Jean le Baptiste

Xavier Morales


Les deux articles suivants se répondent. Une conclusion
commune est écrite a la fin du deuxième article.


La Voix Qui Crie

Pour Jean le Baptiste, tout commence avec l'annonce d'Isaïe, ``Une Voix crie" (Is 40, 3). La voix est ici chargée d'une tâche précisément prophétique, interpréter la promesse donnée par Dieu à Israël, dire comment elle s'accomplit. Isaïe annonce avant tout l'accomplissement de la promesse de rachat, cette promesse qu'il avait déjà faite à Moïse en Égypte. La voix est donc figure de celui qui aura pour tâche d'annoncer l'accomplissement définitif des promesses de Dieu, ce que fait proprement Jean.
Ensuite, cette annonce parle d'un chemin (v. 3), le chemin de Dieu. Ce chemin peut être le chemin que nous devons tracer dans nos coeurs pour être des hommes pieux, c'est-à-dire en langage biblique, conformes à l'alliance et aux promesses que Dieu nous a faites. Ce chemin est certes la description du travail de faire de la place à Dieu dans son coeur, mais c'est avant tout la droiture, l'observance droite de la loi. De ce point de vue, Jean-Baptiste est le Juste, celui qui vient le dernier observer la loi complètement. Ensuite, ce chemin peut être celui que Dieu se fraie et emprunte pour venir à nous, et c'est donc une annonce de sa venue: Dieu (re)vient. Si Jean-Baptiste s'identifie, avec son accoutrement d'Ancien Testament, tellement à la loi (c'est Jésus qui le dit de lui) au point d'être celui qui fraie le chemin, qui observe la loi, Jésus, qui vient après lui, sera proprement le Chemin, la loi elle-même, non seulement observée mais accomplie. Et d'autre part, Jésus est Dieu venant au devant de nous, Dieu empruntant chemin pour venir à nous.
Puis il est question d'une révélation, vision face à face dans la chair: la voix parle de voir. Jean, la Voix, dira :``voici l'Agneau de Dieu", montrant le Dieu fait chair et rendu visible.
La voix prophétique est aussi voix qui reconnaît l'abaissement et l'inanité de l'homme, et la subsistance éternelle de la Parole: au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu.
Enfin, la Voix, messagère de la bonne nouvelle du salut, ``evangelizomenos'' dit la Septante, est le premier évangéliste; elle annonce la venue de Dieu en donnant comme figure le pasteur qui rassemble les brebis dispersées sous son aile. Ce pasteur est indentifié par Jean l'évangéliste, c'est le Christ (Jn X, 11). Cette venue est annoncée comme surgissement à l'Est du Soleil de Justice, du Messie, et l'étoile des mages semble une reprise de cette annonce, étoile qui surgit de l'obscurité à l'orient.
Malachie, de son côté (III, 1), reprend le personnage du messager de la nouvelle et l'identifie (v. 23) à Élie. Il est encore fait mention du chemin, et le contexte est celui d'une venue, d'un jugement, du rétablissement du droit. Le passage est plus explicitement eschatologique: il est question du Jour (v. 17, 19). La Septante traduit avec deux mots qui mettent sur la voie de l'apôtre et de l'évangéliste.
Les prophètes annoncent donc la Voix, figure de la Parole, la loi observée, figure de la loi accomplie, la proclamation du Jour qui vient, figure de la prédication apostolique de l'Heure du Rachat accomplie. Cette annonce est réalisée en Jean et c'est cela que les évangélistes vont nous dire.


Le Précurseur Les évangélistes identifient en effet en Jean le Baptiste la Voix et le Messager annoncés par Isaïe et Malachie. Ainsi en Mt III, 1-12, on a tour à tour l'identification de la Voix, la description de Jean comme un prophète de l'Ancien Testament, dans le contexte de l'annonce d'un jour du jugement, réalisé dans la venue de Dieu. Marc, quant à lui, y ajoute déjà l'identification de Ml III, 1, faisant ainsi de Jean le premier évangéliste, puisqu'il est le ``messager de la Bonne Nouvelle".
Voici l'identification:

puis la description du prophète:

et le contexte de jugement:


Pour Luc, avec les ajouts qui lui sont propres (Lc III, 1-14), Jean est un prophète qui reçoit un oracle de Dieu, à une date précise de l'histoire, relatif au salut. On peut comparer Lc III,1 par exemple avec le début du livre de Jérémie:

En développant les prédications de Jean, Luc leur donne des accents qui annoncent le ``style"de Jésus, et en même temps Jean garde une mesure, préconise des attitudes moyennes, comme provisoires, car il ne possède pas l'autorité pour demander à ses auditeurs un quelconque engagement radical.
Avec Jean, la personne de Baptiste est entièrement éclairée: en Jn I, 19-28, c'est Jean lui-même qui cite directement Isaïe pour s'identifier, puis qui rappelle ses propres paroles ``Il vient après moi un homme". Ici Jean se montre nettement comme un prophète de l'Ancien Testament, un homme de la Parole de Dieu proclamée et rappelée, la Voix qui admoneste, menace et prédit.

En même temps Jean, dès les premières lignes de son prologue, pose nettement la solution de continuité entre Jean et Jésus, entre la Voix et la Parole, la prédiction et l'accomplissement.
Ceci est d'autant plus manifeste en Mt XI, 2-15=Lc VII, 18-28 dans la mesure où Jean et Jésus sont tout deux identifiés comme accomplissant une promesse, mais tout deux absolument différents. Jean (Lc VII, 24-28) est un prophète, et à la fois plus qu'un prophète car il est le dernier et celui qui doit annoncer l'acomplissement définitif, celui qui lui-même accomplit la prophétie de Ml III, 1 qui est, dans la mise en page de nos Bibles, la dernière des prophéties de l'Ancien Testament. Il est Élie (Mt XI, 13-15), il est l'observance de la Loi. Mais il est du côté de l'Ancien Testament, de la Loi et des prophètes (Lc XVI, 16): aussi est il le plus grand des hommes de l'Ancien Testament, car le dernier, mais le plus petit dans le Royaume des Cieux. En face de cette identification de Jean, celle de Jésus (Lc VII, 18-23) qui la précède:

Ce passage pose clairement la problématique de la relation qui lie Jean et Jésus en terme de l'opposition entre l'Ancien et le Nouveau Testament. L'exemple le plus évident est la comparaison des deux baptêmes, Jn III, 22-26 Jn IV, 1-3. Jean baptise dans l'eau (Mt III, 11-12): il est dans la situation dans laquelle se trouvait le monde à l'époque de Noé: tandis que les hommes gloutons et dépravés se moquent des menaces de Dieu, Jean vient ``ne mangeant ni ne buvant" (Lc VII, 31-35=Mt XI, 16-19). Jésus, par opposition ``à vrai dire ne baptisait pas" (Jn IV, 2). Jean, par cette incise qui corrige la première assertion de III, 22, ``il baptisait", veut manifester la nouveauté du baptême du Christ dont l'inauguration a peut-être lieu auprès du puits de Jacob avec la Samaritaine. Là en effet, Jésus promet ``l'eau jaillissant en vie éternelle" (Jn IV, 14), l'eau définitive (``que je n'aie plus jamais soif" IV, 15) et dépassant en excès l'eau de Jean 1. Ce passage des deux baptêmes met donc en relief à la fois l'opposition qui existe entre l'Ancien et le Nouveau, Jean et Jésus, et le mode de relation qui les lie à l'intérieur de cette opposition et qui est la préfiguration. Jean annonce Jésus, au point qu'Hérode prenne Jésus pour le fantôme de Jean, son ombre, alors qu'en réalité c'est l'inverse, Jean est l'ombre, la préfiguration de Jésus. La comparaison de leurs enseignements dans Lc III, 1-14 l'avait déjà montré. Jésus doit souffrir comme Jean qui est Élie: l'exécution du Baptiste annonce la Passion du Christ, comme tous les prophètes martyrisés ou torturés de l'Ancien Testament, par exemple Jérémie ou de la manière la plus complète le Serviteur Souffrant.


Celui Qui Diminue
Jean comme figure de Jésus pose un problème original. Jean le Baptiste est un personnage de l'Ancien Testament dans le Nouveau Testament. Il y a donc un effet de tuilage, une superposition de la figure et de ce qu'elle annonce: la figure, dans une situtation exceptionnelle, est présentée (comme on dit d'une proposition, puisqu'il est question de la Parole), pendant un moment, en même temps que son antitype. Du coup se pose la question de qui faut-il croire et c'est celle que posent les disciples de Jean venant voir Jésus. La conséquence est issue de la décision de Jean lui-même:

La résolution a lieu dans l'exécution de Jean, comme laissant la place à Jésus (Mt XIV, 3-12=Mc VI, 17-28). Jean est donc en quelque sorte la mort de l'Ancient Testament, la mort de la figure lorsqu'est révélée en Jésus non plus une figure, mais l'image du Père. Il y a là un jeu de lumières qui s'effacent ou se dévoilent, tel que l'exprime par exemple Jean l'évangéliste dans son prologue. Le Verbe est la Lumière dans les ténèbres et Jean qui ``rend témoignage à la lumière", ``n'est pas la lumière". Il doit s'effacer dans l'ombre, dans la profondeur laissée par la Lumière. Il doit, une fois la Lumière manifestée dont il était une figure encore déficiente, s'aligner, se conformer à elle, passer derrière elle.



Jean se détache donc de ses disciples en les incluant avec lui dans un alignement derrière l'antitype2 .

En leur montrant Jésus l'Image du Père, ce qui est de l'ordre du visible, lui qui est la Voix, de l'ordre de l'audible, se dépasse et accomplit par-delà lui-même son dernier acte avant sa mort. C'est Jean, qui va souffrir son exécution, qui identifie en Jésus l'Agneau de Dieu, c'est-à-dire le Serviteur Souffrant, l'Agneau muet conduit à l'abattoir (Is LIII, 7). On entre ici dans toute la profondeur de la vocation prophétique de Jean: la Voix identifie le Silence, la brebis muette, prenant conscience, elle qui crie au porche de l'Incarnation, de l'issue bouleversante et tragique de l'Économie du Christ; et alors, elle se tait devant ce silence. Elle se fait tuer; la figure découvrant ce dont elle est la figure, à savoir le silence, s'exécute. La Voix va très loin dans la précision de son témoignage au point d'être le deuxième martyr de Jésus après les Innocents, anticipant sur le témoignage à la Vérité que rendront les apôtres et les martyrs reproduisant dans leur corps la Passion du Christ mais après celle-ci.


La Joie Toutefois, Jean, dans son dernier discours (Jn III, 27-36), voit clairement dans sa diminutation face à l'antitype l'accomplissement de sa joie:



En disant ici qu'il est ami de l'époux, Jean s'identifie en quelque sorte parmi les disciples qui ne jeûnent pas mais se réjouissent de la présence de l'époux en Mt IX, 14-17=Mc II, 18-22. Jean semble donc à ce titre une figure de l'apôtre ou du chrétien, avec toutefois cette déficience qu'il ne connaît pas ``les jours où l'époux leur sera enlevé", c'est-à-dire la Passion, sinon dans sa propre préfiguration de celle-ci dans son exécution. Il ne connaîtra pas, surtout, l'issue de la Passion, la Résurection et l'effusion de l'Esprit Saint, qui sont les fondations de l'Église. En tout cas, il est celui qui tressaille à la Visitation (Lc I, 39-44).

Dans la femme stérile qui conçoit, l'Église se considère traditionnellement préfigurée. Ici, en Élisabeth, c'est l'Église qui se réjouit d'une naissance pour sa cousine, et la naissance même de son enfant est joie. ``Tu auras joie et allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance" (Lc I, 16) lui avait promis l'ange. Cette joie est Joie devant la puissance de Dieu pour qui rien n'est impossible, et qui donne un enfant à la stérile, Joie devant le dessein de rachat que Dieu a préparé pour tous3. Tous se réjouissent autour de la naissance de Jean, comme de celle de Jésus à la crèche, au point que Zacharie le muet éclate de joie dans le Benedictus, d'une joie qui est celle de l'enthousiasme prophétique. Dans Zacharie, il devient manifeste, comme aussi mais peut-être moins humainement et plus mystérieusement dans Marie, que c'est l'Esprit lui-même qui inspire cette Joie. Aussi le dernier évangile choisit-il, dans la dernière apparition de Jean dans le récit, de le caractériser par sa joie, qui est complète. Jean l'évangéliste donne ainsi à l'Église en Jean le Baptiste la figure d'un homme complètement envahi par l'Esprit, ``ravi de joie": ``J'ai vu l'Esprit" (Jn I, 32). La vie de Jean le Baptiste est en quelque sorte doublement centrée sur deux séries: l'Esprit, la colombe, l'eau, le Baptême et l'Effusion; et le Verbe, la Parole, l'Époux, l'Agneau de Dieu et la Passion.


En tant que figure, Jean montre quelque chose à voir, mais d'une manière très particulière: ce qu'il donne à voir ne peut être vu que si on le rapporte à Jésus. Jean tourne vers Jésus, et à la fois se tourne vers Jésus. Et ce qu'il montre est l'envahissement de la vie de Jésus par l'Esprit (c'est l'événement du baptême) et la joie parfaite qui est celle d'accomplir la volonté du Père. En étant lui-même ``ravi de joie", Jean montre au chrétien, c'est-à-dire à l'Épouse, les deux dimensions qui lui permettent de rentrer dans la vie divine, la Liberté laissée à l'Esprit Saint d'informer notre vie, et l'obéissance totale au Père: cela est la Joie Parfaite.

X.M.


Article paru dans Sénevé


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