La procréation au temps des millénaires

Avoir un enfant hier et aujourd'hui : entre science, religion et foi

Aude Chauty

Pour répondre à Laurent, dans l'Edito du Sénevé précédent, voici un article d'une scientifique...

Il y a quelques semaines, en entrant dans un kiosque à journaux, j'ai ri en découvrant que, comme chaque année, une revue de vulgarisation scientifique annonçait avec certitude que, enfin, on pouvait choisir le sexe de son enfant... Et les gens achètent, toujours intéressés, toujours pleins d'espoir. Me promenant ensuite dans un kiosque un peu différent (la bibliothèque...), j'ai trouvé un livre sur les enfants aux Moyen-Âge, assez fascinant ... Ce livre m'a amusé certes, mais m'a aussi interpellée. Je voudrais juste vous livrer ces modestes réflexions.


Ils se marièrent et eurent de nombreux enfants ...


Au Moyen-Âge, la stérilité était une malédiction. Il fallait avoir des enfants, coute que coute ! Afin d'augmenter les chances de conception, beaucoup de ``trucs'' étaient transmis de génération en génération. De nombreuses recettes1 étaient ainsi couramment utilisées, pour l'homme comme pour la femme. L'homme devait consommer des aliments qui ``échauffent, provoquent, stimulent ou améliorent la conception''(châtaignes, poireaux, carottes, asperges), et la femme ne devait pas être trop grasse (on lui prescrivait entre autres l'aristoloche, ou le poireau). Cela faisait-il vraiment de l'effet ? La simplicité de ces moyens nous rend pour le moins sceptiques !2 Aujourd'hui, les `recettes' sont plus élaborées, et on ne parle d'ailleurs plus de recette, mais de traitement ... Les légumes ont été remplacés par des hormones ... Les effets sont certes mieux contrôlés, on en connait assez bien les mécanismes, mais on n'en peut pas (encore?)garantir à cent pour cent l'efficacité, on continue à parler d'"alchimie".


La prière et la superstition étaient aussi très présentes, tant par des objets que par des actes pieux : ``le recours aux reliques invoquées par tous, rois ou paysans, contre la stérilité, ceinture de la Vierge Marie, cordon ombilical ou prépuce du Christ, dont il n'existait pas moins de quatorze spécimens en Occident..., mais aussi pélerinages à des fontaines, à des sources, ou à des chapelles spécialisées, dédiées à la Vierge à qui l'on offrait des ex-voto de cire de la forme et du poids du bébé que l'on désirait obtenir.'' Où est la foi ici ? En quoi se distingue-t-elle de la superstition ? Sur quoi se base-t-elle ? Que recherche-t-elle ?
Certes, la prière de demande est une forme de prière courante. La question est de savoir sans ambiguité pourquoi telle demande est formulée. Est-ce juste l'expression d'un souhait, d'un désir plus ou moins égoïste, l'espoir que Dieu va jouer le rôle d'un Père Noël ayant reçu les listes de nombreux enfants ? Est-ce au contraire une demande de grâce afin de mieux vivre en chrétien, une demande d'Amour, une demande d'aide pour mieux suivre le Christ, ou pour mieux comprendre où il nous mène, mais en décidant de le suivre avec confiance ? Cette ambiguité a subsisté, et dans des domaines comparables. Par exemple, des couples vont spécialement prier pour obtenir un enfant . Ste Opportune est, paraît-il, particulièrement à l'écoute de ce genre de demande...si bien que ma cousine par exemple a été baptisée de ce prénom (il est vrai en troisième position...). Quant à son frère, sa naissance serait due a sa grand-mère, décédée quelques mois plus tôt. Il est ici difficile de démeler les raisons médicales, mystiques, spirituelles, et psychologiques.

D'autre part, le Moyen-Âge avait lui aussi ses aventures hors-mariage, ses périodes où l'enfant était indésirable, la maison devenant trop petite, les moyens financiers étant limités, etc... Les femmes utilisaient alors telles ou telles méthodes comme contraceptif ou comme abortif. De même que pour la fertilité, des recettes `magiques' étaient utilisées, comme certaines herbes ou plantes de jardin (graine de fougère, persil), bains de camomille (aux dosages aléatoires et dangereux, autant pour la femme que pour l'enfant, mais), mais aussi des traitements nettements plus violents (coups sur le ventre, ...). Au pire, l'enfant était abandonné à sa naissance, ou même tué (mais les cas sont très rares). La femme responsable de tels agissements était bannie par toute la communauté, et subissait des sanctions telles que la flagellation. Cependant, au XIème siècle, Burchard de Worms voit dans la pauvreté une circonstance atténuante. La question de l'enfant non désiré est très présente encore aujourd'hui. Dans les pays développés, on ne parle guère du nombre d'avortements effectués chaque année, et du nombre de femmes ayant choisi ou non cette démarche, mais qui, de toute manière, en souffrent. En Afrique, on assiste ainsi à des choses assez terribles. Je pense par exemple à une scène, au Bénin, il y a un an, que m'a racontée une étudiante en médecine partie en stage de gynécologie là-bas. Une femme venait d'accoucher, l'enfant était mort-né. La sage-femme, très attristée, annonce cela à la femme, qui se redresse alors et se met à pleurer... de rire ! Elle était heureuse de ne pas avoir cet enfant, qui aurait été son septième ....


La cellule-oeuf se divise en deux, puis en quatre, puis en huit cellules... Au terme de mitoses successives, de développement des différents tissus, l'organisme se met en place, l'enfant prend forme...


Après plus ou moins de recettes, de prières, et de conseils en tous genres, la femme finissait par être enceinte. La question suivante était alors celle de l'animation du foetus. Quand pouvait-on considérer qu'il était un être humain, avec une âme ? Au Moyen-Âge, des dates précises avaient été données : le foetus d'un garçon était animé au quarantième jour, alors que celui d'une fille devait attendre le quatre-vingtième jour... En Belgique, ces dates étaient avancées au trentième et au soixantième jour (cela interdisait alors tout avortement, puisque l'on ne pouvait se savoir enceinte avant l'animation du foetus3, et il était interdit de tuer ce foetus animé)4. Pour justifier ces dates, différentes théories étaient proposées : pour Albert le Grand, l'embryon vit d'abord comme une plante, puis comme un animal, puis dispose enfin de la pensée. Selon Hildegarde de Bingen, au XIIème siècle, l'âme arrive avec les premiers mouvements de l'enfant5. Quant à Avicenne, c'est encore plus étonnant : au trente-sixième jour, la tête de l'embryon se détache des épaules et le visage se dessine !6 Et voilà, en une journée, voire moins, ce qui n'était pas mieux qu'une plante devient un être à part entière. N'était-ce pas une manière de donner une limite, de poser des règles sur ce phénomène incompris ? Quand une cellule devient-elle plus qu'un assemblage chimique, mélange subtil de lipides, protéines, et glucides à la fois si rigoureusement et si souplement organisées ? En quoi consiste d'ailleurs cette différence irréductible, appelée par le Moyen-Age "âme", et qui n'a toujours pas trouvé depuis de terme plus "scientifique"? Le manque de connaissances amenait aux hommes du Moyen-Âge à répondre à leur manière à ces questions, en utilisant leur imagination, en se fondant sur des raisonnements non fondés expérimentalement. Comment faire autrement? La magie et la superstition occupaient une telle place... Actuellement, l'aspect fonctionnel commence à être compris (encore que, il reste beaucoup de travail...), mais la datation de l'apparition de la personne, si elle peut se faire, si elle a un sens, n'a toujours pas trouvé de consensus. Les questions sont en fait encore plus complexes lorsque l'aspect magique disparaît. Plus de fausse justification, plus d'inventions, il faut démontrer, prouver....


Le foetus animé, ayant passé avec succès l'étape des 30 jours ou plus, est non seulement vivant, mais pensant, jouant (il faut bien qu'il s'occupe en attendant de naître... !), priant. En effet, dans des livres de prière du XVème siècle, on attribue au foetus la faculté de prier et d'implorer Dieu. L'enfant peut même être béni in utero par l'Evêque. De même, dans le monde arabe médiéval, les femmes enceintes allaient écouter les leçons du Coran pour donner à leur fils à naître de l'avance dans ses études. Avec une telle conception du foetus en tant que personne, la femme devait donc être particulièrement soignée pendant sa grossesse : elle ne devait pas travailler quand c'était possible (en fait uniquement dans les milieux nobles), mais pas non plus éprouver de peur, ni se mettre en colère, etc... Il fallait aussi satisfaire aux envies de la femme de crainte que l'enfant ne souffre ou ne meure d'une privation.


Enfin arrive l'accouchement. Du fait du grand nombre de décès pendant l'accouchement, la femme était spécialement entourée les jours précédant la naissance. L'aspect spirituel était alors très important. La femme priait Saint Léonard, faisait offrir des messes pour sa délivrance. Elle portait des talismans tels que des agnus dei de cire, et des sachets d'accouchement, porteurs à la fois de la vie de Sainte Marguerite et de formules magico-religieuses7 : ``Et si une femme en travail d'enfant a cet écrit sur elle, plus vite elle se délivrera de l'enfant, l'enfant ne périra ni la femme ne mourra en ce moment''. Dans la lignée des recettes pour la fécondité ou la contraception, il en existe aussi pour déclencher l'accouchement ou le retarder. Par exemple, un aimant fixé sur le bras ou sur le ventre tire l'enfant vers le haut, alors que s'il est fixé sur la cuisse, il le tire vers le bas et est alors censé provoquer l'accouchement. Voici un exemple clair de la religion vécue comme une solution de secours, une explication à tout ce que l'on ne comprend pas. La foi est utile, car elle rassure. Dieu et Superman ne font qu'un... Croire était donc un bon moyen de ne pas avoir peur, un échappatoire psychologique devant les événements. Les effets n'étaient certes pas toujours ceux souhaités, mais bon, ça ne pouvait pas faire de mal d'y croire...

Ainsi, la transmission de la vie, dans tout ce qu'elle comprend de mystère, de peur devant l'inconnu, était tout à fait propice à l'apparition de croyances plus ou moins justifiées, de comportements mal fondés. L'avancée de la science nous permet d'avoir une attitude plus raisonnée vis-à-vis de nos craintes. Après Dieu Superman et Dieu Père Noël, nous pouvons découvrir avec bonheur que Dieu est Père. Nous pouvons croire sans avoir la tentation de le mettre à l'épreuve, de lui demander d'être à notre service, mais au contraire pour être à son service.
Quelle joie de pouvoir, petit à petit, mieux comprendre la réalité qui nous entoure, pour pouvoir encore plus louer Dieu !
Quel bonheur enfin de surmonter nos peurs vis-à-vis des réalités du monde, d'être enfin libres et pleinement disponibles pour annoncer à tous la gloire de Dieu !

A.C.

Article paru dans Sénevé


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