pratiquer une juste alternance des temps mixtes (en unité, ou en
associant deux unités homogènes), et les temps non mixtes (en unité
homogène, ou en équipe ; les équipes ne sont jamais mixtes dans le
cadre de la proposition Scout de France).
Le deuxième axe directeur du projet éducatif pour les garçons et les
filles des Scouts de France indique l'importance cruciale de la
Maîtrise pour la réussite de celui-ci. La Maîtrise doit répondre à un
double défi :
-offrir aux jeunes des modèles d'identification spécifiques,
sexués
-offrir aux jeunes un modèle chrétien des relations
homme-femme.
Le jeune chef est dinc renvoyé à sa propre pratique des relations
homme-femme, à sa restructuration de son identité sexuée. L'éducation
des garçons et des filles que désire mettre en place le mouvement
Scout de France suppose donc des chefs adultes formés, à tout le
moins, des chefs et cheftaines qui acceptent d'entrer dans un travail
d'élaboration personnelle de leur identité d'homme ou de femme. ``Il
n'est pas douteux qu'aux yeux du jeune ce que dit le chef compte moins
que ce qu'il fait'', disait Baden-Powell. On ne triche pas avec les
jeunes, particulièrement avec les adolescents qui savent mettre à jour
nos artifices, nos protections fragiles. Le chef se trouve donc
impliqué tout entier dans la relation d'éducation puisque sa vie dans
ce qu'elle a de plus intime, de plus fondateur, sert à la formation du
jeune.
Le mouvement Scout de France prend donc le risque de confier à des
post-adolescents8, non achevés, dont l'identité sexuée et
relationnelle est encore en évolution, l'éducation des plus jeunes. Il
renvoie ainsi à une de ses convictions fortes, rappellée dans la
Charte fondatrice du mouvement : ``Nous agissons pour le
développement de l'homme par l'éducation (...).Nous agissons avec les
jeunes pour notre libération mutuelle.'' 9 Cette prise de
risque invite le mouvement à développer une action dans deux
directions parallèles :
1) la réaffirmation d'un discours structurant à l'intention
des Maîtrises grâce aux relations homme-femme que le mouvement
souhaite promouvoir. ``Au-delà de nos diversités, nous réaffirmons
notre idéal d'une vie affective, sexuelle et sociale qui trouve ses
racines dans l'Evangile : manière de mener sa vie affective. cohérence
entre discours et actes, comportements dans la relation entre homme
et femme.'' 10.
2) un travail suivi d'accompagnement des Maîtrises, leur
permettant à la fois d'évoluer personnellement, d'achever leur
croissance, et d'autre part de relire avec d'autres adultes le vécu de
leur unité dans l'axe de l'éducation des garçons et des filles. Ce
travail trouve sa place au niveau du Groupe, au conseil des Maîtrises
(conseil de Groupe) qui associe les Maîtrises de différentes unités,
les chefs de Groupe (un couple d'adultes mariés), et l'aumônier. Cela
suppose évidemment qu'un accent particulier soit aussi posé sur la
formation des chefs de Groupe à cet accompagnement.
En choisissant collégialement de faire de l'éducation des garçons et des filles une composante fondamentale de leur projet éducatif, les Scouts de France ont relevé un défi majeur de la société post soixante huitarde : une société qui banalise le sexe sans amour, qui privilégie la pulsion, la consommation sur le désir et le respect de l'autre, une société en quête de sens. Afin d'annoncer le Christ libérateur, rédempteur de tout homme, appelant l'homme à aimer en vérité, les Scouts de France ont choisi, selon la tradition éducative qui est leur, de donner leur chance aux garçons et aux filles, de faire confiance à de jeunes adultes qui constituent la plupart des Maîtrises du mouvement, et de compter sur les adultes pour accompagner leurs cadets. A cet égard, la proposition Scout de France semble plus que jamais d'actualité.
Article paru dans Sénevé
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