1 : L'idée de cet article a pour origine le fantastique voyage qu'une partie d'entre nous a effectué avec le département d'Histoire, l'an dernier, à Venise. Puisse le futur voyage à Prague être aussi riche et intéressant !


2 : Tout ce qu'il y a de bien dans cet article a pour source quasi-unique Nadeije Laneyrie-Dagen, qui a bien voulu me consacrer quelques minutes pour parler de Bellini. Je l'en remercie très vivement.


3 : l'artiste a cinquante ans, il est installé, mais a encore besoin de vivre, de se conformer au vieux modèle: il n'a d'ailleurs pas forcément envie d'en changer


4 : j'insisterai davantage sur cette oeuvre admirable, dans laquelle le vieux maître Bellini, qui touche au soir de sa vie et n'a plus rien à prouver, se fait manifestement plaisir et, sous les yeux de ses élèves, comme Titien, comme Giorgione, nous lègue une extraordinaire composition.


5 : Malgré le noir et blanc des photocopies, on peut avancer, pour les couleurs du manteau de la Vierge, une symbolique précise et récurrente : le rouge de la robe est utilisé pour le sang, partant la mort du Christ ; le bleu du manteau rappelle la pureté et la gloire du ciel, mais aussi la richesse, par le coût du lapis-lazuli. Ces deux couleurs sont utilisées tout simplement pour attirer l'oeil du spectateur sur la Vierge, partie la plus importante du tableau, car on s'était rendu compte depuis longtemps de la vigueur et de l'éclat de ce qui est pour nous les trois couleurs primaires (jaune, bleu et rouge ; mais le jaune ne pouvait guère être utilisé à l'époque des fonds dorés...).


6 : Le serpent est le mal, le péché, vaincu par la nouvelle Eve, qui lui écrase la tête, ou par le Nouvel Adam, qui, par sa résurrection toute proche, remporte définitivement la victoire sur la Mort. L'oiseau blanc est soit un pélican, soit une cigogne. S'il est un pélican (de près, on voit une sorte de jabot, d'ombre blanche), il symbolise le Christ, car les chrétiens, toujours observateurs et à l'affut des curiosités de la Nature, ont remarqué très tôt que le dit volatile plongeait son bec dans son côté gauche, où il avait une sorte de poche, comme le Christ a le côté percé par la lance... S'il est une cigogne, plus traditionnellement couplée avec un reptile, il renvoie à la Vierge, car l'oiseau alsacien a été très tôt - et encore aujourd'hui... cf Dumbo- doté d'un instinct maternel prononcé... Cependant c'est assez indécidable, Laurent Pinon lui-même y perd son latin...


7 : pas une corneille, un vrai corbeau, avec un bec jaune, oiseau assez rare dans les campagnes.


8 : On peut peut-être le mettre en parallèle avec le Père, majestueux, appelant à la foi (« Croa, croa »!), attendant son heure pour anéantir le serpent vaincu en le dévorant férocement...


9 : un scarabée aurait pourtant fait l'affaire pour répondre au corbeau...


10 : Bellini joue avec les attentes de l'observateur, il insère avec humour l'exotisme dans le quotidien le plus trivial, dans les paysages les plus familiers à une époque où Venise s'est rabattue sur les terres, délaissant des mers incertaines depuis les conquêtes ottomanes, en particulier la chute de Constantinople (1453).