Figuier ou baobab ?

Le sénevé est-il un arbre à pain ?

Frédéric Sarter


Faudra-t-il débaptiser ``Sénevé'' ? Je me suis heurté à cette question qui vous angoisse tous lorsque, en fouinant dans l'oeuvre (à peu près) complète de Marie Noël1 pour écrire le court2 mais merveilleux3 article que vous trouverez quelques pages plus tôt4, j'ai découvert un passage qui propose une hypothèse pour le moins troublante5; j'espère que vos entrailles en seront toutes remuées d'une indicible inquiétude:





Ah! Ah! Voilà un joli sujet de méditation supérieurement normaloïde, qui pourrait animer de fervents débats en cave tala (autour d'un chocolat, cela va de soi- le chocolat c'est bon!9). Mais c'est là que les choses se corsent (si je peux parler ainsi sans offenser les insulaires) et que l'Eglise vient y mettre son grain de sel (et non de sénevé, je tiens à le préciser).



Bref, la question est suffisamment sérieuse, et pourrait remettre en question, non seulement quelques petits détails sans importance, comme l'évangile, la parole de Dieu, la foi catholique ou assimilée (j'entends déjà protester les protestants) et la solidité de la papauté, mais en plus et surtout, j'en frémis rien que d'y penser15, le nom même de cette revue délicieuse, remarquable, merveilleuse16, où il y a d'ailleurs un article absolument époustouflant, bouleversant, substantifiquement moëlleux et génialifiquement admirable sur Marie Noël17. L'enjeu est donc essentiel, et devrait aboutir incessamment sous peu à la réunion d'un synode, que dis-je, d'un concile, d'un conclave, au sein des plus hautes et plus édifiantes autorités de la principauté tala. Il convient donc de se préparer à envisager la possibilité éventuelle de nouvelles et hypothétiques Controverses de Jourdan, qui pourraient se terminer, Dieu nous en préserve, par quelque schisme!
Amis, l'heure donc est grave et la situation requiert toute notre attention! Amis! Il nous faut rester fermes dans l'épreuve! Amis, faisons le point.


. (Ceci est un point)


Si Sénevé était un arbre, ce serait ???? Vous me direz, voilà bien le moment de jouer aux devinettes ! Il faut pourtant, si l'on veut donner à ces augustes pages le nom qui leur conviendra véritablement, étudier un peu la question. Certes, ``Sénevé'' c'est joli -ce qu'il faut de mystère, et puis une certaine puissance d'évocation, Maître Eckhart, la graine de moutarde et sa saveur, un peu de mystique dans un monde de brutes, une belle graphie, et en plus ça sonne bien: ``Sénevé'' a tout pour plaire et mettre un peu de sel dans notre vie (si ce n'est de la moutarde, apparentée au sénevé, comme chacun sait). Mais la moutarde justement monte au nez de l'homme attaché à la vérité que je suis: oui, c'est joli ``Sénevé'', oui c'est bien, oui c'est beau, mais que diable, un peu de rigueur scien-ti-fique! Botaniquement, ``Sénevé'' a tout faux: ce n'est pas un arbre. Il faudrait donc, hélas, remettre en cause ce titre auquel nous étions attachés ? Il semblerait que oui.


L'hypothèse du figuier est certes séduisante: Élise m'apprend, en effet, que c'est pour les Hébreux l'arbre de la connaissance; c'est l'arbre interdit du paradis dans la tradition islamique, et c'est d'ailleurs d'une feuille de figuier, et non de vigne, que sont vêtus Adam et Eve sur une gravure de Dürer. Le figuier, de plus, n'est pas sans nous rappeler d'autres paraboles du Nouveau Testament, celle du figuier desséché, par exemple. Et comme les figues sont au moins aussi bonnes que la moutarde, certes un peu moins fortes, mais quand même, nous ne perdrions pas la symbolique de la saveur: les figues figurent même avec le raisin parmi les attributs de Dionysos! Mais voilà bien le hic: à cette symbolique dionysiaque se rattachent des éléments quelques peu ambigus, triviaux, obscènes, et même blasphématoires: il existe des peintures de la Passion où l'on voit la foule se moquer du Christ en faisant le geste dit ``de la figue'' dont par une légitime pudeur nous préférons vous laisser deviner la teneur... Ce n'est pas pour rien que les scoliastes du Moyen-Âge rapprochaient la racine hébraïque pag (le figuier) du latin peccare (est-ce vraiment utile de traduire ?).
Et puis, vous trouvez que ça sonnerait bien, ``le Figuier'' comme nom pour une revue tala ?


Il faut donc trouver autre chose (Damned ! Encore raté !). Puisque l'exégèse des symboles, la philologie comparée et la mystique réunies se sont avérées incapables de nous aider, demandons secours, après avoir invoqué Saint Nicolas (patron des écoliers), tous les Saints et même le Saint Inconnu, à la science qui plaît à notre saint patron, je veux dire qui botte à Nick (c'est ainsi que par chez moi on appelle familièrement Saint Nicolas). Que nous apprend la botanique ? Que l'arbre qui a la plus petite graine par rapport à sa taille adulte, c'est l'arbre à pain, dit aussi fromager. Évidemment, il pousse relativement peu sous le climat biblique... Mais la leçon vaut bien un fromager, et d'ailleurs il n'y a pas de fromage sans pain ni de pain sans fromage, et pas de fromage sans vin rouge: l'on peut ainsi retomber sur nos chrétiennes pattes en remarquant ici, c'est très clair, la symbolique eucharistique du pain et du vin. ``L'arbre à pain'' serait donc une solution à la fois botaniquement correcte18 et symboliquement tout à fait respectable au problème du sénevé: elle évoquerait pêle-mêle l'écologie (l'arbre), l'eucharistie et le partage du pain, bref une totalité holistique et universellement cosmique.


La Vérité est dans le Baobab. Mais une hérétique dont je tairai charitablement le nom, oui, une hérétique à la blondeur luthérienne m'a proposé une ultime solution que j'ose à peine prononcer ici ! Sa proposition, pourtant, a le mérite de s'appuyer sur une étude de texte précise19; en effet, Madeleine W. (dont nous respecterons l'anonymat) a cru pouvoir remarquer l'analogie entre la parabole du sénevé et un corpus textuel plus récent, mais éclairant, et qui constitue un document d'exégèse doxographique de la plus haute importance: je veux parler, bien sûr, du Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry, et puisque c'est un saint, fût-il l'exubérant Exupéry qui le dit en son latin, nous pouvons l'accroire:



Suit la description du baobab (baobabus maximus), capable, nous dit-on, de faire éclater une planète ! Voilà donc que la parabole dite du sénevé prend toute sa force cosmique. La démonstration est sans appel: il serait facile de prouver que le sénevé est en réalité un baobab. Ce qui nous donne toute la portée morale de la parabole: le baobab impose un travail d'entretien (arrachage des pousses de baobab) comparable à l'ascèse monastique de la vie chrétienne: le petit prince est alors un symbole du chrétien, qui nous rappelle à la nécessité morale d'une vie saine.
``Quand j'ai dessiné les baobabs j'ai été animé par le sentiment de l'urgence.''
Urgence dont il nous faut pleinement prendre conscience, en rebaptisant dare dare ``Sénevé'', qui devrait désormais prendre tout son poids de vérité biblique en s'appelant ``Baobab'' (remarquez, en plus, l'allitération du plus joli effet, ce qui ajoute un argument à notre juste cause20). Ainsi, ``Sénevé'', pardon ``Baobab'', restera à l'avant-garde de l'exégèse la plus contemporaine... Car cette démonstration, qui constitue le B.A.ba du ``Baobab'', est assurément une preuve définitive de l'erreur des hérétiques catholiques lorsqu'ils persistent à lire ``sénevé''. Mais la religion tala, derrière l'étendard du saint Baobab, aura le dernier mot ! Qui est aussi, le mot de la fin (enfin !).


P.S.: Au moment où j'allais clore sur cette belle certitude, Élise, qui défend ardemment la véritable foi catholique (c'est-à-dire, évidemment, augustinienne...), risque une parole: et si le Christ avait fait un jeu de mot (en araméen, évidemment !) ? Il nous aurait bien eus ! Et le sénevé garderait tous ses étages de sens et -c'est ça qui est beau!- son mystère...


F.S.


Article paru dans Sénevé


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