L'Esprit d'enfance

Thomas Deneux


"Laissez les enfants venir à moi. Ne les empêchez pas car le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : Celui qui n'accueille pas le Royaume de Dieu à la manière d'un enfant n'y entrera pas" (Mc 10, 14-16)


On imagine facilement la scène, des personnes présentent à Jésus des enfants pour les faire toucher ; les apôtres les repoussent : les enfants ne sont pas capables, de toute façon, de comprendre un enseignement qu'eux-même ont du mal à suivre.
Chez Matthieu, c'est alors que les apôtres demandent à Jésus "quel est le plus grand dans le Royaume des Cieux" qu'il prend un enfant et leur répond :


"Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, c'est celui-là qui est le plus grand dans le Royaume des Cieux."


Jésus exprime le désir d'une relation de Dieu avec les hommes complètement différente de ce que peuvent imaginer les hommes, en donnant le modèle des enfants.


Quelles sont les qualités des enfants ?


Une manière de réagir au monde tout à fait différente des préoccupations des hommes.
Simplicité, accueil, ouverture. Les enfants sont libres, ne sont pas préoccupés par ce qu'ils font ou ont à faire, sont (plus ou moins) obéissants ; quand ils ne sont pas timides, ont un contact très facile avec des personnes inconnues, et n'ont pas même l'idée du regard des autres. N'est-il pas merveilleux dans les lieux anonymes, dans le métro, de voir un gamin raconter ses histoires ou sourire à tout le monde ? Le sourire d'un enfant suffit à donner la joie, à ôter des soucis du coeur, une impression que nos activités ont finalement peu d'importance...
Ouverture, curiosité. Une caractéristique fondamentale. Toujours à poser des questions, à s'intéresser au monde qui nous entoure.
Energie inépuisable. Cela ne fait aucun doute que les enfants sont toujours excités, bruyants, pleins de vie...
Générosité. Celle de l'obéissance, celle de l'amour, du don de soi dans les câlins, le fait de faire totalement confiance (pour "faire l'avion").


Après, chaque enfant a sa propre personnalité, peut-être plus rêveur, peut-être plus fougueux...


Quand Jésus nous demande d'être "comme des enfants", on peut retenir en général une manière de vivre, le fait de se savoir faible, peu compétent, de savoir ses préoccupations peu importantes, et finalement apporter la joie par une ouverture et une disponibilité à tous.


L'idée d'une telle vie est effectivement très belle. Mais aussi semble irréalisable. Que signifie vivre en enfant, en tout-petit, lorsqu'on a des reponsabilités, qu'on dirige des hommes (qu'on soit PDG ou chef de famille), qu'on enseigne... ?
Du point de vue de notre foi aussi : nous ne pouvons tout de même pas nous contenter d'une foi d'enfant, certes très belle - par la spontanéité de la prière par exemple - mais quand même une foi inculquée et peu réfléchie.


Or, si ne rentreront dans le "Royaume des Cieux" que ceux qui "ressemblent aux enfants", il faut espérer qu'il y a un moyen de leur ressembler tout en étant adulte, en menant une vie d'adulte.


A-t-on des exemples d'adultes qui ont cet esprit d'enfance ?


Tous les saints sûrement.
Ste Thérèse de l'Enfant Jésus, qui alors qu'elle doit s'occuper dans son carmel du cheminement des novices, tâche qu'elle juge au-dessus de ses forces, dit à Dieu :


"Seigneur, je suis trop petite pour nourrir vos enfants ; si Vous voulez leur donner par moi ce qui convient à chacune, remplissez ma petite main et sans quitter vos bras, sans détourner la tête, je donnerai vos trésors à l'âme qui viendra me demander sa nourriture. Si elle la trouve à son goût, je saurai que ce n'est pas à moi mais à Vous qu'elle la doit."


St Thomas d'Aquin. C'est un très grand savant en théologie, et en même temps il entretient une relation très simple avec Dieu et les hommes.
St François d'Assise. N'est-ce pas un enfant en permanence ? Ayant abandonné le souci de la richesse et de la puissance, il s'émerveille de la création de Dieu.
Et l'enfant par excellence : Jésus. Né dans la simplicité d'une mangeoire. Cela ne l'empêchera pas de pousser son coup de gueule de temps en temps. Mais en permanence il est en communion avec le Père, le prie souvent, passe des nuits en prière...


Car l'esprit d'enfance, c'est avant tout une relation avec Dieu notre Père, vivre en permanence sous son regard.
La comparaison de l'enfant est celle de sa relation avec ses parents. L'abandon total dans les bras de Dieu est celui de l'enfant qui se laisse porter par ses parents. Avoir besoin en permanence de la présence de Dieu, c'est être comme un enfant qui a besoin de voir ses parents dans la pièce où il joue - même s'il ne fait rien en rapport avec eux, il ne supportera pas qu'ils s'en aillent.


Et les saints qui vivent ainsi "dans la main de Dieu" ont véritablement une vie exaltante, pleine de simplicité et de joie (ces caractéristiques qu'on avait attribuées aux enfants).
Don Bosco, meneur d'hommes. Toujours sans le sou, il a constamment de nouveaux projets, est animé d'une vigueur phénoménale, attire des milliers de jeunes par son élan et la joie de vivre qu'il rayonne, et l'argent qui lui manque lui tombe toujours du ciel quand il en a besoin...


Une telle vie est tellement extraordinaire, tellement séduisante...
Mais elle semble aussi complètement coupée de notre quotidien :
Vivre en permanence dans la présence de Dieu. Qu'est-ce que ça signifie concrètement ?
À table, en cours, à la K-fête, dans les discussions,.... Dieu est là.... oui ?
Quelle est ma relation avec Dieu si je ne vois pas comment je peux le sentir à mes côtés à tout moment ?


La vie en communauté chrétienne aide à sentir, à travers les prières, les discussions, quelque chose qui nous rassemble et qui nous habite. À la fin d'une retraite, on peut dire qu'il s'est passé quelque chose, mais après, cela persiste-t-il le reste de la vie ?
Et puis si vraiment cette relation à Dieu est fondamentale, si vraiment on a découvert un trésor, alors le premier réflexe est de le crier, de vouloir le faire partager à tout le monde !
Hier dans le train, une femme faisait de l'évangélisation : "Je ne viens pas vous demander de l'argent, c'est gratuit : je désire vous faire découvrir Jésus Christ...". Tout de suite, ça fait illuminée, ça fait secte ! Et pourtant tout chrétien devrait avoir cette envie de proclamer la Bonne Nouvelle ainsi, et avec conviction !
Mais dans le train, Dieu n'existe pas. Chacun a sa vie, et l'intérêt même d'une relation avec un Dieu paraît inexistant.
Je me vois mal aussi évangéliser l'Ecole Normale (à l'instar de Pierre Poyet, conscrit scientifique de 1907 ! - cf Sénevé de rentrée 97 - "Entrez tous dans le clan tala !"). C'est un peu la même chose. Quand je joue au baby-foot, et pour n'importe quelle activité avec d'autres, je ne sens pas cet autre comme un frère, fils de Dieu comme tout autre homme. Est-ce que quand vous rentrez en salle d'informatique vous vous écriez : "comme c'est merveilleux, toutes ces personnes sont enfants de Dieu, nous sommes appelés à vivre ensemble dans Son amour pour commencer sur la terre ce qu'Il prévoit pour nous dans les Cieux !" ?


Que faire ?
Je n'ai pas la réponse à mes questions ; je pense juste qu'il faut demander directement à l'intéressé la foi, cette conviction intérieure qui dépasse la raison, pour apprendre à avoir un regard différent et à vivre en enfants.
Nous sommes effectivement les enfants de Dieu et avons besoin de lui pour avancer.

T.D.

Article paru dans Sénevé


Retour à la page principale