Univers(al)ité

Kevin Cormier


``Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit.`` (Matt 28:19)


Ce commandement de Jésus, qui se présente à la fin de l'Evangile de St.Matthieu, nous montre l'importance de l'éducation et en même temps la mission de l'Eglise. ``These words are the charter of the Christian Church as a teaching institution. While they refer directly to the doctrine of salvation, and therefore to the imparting of religious truth, they nevertherless, or rather by the very nature of that truth and its consequences for life, carry with them the obligation of insisting on certain principles and maintaining certain characteristics which have a decisive bearing on all educational problems.'' (Catholic Encyclopedia)
Deux points que l'on peut relever dans ce verset sont l'universalité et la perpétuité que l'éducation devrait présenter. L'éducation a un sens universel en tant que droit qui devrait être offert à tout peuple, toute race et toute nation : ``Tous les hommes de n'importe quelle race, âge ou condition, possèdent, puisqu'ils jouissent de la dignité de personne, un droit inaliénable à une éducation.''(Gravissimum Educationis, 1). De plus, elle devrait être universelle dans le sens de complète en incluant tout sujet dans une éducation globale de l'homme ; aussi bien spirituelle qu' intellectuelle. ``Il faut donc aider les enfants et les jeunes gens - en tenant compte des progrès des sciences psychologiques, pédagogiques et didactiques - à développer harmonieusement leurs aptitudes physiques, morales, intellectuelles, à acquérir graduellement un sens plus aigu de leurs responsabilités, tant dans l'effort soutenu pour mener droit leur vie personnelle que dans la poursuite de la vraie liberté en surmontant à force de courage et de générosité tous les obstacles.''(Gravissimum Educationis, 1) La perpétuité de l'éducation se réalise dans son projet d'entrée dans le Mystère de la Sainte Trinité puisque ``Jésus Christ est le même hier, aujourd'hui, et éternellement'' (Hébreux 13:8) et dans la perspective selon laquelle la vie est un cheminement continuel vers l'accueil de la Sagesse. Mais comment enseigner et, de plus, qu'enseigner ?



Pour mieux établir les méthodes et pratiques d'un collège ou d'un système d'éducation, il faut dans un premier temps éclaircir le but que l'éducation devrait avoir. ``L'idée qu'on se fait de l'éducation et du rôle de l'éducateur dépend évidemment de l'idée qu'on se fait de l'homme et de sa destinée.'' (Laberthonnière, p.197). Par le fait de proposer un cursus et des cours, on apporte avec eux une certaine perspective de la raison ou la finalité de l'acquisition de ce savoir. Souvent la perspective prend la forme pervertie de l'idolâtrie. Je pense ici, par exemple, à ces chercheurs et industries qui choisissent leur domaine de recherche seulement selon le contexte économique de l'époque et non en fonction du bien qu'ils peuvent apporter à l'humanité. Dans la culture matérialiste, la recherche est souvent considérée sous l'angle du profit et non sous celui des bénéfices possibles pour la société ou l'humanité. En cherchant à former les plus importants chercheurs ou savants simplement pour les honneurs et l'argent, on perd de vue le vrai but. Ces idées perverties de la destinée de l'homme ne font que ralentir le progrès de la recherche, la connaissance et l'humanité et elles deviennent vaines car il ne sert à rien ``d'amasser des trésors sur la terre'' (Matt 6,19), trésors dont ces chercheurs n'auront plus besoin quand ils quitteront ce monde, alors que le bien qu'ils auraient pu faire pour l'humanité aurait été préservé dans la culture pour les générations ultérieures.


Pour le chrétien, on a l'obligation d'être libre de ces constrictions idolâtres en étant complètement disponible à la volonté de Dieu, en Le servant ``avec tout notre coeur et avec toute notre âme et avec toute notre force.'' (Deut 6:5) En utilisant toutes nos forces pour la plus grande gloire de Dieu, on coopère avec la grâce divine pour établir la paix et la justice sur la terre de telle sorte que ``Son règne vienne sur la terre comme au ciel''. Le chrétien devrait voir en lui-même, non pas une vie pour réaliser ses désirs égoïstes, mais voir sa vie comme un instrument au service de Dieu et de son prochain.


``If its aim is the diffusion and extension of knowledge, this does not mean that knowledge for its own sake is the justification of a university : its real purpose is to produce more intelligent... members of society by fostering cultivation of minds, formation... of the intellect.''(Newman) Mais même avec ce regard sur l'éducation on pourrait se demander pourquoi on cherche à être plus cultivé et intelligent puisque l'on est de ce monde pour peu de temps, et à quoi cela servira après que nous serons partis. Mais la civilisation humaine, par la transmission de la culture, continue à développer technologies et connaissances. Comme on le voit, les systèmes d'éducation imposent une conception de l'homme et de sa destinée qui font qu'on ne peut avoir une éducation libre ni neutre de la croyance. En refusant d'admettre la croyance, l'éducation apporte plutôt une croyance pervertie de l'homme et de sa destinée.


Ceux qui s'opposent à une éducation morale ou religieuse sont souvent convaincus qu'une telle éducation ne respecte pas la liberté de l'enfant. Mais je conteste qu'une telle éducation sans morale ni religion supprime la liberté de l'homme. La liberté comprend la capacité de faire un choix entre deux ou plusieurs propositions, et la moralité réduit au choix entre le bien et le mal. Pourtant, si l'on ne nous a pas montré les deux possibilités ni montré les effets ou résultats de ces mêmes choix on n'a plus de liberté puisqu'on n'a plus de choix. ``Sous la prétention d'instituer une éducation indépendante se cache donc un dessein très arrêté de substituer des croyances nouvelles, des croyances laïques, aux croyances anciennes.'' (Laberthonnière, p.198) La vrai contrainte sur la liberté existe dans la création d'une indifférence envers la religion, puisque ``le rôle de l'éducation est de faire que l'activité de l'enfant devienne maîtresse d'elle-même.'' (Laberthonnière, p.204) On pourrait aussi bien dire qu'on s'oppose à la liberté en voulant instruire, par exemple, la grammaire, à un enfant qui n'aime pas cette matière. Et, avec cette même logique qui s'oppose à l'éducation morale et religieuse, n'est-ce pas qu'on devrait interdire l'apprentissage de la grammaire ? Cependant, il ne serait jamais question pour un éducateur de ne pas l'imposer. L'éducateur voit clairement comment l'enfant va profiter de l'apprentissage de la grammaire, juste comme une mère qui force son bébé à manger. Dans cette même perspective l'éducateur devrait voir les bénéfices pour l'individu et la société d'une propre éducation morale. Parce qu'on ne peut défendre l'instruction de la grammaire, on ne peut pas non plus interdire l'éducation de la morale, sinon ils comprennent mal la liberté de l'homme.




En première approche, la liberté de l'homme s'exprime par l'absence de contraintes physiques. Mais, plus profondément, elle correspond à l'absence de compulsions psychologiques : ma liberté est limitée dans la mesure où je suis compellé {dominé par, soumis à, victime de...} par mes désirs, passions, pressions sociales, etc. Par l'éducation et la discipline nous sommes entraînés à résister à ces pressions psychologiques et physiques. C'est par la grâce de l'Esprit que nous sommes rendus libres, parce que c'est ce même Esprit qui nous fait voir la vérité.(cf. Jn 8,32) ``La vraie liberté est en l'homme un signe privilégié de l'image divine. Car Dieu a voulu le laisser à son propre conseil (cf. Si 15,14) pour qu'il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à lui, s'achever ainsi dans une bienheureuse plénitude. S'il existe un droit à être respecté dans son propre itinéraire de recherche de la vérité, il existe encore en amont l'obligation morale grave pour tous de chercher la vérité et, une fois qu'elle est connue, d'y adhérer.'' C'est en ce sens que le Cardinal J.H. Newman, éminent défenseur des droits de la conscience, affirmait avec force : ``La conscience a des droits parce qu'elle a des devoirs''. (Veritatis Splendor, 34) On peut aussi relever l'importance de l'éducation morale dans les pensées du Curé d'Ars qui écrit : ``La majorité des chrétiens qui se damnent, se damnent faute d'instruction'', parce qu'il est improbable qu'un individu connaisse les doctrines de la foi sans une propre instruction et la force de l'adhérence à celles-ci procède directement de l'amour pour le Christ qui nous dit: ``si vous m'aimez, gardez mes commandements.''(Jn 14,15)




Il est clair que la vérité mène à la liberté ou, au moins, nous révèle l'absence de toute liberté. Un prisonnier dans une cage ne se rend pas compte qu'il est prisonnier si il n'a jamais vécu hors de sa cage ni vu d'autres créatures de l'autre côté des barreaux d'après lesquelles il aurait pu extrapoler la vie extérieure. Si on cherche à trouver le vrai cheminement de la vie, il nous faut chercher à la source même de la vie. Seul le Christ est ``le Chemin, la Vérité et la Vie'' (Jn 14:6) et notre tâche est de cheminer dans les pas du Seigneur pour pouvoir entrer dans ce mystère qui nous donne la vraie liberté qui nous mène vers le Père.




``Une éducation chrétienne vise principalement à ce que les baptisés, introduits graduellement dans la connaissance des mystères du salut, deviennent chaque jour plus conscients de ce don de la foi qu'ils ont reçu, apprennent à adorer Dieu le Père en esprit et vérité (cf. Jn 4,23), surtout dans le culte liturgique, soient formés de façon à mener leur vie propre selon l'homme nouveau dans une justice et une sainteté véritables (cf. Eph 2,22-24), et qu'ainsi, aboutissant à l'homme parfait, à l'âge de la plénitude du Christ (cf. Eph 4,13), ils apportent leur contribution à la croissance du Corps mystique. Qu'en outre, conscients de leur vocation, ils prennent l'habitude aussi bien de rendre témoignage à l'espérance qui est en eux (cf. 1 P. 3,15), que d'aider à la transformation chrétienne du monde, par quoi leurs valeurs naturelles, reprises et intégrées dans la perspective totale de l'homme racheté par le Christ, contribuent au bien de toute la société.''(Gravissimum Educationis,2)
En plus des éléments de la moralité, il y a aussi l'importance de la théologie comme sujet de l'éducation. Et puisque Dieu est la source de la vie qui nous révèle la vérité de la vie morale, il est impératif d'essayer de mieux connaître ses doctrines pour, finalement, mieux Le connaître.




Si l'on définit la théologie comme la science qui traite des doctrines et révélations de Dieu, on doit, pour maintenir l'unité de la connaissance, l'enseigner dans nos universités qui, par définition, doivent dispenser la connaissance universelle. ``Since learning is a circle or a whole, the systematic omission of any one science from the catalogue prejudices the accuracy and completeness of our knowledge altogether, and that, in proportion to its importance. Such is the case of those sciences and institutions that aim at a purely secular learning. ... All knowledge forms one whole, because its subject matter is one ; for the universe in its length and breadth is so intimitely knit together that we cannot seperate off portion from portion... He has so implicated Himself with it... that we cannot truly or fully contemplate it without in some main aspect contemplating Him.'' (Newman)
En poursuivant l'unité de la connaissance on doit avoir en vue Dieu qui est la raison de toutes choses. Tandis qu'en étudiant un sujet particulier on est limité par les bornes des systèmes et languages de ce sujet, on doit garder à l'esprit le rétablissement des liens entre sujets pour la compréhension globale. Les abstractions qu'on fait pour avancer dans la recherche en dissociant deux sujets doivent ensuite être rétablis afin de comprendre les relations entre ces deux sujets. Et en n'admettant pas la connaissance qui provient de la théologie on néglige les liens existant et on nie une partie de la connaissance. ``The light of faith operates on human problems somewhat like an X-ray. You look at a box with the naked eye and it appears to be of wood and tinsel and cheap wrapping paper, and, therefore, of no great value. You look at it with an X-ray and you see the contents of the box to be diamonds and rubies... If you have not the light of faith, you may be educated, but can you correlate your knowledge into a unified philosophy of life ?''(Bishop Fulton J. Sheen)
L'important est ``que chaque disciple soit cultivé selon ses principes, sa méthode propre et la liberté propre à la recherche scientifique, de telle sorte qu'on approfondisse chaque jour la compréhension des différentes disciplines et que, grâce à un examen plus attentif des questions et recherches nouvelles que soulèvent les progrès de l'époque, on reconnaisse et on discerne mieux, en marchant sur les traces des docteurs de l'Église, et particulièrement Saint Thomas d'Aquin, comment la foi et la science tendent à une unique vérité.''(Gravissimum Educationis, 10)




La vérité étant l'objet de toute connaissance, on devrait être motivé non seulement pour la recherche scientifique mais aussi pour développement d'une connaissance plus profonde grâce à la théologie qui nous mène vers la Vérité Divine. La réponse à la question que Ponce Pilate a posée à Jésus lors de son jugement : ``Qu'est-ce que la vérité?'' (Jn 18:38), devient alors une question fondamentale dans l'établissement et l'aboutissement de l'éducation. Mais, de la même manière que Pilate n'a pas pu voir la Vérité devant lui, nous aussi, sans la grâce de Dieu, sommes incapables de percevoir ces mêmes faits qui se révèlent devant nous. Et par l'action de l'Esprit, nous sommes non seulement menés à la vérité de la foi chrétienne qui nous rend la liberté, mais en plus donnée une éducation qui mène à la plénitude de l'homme en complétant son existance intellectuel par une vie spirituelle.
















K.C.


Article paru dans Sénevé


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