Les deux articles suivants se répondent. Une conclusion
commune est écrite a la fin du deuxième article.
La Voix Qui Crie
Une voix crie:
``Dans le désert frayez le chemin du Seigneur;
Dans la steppe aplanissez une route pour notre Dieu.
Pour Jean le Baptiste, tout commence avec l'annonce d'Isaïe,
``Une
Voix crie" (Is 40, 3).
La voix est ici chargée d'une tâche précisément
prophétique, interpréter la promesse donnée par Dieu à Israël, dire
comment elle s'accomplit. Isaïe annonce avant tout l'accomplissement
de la promesse de rachat, cette promesse qu'il avait déjà faite à
Moïse en Égypte. La voix est donc figure de celui qui aura pour tâche
d'annoncer l'accomplissement définitif des promesses de Dieu, ce que
fait proprement Jean.
Ensuite, cette annonce parle d'un chemin (v. 3), le chemin de Dieu. Ce
chemin peut être le chemin que nous devons tracer dans nos coeurs
pour être des hommes pieux, c'est-à-dire en langage biblique,
conformes à l'alliance et aux promesses que Dieu nous a faites. Ce
chemin est certes la description du travail de faire de la place à
Dieu dans son coeur, mais c'est avant tout la droiture, l'observance
droite de la loi. De ce point de vue, Jean-Baptiste est le Juste,
celui qui vient le dernier observer la loi complètement. Ensuite, ce chemin peut être celui que Dieu se fraie
et emprunte pour venir à nous, et c'est donc une annonce de sa venue:
Dieu (re)vient. Si Jean-Baptiste s'identifie, avec son accoutrement
d'Ancien Testament, tellement à la loi (c'est Jésus qui le dit de
lui) au point d'être celui qui fraie le chemin, qui observe la loi, Jésus, qui vient après lui, sera proprement le
Chemin, la loi elle-même, non seulement observée mais accomplie. Et
d'autre part, Jésus est Dieu venant au devant de nous, Dieu empruntant
chemin pour venir à nous.
Puis il est question d'une révélation, vision face à face dans la
chair: la voix parle de voir. Jean, la Voix, dira :``voici l'Agneau de
Dieu", montrant le Dieu fait chair et rendu visible.
La voix prophétique est aussi voix qui reconnaît l'abaissement et
l'inanité de l'homme, et la subsistance éternelle de la Parole: au
commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe
était Dieu.
Enfin, la Voix, messagère de la bonne nouvelle du salut,
``evangelizomenos'' dit la Septante, est le premier évangéliste; elle annonce la
venue de Dieu en donnant comme figure le pasteur qui rassemble les
brebis dispersées sous son aile. Ce pasteur est indentifié par Jean
l'évangéliste, c'est le Christ (Jn X, 11). Cette venue est annoncée
comme surgissement à l'Est du Soleil de Justice, du Messie, et
l'étoile des mages semble une reprise de cette annonce, étoile qui
surgit de l'obscurité à l'orient.
Malachie, de son côté (III, 1), reprend le personnage du messager de
la nouvelle et l'identifie (v. 23) à Élie. Il est encore fait mention
du chemin, et le contexte est celui d'une venue, d'un jugement, du
rétablissement du droit. Le passage est plus explicitement
eschatologique: il est question du Jour (v. 17, 19). La Septante
traduit avec deux mots qui mettent sur la voie de l'apôtre et de
l'évangéliste.
Les prophètes annoncent donc la Voix, figure de la Parole, la loi
observée, figure de la loi accomplie, la proclamation du Jour qui
vient, figure de la prédication apostolique de l'Heure du Rachat
accomplie. Cette annonce est réalisée en Jean et c'est cela que les
évangélistes vont nous dire.
Le Précurseur
Les évangélistes identifient en effet en Jean le Baptiste la Voix et
le Messager annoncés par Isaïe et Malachie. Ainsi en Mt III, 1-12, on
a tour à tour l'identification de la Voix, la description de Jean
comme un prophète de l'Ancien Testament, dans le contexte de l'annonce
d'un jour du jugement, réalisé dans la venue de Dieu. Marc, quant à
lui, y ajoute déjà l'identification de Ml III, 1, faisant ainsi de
Jean le premier évangéliste, puisqu'il est le ``messager de la Bonne
Nouvelle".
Voici l'identification:
Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu. Selon qu'il est écrit dans Isaïe le prophète:
Voici que j'envoie mon messager en avant de toi
Pour préparer ta route (Ml III,1)
Voix de celui qui crie dans le désert:
Préparez le chemin du Seigneur,
Rendez droits ses chemins
Jean le Baptiste fut dans le désert, proclamant un baptême de conversion pour la rémission des péchés...
puis la description du prophète:
Jean était vêtu d'une peau de chameau et mangeait des sauterelles et du miel sauvage....(Mc I, 1-6)
et le contexte de jugement:
``Engeance de vipères, qui vous a suggéré d'échapper à la Colère
Prochaine?...Déjà la cognée est à la racine des arbres...[celui qui
vient] tient en sa main la pelle à vanner et va nettoyer son
aire...(Mt III, 7-12)
Pour Luc, avec les ajouts qui lui sont propres (Lc III, 1-14), Jean est un prophète qui reçoit un oracle de Dieu, à une date précise de l'histoire, relatif au salut. On peut comparer Lc III,1 par exemple avec le début du livre de Jérémie:
Paroles de Jérémie, fils de Hilqiyyahu, l'un des prêtres résidant à Anatot, en territoire de Benjamin. A lui fut adressée la parole du Seigneur, aux jours de Josias, fils d'Amon, roi de Juda, la treizième année de son règne...(Jr I, 1-2)
En développant les prédications de Jean, Luc leur donne des accents
qui annoncent le ``style"de Jésus, et en même temps Jean garde une
mesure, préconise des attitudes moyennes, comme provisoires, car il ne
possède pas l'autorité pour demander à ses auditeurs un quelconque
engagement radical.
Avec Jean, la personne de Baptiste est entièrement éclairée: en Jn I,
19-28, c'est Jean lui-même qui cite directement Isaïe pour
s'identifier, puis qui rappelle ses propres paroles ``Il vient après
moi un homme". Ici Jean se montre nettement comme un prophète de
l'Ancien Testament, un homme de la Parole de Dieu proclamée et
rappelée, la Voix qui admoneste, menace et prédit.
Il y eut un homme envoyé de Dieu. Son nom était Jean. Il vint pour témoigner, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent en lui. Celui-là n'était pas la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière (Jn I, 6-8).
En même temps Jean, dès les premières lignes de son prologue, pose
nettement la solution de continuité entre Jean et Jésus, entre la Voix
et la Parole, la prédiction et l'accomplissement.
Ceci est d'autant plus manifeste en Mt XI, 2-15=Lc VII, 18-28 dans la
mesure où Jean et Jésus sont tout deux identifiés comme accomplissant
une promesse, mais tout deux absolument différents. Jean (Lc VII,
24-28) est un prophète, et à la fois plus qu'un prophète car il est le
dernier et celui qui doit annoncer l'acomplissement définitif, celui
qui lui-même accomplit la prophétie de Ml III, 1 qui est, dans la mise
en page de nos Bibles, la dernière des prophéties de l'Ancien
Testament. Il est Élie (Mt XI, 13-15), il est l'observance de la
Loi. Mais il est du côté de l'Ancien Testament, de la Loi et des
prophètes (Lc XVI, 16): aussi est il le plus grand des hommes de
l'Ancien Testament, car le dernier, mais le plus petit dans le Royaume
des Cieux. En face de cette identification de Jean, celle de Jésus (Lc
VII, 18-23) qui la précède:
``Es-tu celui qui doit venir?"...``Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu."(Lc VII, 19. 22)
Ce passage pose clairement la problématique de la relation qui lie Jean et Jésus en terme de l'opposition entre l'Ancien et le Nouveau Testament. L'exemple le plus évident est la comparaison des deux baptêmes, Jn III, 22-26 Jn IV, 1-3. Jean baptise dans l'eau (Mt III, 11-12): il est dans la situation dans laquelle se trouvait le monde à l'époque de Noé: tandis que les hommes gloutons et dépravés se moquent des menaces de Dieu, Jean vient ``ne mangeant ni ne buvant" (Lc VII, 31-35=Mt XI, 16-19). Jésus, par opposition ``à vrai dire ne baptisait pas" (Jn IV, 2). Jean, par cette incise qui corrige la première assertion de III, 22, ``il baptisait", veut manifester la nouveauté du baptême du Christ dont l'inauguration a peut-être lieu auprès du puits de Jacob avec la Samaritaine. Là en effet, Jésus promet ``l'eau jaillissant en vie éternelle" (Jn IV, 14), l'eau définitive (``que je n'aie plus jamais soif" IV, 15) et dépassant en excès l'eau de Jean 1. Ce passage des deux baptêmes met donc en relief à la fois l'opposition qui existe entre l'Ancien et le Nouveau, Jean et Jésus, et le mode de relation qui les lie à l'intérieur de cette opposition et qui est la préfiguration. Jean annonce Jésus, au point qu'Hérode prenne Jésus pour le fantôme de Jean, son ombre, alors qu'en réalité c'est l'inverse, Jean est l'ombre, la préfiguration de Jésus. La comparaison de leurs enseignements dans Lc III, 1-14 l'avait déjà montré. Jésus doit souffrir comme Jean qui est Élie: l'exécution du Baptiste annonce la Passion du Christ, comme tous les prophètes martyrisés ou torturés de l'Ancien Testament, par exemple Jérémie ou de la manière la plus complète le Serviteur Souffrant.
Celui Qui Diminue
Jean comme figure de Jésus pose un problème original. Jean le Baptiste
est un personnage de l'Ancien Testament dans le Nouveau Testament. Il
y a donc un effet de tuilage, une superposition de la figure et de ce
qu'elle annonce: la figure, dans une situtation exceptionnelle, est
présentée (comme on dit d'une proposition, puisqu'il est question de
la Parole), pendant un moment, en même temps que son antitype. Du coup se pose la question de qui faut-il croire et
c'est celle que posent les disciples de Jean venant voir Jésus. La
conséquence est issue de la décision de Jean lui-même:
``Il faut que lui grandisse, et que je diminue". (Jn III, 30)
La résolution a lieu dans l'exécution de Jean, comme laissant la place à Jésus (Mt XIV, 3-12=Mc VI, 17-28). Jean est donc en quelque sorte la mort de l'Ancient Testament, la mort de la figure lorsqu'est révélée en Jésus non plus une figure, mais l'image du Père. Il y a là un jeu de lumières qui s'effacent ou se dévoilent, tel que l'exprime par exemple Jean l'évangéliste dans son prologue. Le Verbe est la Lumière dans les ténèbres et Jean qui ``rend témoignage à la lumière", ``n'est pas la lumière". Il doit s'effacer dans l'ombre, dans la profondeur laissée par la Lumière. Il doit, une fois la Lumière manifestée dont il était une figure encore déficiente, s'aligner, se conformer à elle, passer derrière elle.
``Derrière moi vient un homme
Qui est passé devant moi
Parce qu'avant moi il était." (Jn I, 30)
Jean se détache donc de ses disciples en les incluant avec lui dans un alignement derrière l'antitype2 .
Le lendemain, Jean se tenait là, de nouveau, avec deux de ces disciples. Regardant Jésus qui passait, il dit :``Voici l'Agneau de Dieu". Les deux disciples entendirent ses paroles et suivirent Jésus. (Jn 35-37)
En leur montrant Jésus l'Image du Père, ce qui est de l'ordre du visible, lui qui est la Voix, de l'ordre de l'audible, se dépasse et accomplit par-delà lui-même son dernier acte avant sa mort. C'est Jean, qui va souffrir son exécution, qui identifie en Jésus l'Agneau de Dieu, c'est-à-dire le Serviteur Souffrant, l'Agneau muet conduit à l'abattoir (Is LIII, 7). On entre ici dans toute la profondeur de la vocation prophétique de Jean: la Voix identifie le Silence, la brebis muette, prenant conscience, elle qui crie au porche de l'Incarnation, de l'issue bouleversante et tragique de l'Économie du Christ; et alors, elle se tait devant ce silence. Elle se fait tuer; la figure découvrant ce dont elle est la figure, à savoir le silence, s'exécute. La Voix va très loin dans la précision de son témoignage au point d'être le deuxième martyr de Jésus après les Innocents, anticipant sur le témoignage à la Vérité que rendront les apôtres et les martyrs reproduisant dans leur corps la Passion du Christ mais après celle-ci.
La Joie Toutefois, Jean, dans son dernier discours (Jn III, 27-36), voit clairement dans sa diminutation face à l'antitype l'accomplissement de sa joie:
Qui a l'épouse est l'époux;
Mais l'ami de l'époux
Qui se tient là et qui l'entend,
Est ravi de joie à la voix de l'époux.
Telle est ma joie,
Et elle est complète.
Il faut que lui grandisse
Et que je diminue. (Jn III, 29-30)
En disant ici qu'il est ami de l'époux, Jean s'identifie en quelque sorte parmi les disciples qui ne jeûnent pas mais se réjouissent de la présence de l'époux en Mt IX, 14-17=Mc II, 18-22. Jean semble donc à ce titre une figure de l'apôtre ou du chrétien, avec toutefois cette déficience qu'il ne connaît pas ``les jours où l'époux leur sera enlevé", c'est-à-dire la Passion, sinon dans sa propre préfiguration de celle-ci dans son exécution. Il ne connaîtra pas, surtout, l'issue de la Passion, la Résurection et l'effusion de l'Esprit Saint, qui sont les fondations de l'Église. En tout cas, il est celui qui tressaille à la Visitation (Lc I, 39-44).
Et il advint, dès qu'Élisabeth eut entendu la salutation de Marie, que l'enfant tressaillit dans son sein et Élisabeth fut remplie de l'Esprit Saint (Lc I, 41).
Dans la femme stérile qui conçoit, l'Église se considère traditionnellement préfigurée. Ici, en Élisabeth, c'est l'Église qui se réjouit d'une naissance pour sa cousine, et la naissance même de son enfant est joie. ``Tu auras joie et allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance" (Lc I, 16) lui avait promis l'ange. Cette joie est Joie devant la puissance de Dieu pour qui rien n'est impossible, et qui donne un enfant à la stérile, Joie devant le dessein de rachat que Dieu a préparé pour tous3. Tous se réjouissent autour de la naissance de Jean, comme de celle de Jésus à la crèche, au point que Zacharie le muet éclate de joie dans le Benedictus, d'une joie qui est celle de l'enthousiasme prophétique. Dans Zacharie, il devient manifeste, comme aussi mais peut-être moins humainement et plus mystérieusement dans Marie, que c'est l'Esprit lui-même qui inspire cette Joie. Aussi le dernier évangile choisit-il, dans la dernière apparition de Jean dans le récit, de le caractériser par sa joie, qui est complète. Jean l'évangéliste donne ainsi à l'Église en Jean le Baptiste la figure d'un homme complètement envahi par l'Esprit, ``ravi de joie": ``J'ai vu l'Esprit" (Jn I, 32). La vie de Jean le Baptiste est en quelque sorte doublement centrée sur deux séries: l'Esprit, la colombe, l'eau, le Baptême et l'Effusion; et le Verbe, la Parole, l'Époux, l'Agneau de Dieu et la Passion.
En tant que figure, Jean montre quelque chose à
voir, mais d'une manière très particulière: ce qu'il donne à voir ne
peut être vu que si on le rapporte à Jésus. Jean tourne vers Jésus, et
à la fois se tourne vers Jésus. Et ce qu'il montre est l'envahissement
de la vie de Jésus par l'Esprit (c'est l'événement du baptême) et la
joie parfaite qui est celle d'accomplir la volonté du Père. En étant
lui-même ``ravi de joie", Jean montre au chrétien, c'est-à-dire à
l'Épouse, les deux dimensions qui lui permettent de rentrer dans la
vie divine, la Liberté laissée à l'Esprit Saint d'informer notre vie,
et l'obéissance totale au Père: cela est la Joie Parfaite.
Article paru dans Sénevé
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