La lettre ou l'esprit?

Cécile Poisson


Le Cantique de Moïse appartient aux grands textes de laliturgie pascale chrétienne. En même temps qu'il nous rappelle la filiation judaïque de la religion chrétienne, il célèbre la délivrance de l'homme par le Seigneur et la puissance de son Amour pour ceux qu'Il aime. Pâques, fête de la Résurrection, de la libération par l'Amour tout-puissant. Bien entendu, la violence de ce texte, et de nombreux autres -notamment les Psaumes, ne doit pas être comprise comme telle et nous rebuter: elle est une forme de célébration de la gloire de Dieu. En chantant pour le Seigneur, Moïse et les Israélites savent rendre grâce et s'effacer derrière une victoire qui ne vient pas d'eux et dont Moïse n'est pas l'artisan mais le simple messager. La manifestation de la gloire de Dieu nous invite à Le louer et à reconnaître en Lui l'unique Sauveur, Celui à qui nous devons toute chose. Les chrétiens se reconnaissent en ceux qui sont sauvés des Égyptiens -que leur servitude soit celle de l'âme ou de la personne physique- et reconnaissent le Christ dans le Dieu-Sauveur. Cette reconnaissance en implique une autre, essentielle: la reconnaissance du mal et de son action. L'Egypte tient Israël en esclavage parce que Dieu lui a permis de croître et de multiplier, et cette puissance inspire une crainte malfaisante à Pharaon. Par la main de Dieu, le mal est vaincu, anéanti. Suite à cet anéantissement et à la traversée du désert, épreuve de la confiance des Israéliens en Dieu, l'arrivée en Terre Promise. L'Histoire Patriarcale multiplie les scènes de théophanie accompagnées de promesses dont les éléments récurrents sont la multiplication de la descendance et la possession de la terre de Canaan où les Patriarches sont étrangers puisqu'Abraham est originaire d'Ur en Chaldée. Le peuple de Dieu est donc appelé à vivre sur une terre qui lui sera donnée et sous la protection de Dieu. Selon la Bible, la possession de la Terre Promise est la réalisation ultime de la Promesse. L'amour et la fidélité de Dieu pour son Peuple sont parlants parce que la Bible est un livre historique qui ne met pas la Loi à part mais l'inclut dans les cours des événements. L'importance des événements manifeste l'amour de Dieu en actes, non en paroles. En même temps, cet amour dépasse le temps historique recouvert par la Bible: le peuple de Dieu, son histoire, se poursuivent au fil des siècles, alternant les moments de servitude, de tentation, de délivrance. Et l'arrivée en Terre Promise? Israël est bien le pays de la Promesse.

Chantons donc la gloire du Seigneur Tout-Puissant. Mais quelle est cette gloire? La question peut sembler superficielle. Face à la manifestation historique de cette gloire, elle s'impose aux chrétiens d'Israël-Palestine. Faut-il célébrer le Seigneur qui a jeté à l'eau cheval et cavalier, englouti les Egyptiens, et permis le massacre des Philistins pour l'entrée en Terre Promise de son Peuple? Autres temps, autres moeurs, ces effusions de sang sont la manifestation de la contingence du récit biblique et du progrès de l'histoire, donc de l'homme qui est bon -nous le savons. La situation est-elle radicalement différente aujourd'hui? La Terre Promise ne se partage pas. Il n'y a qu'un peuple élu de Dieu. Il est donc parfaitement conforme au récit biblique de voir se séparer quartiers arabes et juifs, de voir s'imposer la souveraineté israélienne. Les palestiniens ne sont pas anéantis par la Mer Rouge. Normal, ce ne sont pas des égyptiens. Oui, mais toutes les maisons de Jéricho sont brûlées quand Josué entre en Terre Promise, n'épargnant que la prostituée qui lui a livré l'entrée de la ville (Jos VI). Dans les quartiers arabes de Jérusalem, on est en parfaite sécurité: les soldats israéliens assurent l'ordre, et même les enfants se font braquer et fouiller -à la sortie de l'école, ou en promenant une poussette suspecte (un bébé peut naturellement cacher une bombe). Si l'on habite Bethléem, à cinq kilomètres au sud de Jérusalem, ce n'est pas une raison pour s'y rendre, même si l'on se limite aux quartiers arabes (Bethléem est habitée par des palestiniens). Un palestinien qui contrevient à ces ordres ne risque pas sa vie -simplement quelques mois de prison et un traitement dissuasif -entendez ``passage à tabac". Après le coucher de soleil, les palestiniens nont pas le droit de se trouver dans les endroits habités par les israéliens. Que font donc ceux qui ont l'immense privilège de travailler, sachant que la plupart des employeurs sont israéliens? C'est facile, ils se lèvent à cinq heures du matin et rentrent le soir à minuit, faisant parfois cinquante km dans chaque sens. L'eau chaude et l'électricité...non.


Qu'ils soient musulmans ou chrétiens, les palestiniens ont des conditions de vie très difficiles et précaires en Israël; leur nationalité fait d'eux des suspects désignés. Les touristes en font d'ailleurs l'expérience lorsqu'ils ont priés ``pour leur sécurité", de détailler à la personne qui les interroge à l'aéroport avant leur retour, le nom, l'activité et l'adresse de toute personne ``locale" (entendez palestinienne) qu'ils auraient rencontrée. Ensuite, il faut 30 à 60 mn pour convaincre cette même personne et ses collègues que personne n'a fait nos bagages pour nous et que notre séjour en Israël n'a rien d'anormal -ce dont la durée de l'interrogatoire ponctué d'expressions signifiant en substance: ``Je ne comprends pas ce que vous dites. Pourquoi êtes-vous en Israël? Répétez ce que vous venez de dire" finit par nous faire douter.


Surprise à mon arrivée d'apprendre de la bouche d'un dominicain que l'on ne pouvait décemment chanter pour fêter PÂQUES le cantique de Moïse et lire la traversée de la Mer Rouge dans le Livre de l'Exode, tant ces récits sont tristement évocateurs pour les palestiniens chrétiens qui assisteront à l'office avec nous, je dois admettre que l'Histoire Sainte tend à se répéter. Et que cette répétition est violente.

Que le Christ mort et ressuscité pour tous les hommes soit pour nous un Roi de paix; que Son Histoire soit l'Histoire Sainte qui ne finit jamais; que la gloire de Dieu soit celle de la miséricorde et du pardon. Que cette gloire se manifeste dans l'Ancien Testament et rejaillisse sur ses lecteurs. La Paix soit sur la Jérusalem terrestre.

C.P.


Article paru dans Sénevé


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