On ne peut parler de Pâques qu'en distinguant trois moments inséparables : le Saint Carême, la Semaine Sainte et la fête de Pâques proprement dite.
Pour appuyer l'effort individuel de méditation, de repentir, d'abstinence et pour lui fournir une succession logique et cohérente, le Carême est marqué par ses sept dimanches, organisés comme suit :
Précède : le dimanche du Dernier Jugement (début de l'abstinence de viande)
- 1. le dimanche d'Adam et Ève (début de l'abstinence de laitages)
- 2. du triomphe de l'Orthodoxie
- 3. de saint Grégoire Palamas
- 4. de la Sainte Croix
- 5. de saint Jean Climaque
- 6. de sainte Marie l'Égyptienne
- 7. de l'Entrée de Jésus à Jérusalem
Suit : le dimanche de Pâques
Le repentir inspiré par la méditation sur le Dernier Jugement et sur le Péché Originel trouvera son apaisement dans la joie de voir le Nouvel Adam ressusciter ; le triomphe de l'Église et de l'Évangile n'est autre que le triomphe de Jésus entrant à Jérusalem pour se livrer à la mort - les fidèles exalteront la Croix et chercheront à approfondir le sens de la croix personnelle que chacun doit porter. Ils chercheront le silence hésychaste de saint Grégoire et se repentiront selon l'exemple de sainte Marie l'Égyptienne, en se rappelant à tout instant les enseignements de saint Jean Climaque - la vie spirituelle n'est autre chose qu'une échelle sur laquelle on gravit sans cesse, le plus important étant de se considérer à chaque instant comme étant à la toute première marche afin de ne pas être rejeté en arrière par les démons de la vanité. Le Carême est une vie entière concentrée en quelques semaines.
L'Église recommande la méditation fréquente sur la prière suivante, due à saint Ephrem, qui renferme de façon concise le sens du Carême :
" Seigneur et Maître de ma vie, écarte de moi tout esprit d'oisiveté,
d'abattement, de
domination et de vaines paroles.
Mais fais-moi la grâce, à moi ton serviteur, d'un esprit de pureté,
d'humilité, de patience et
d'amour.
Ainsi, Seigneur Roi, accorde-moi de voir mes fautes et de ne pas
condamner mon frère.
Car Tu es béni dans les siècles des siècles. Amen. "
C'est ainsi que chacun s'avance, patiemment, sur la route qui mène à la Semaine Sainte, en essayant de remplir avec le plus de dévouement les tâches qu'il s'est fixées. Ce temps est béni non seulement à cause du fait qu'il rassemble les forces intérieures de chaque individu, mais aussi puisqu'il rassemble la communauté entière qui se plie en même temps à des exigences semblables. Chacun devient plus conscient de son appartenance au Corps mystique du Christ, l'Église.
Sans doute les deux jours les plus importants de la semaine sont le jeudi et le vendredi - la Sainte Cène et les Passions et la Mort du Christ. Le service du soir du Jeudi Saint est pratiquement constitué par la lecture des "douze évangiles " (Jean 13 - 19, Luc 22 - 23, Marc 14 - 15, Mathieu 27). La Sainte Croix que tout autel orthodoxe abrite sera dressée au milieu de l'église et recouverte de fleurs (ah, des tulipes rouges !) et chacun passera ensuite se prosterner devant le Christ sur la Croix. Le lendemain on se rassemble pour conduire le Christ au tombeau : c'est une vraie procession mortuaire qui se déploie autour de l'Église - et qui annonce l'autre procession, victorieuse, de la nuit de Pâques - ayant pour centre la Croix du Christ qu'un bienheureux homme est chargé de porter à l'image de Simon de Cyrène et le Saint Linceul que quatre autres portent aussi. Une fois l'église plongée en silence funèbre avec la seule voix plaintive des cloches de deuil qui se fait entendre, le linceul attendra à l'entrée que tout le monde passe par dessous, en adorant l'Évangile et la Croix. À l'intérieur de l'église chacun demandera pardon à chacun en essayant de recevoir les Pâques avec le coeur ouvert et léger. Un jour étrange suivra, le samedi, pendant lequel on reste comme suspendu en attendant le coeur serré le soir.
" Le Christ est ressuscité des morts, par la mort Il a vaincu la mort, à ceux qui sont dans les tombeaux Il a donné la vie ! "
On chante la chanson doucement comme une méditation, fièrement comme une victoire, en mille rythmes et façons, mais toujours avec joie et émerveillement. Tout le monde la chante, bien ou faux, on est tous ensemble et le Christ nous reçoit tous, comme le prêche saint Jean Chrisostome dans l'homélie qu'on lit au cours du service : " Celui qui est arrivé le premier recevra sa récompense tout comme celui qui est arrivé le dernier. Toi qui as tardé jusqu'à la onzième heure, n'aie pas peur, le Christ est ressuscité et la joie du monde est grande, viens au banquet qu'a dressé pour nous le Seigneur. Où est, Mort, ton aiguille, où est, Enfer, ta victoire ? Le Christ est ressuscité et l'Enfer s'est couvert de honte ! "
Le moment le plus important de la première partie du service est la procession de cierges que les fidèles entament : on entoure l'église trois fois en chantant et en prenant grand soin de la petite lumière qu'on abrite du vent avec les paumes, tout fier de la porter. Chacun deviendra conscient que la lumière de la Résurrection qu'il a reçue devra être répandue au monde entier. La première partie du service finit en à peu-près une heure et le prêtre offre aux fidèles une pause pour que chacun ait le temps d'embrasser chacun. On s'annonce la Bonne Nouvelle en se regardant droit dans les yeux, peut-être pour la première fois, et à peine la joie partagée le service reprend pour la Divine Liturgie. La Pâque est une des rares Fêtes où on voit l'église toute entière communier : les croyants se sont préparés pendant le Carême, ils se sont tous confessés et se retrouvent ensemble dans la communion aux Saints Mystères du Christ.
On avance tard dans la nuit, mais on ne fatigue jamais trop. Une fois le service fini, des agapes ont lieu dans chaque église. Rien ne manquera : des oeufs peints, du rôti et de la soupe d'agneau, les gâteaux traditionnels comme la Paska russe ou roumaine ou les brioches de fête, du vin ... Tout le monde est accueilli.
La fête de Pâques dure en fait trois jours, et la semaine qui suit est
appelée "la semaine
Illuminée ". La route d'Emmaüs et le dimanche de saint Thomas - les
deux moments importants de la
semaine - rappelleront à tous que, une fois Pâque arrivée, ses dons
devront être gardés avec soin et
amour en nous même et répandus autour de nous. Signe de la
délivrance : les fidèles n'ont plus la
permission de s'agenouiller jusqu'à la Pentecôte ; sagesse de
l'Église : ceci rendra d'autant plus
perceptible notre propre condition, au moment où on pourra se mettre à
genoux de nouveau. Étrange
sentiment de soulagement que l'on ressent alors, comme si on était
davantage nous-même à genoux. Et pourtant, le Christ est ressuscité !
Article paru dans Sénevé
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