Les Pâques Orthodoxes

Mona et Alexandru Oancea

Introduction
Nous avons écrit avec grand plaisir les lignes qui suivent en essayant de te donner, cher lecteur, une (première ?) idée de l'esprit qui règne parmi les orthodoxes, ou au moins dans notre coeur (et nous disons cela pour établir une fois pour toutes que tout ce qui est pauvreté et manque d'inspiration du texte nous sont dus en exclusivité), en ce temps de grande fête qu'est Pâques. Nous remercions vivement les quelques amis (et spécialement Anne-Hélène) qui nous ont proposé de faire ce petit travail et sans l'impulsion desquels nous n'aurions jamais vaincu la paresse foncière qui nous caractérise.


On ne peut parler de Pâques qu'en distinguant trois moments inséparables : le Saint Carême, la Semaine Sainte et la fête de Pâques proprement dite.


Le Saint Carême
Le Saint et Grand Carême est un temps de préparation et de repentir en vue de l'accueil de la fête de Pâques. Chacun est tenu de respecter certaines restrictions (surtout pas seulement alimentaires) qu'il établit avec son père spirituel et qu'il s'efforcera de ne point éluder : on essayera de rompre avec une passion quelconque, avec une chose qui nous fait particulièrement plaisir, on essaiera de pratiquer l'écoute de soi-même. Le Carême est toujours un temps de surprise : le plus important est de se décider à le commencer - la force de le continuer viendra au moment où on en aura besoin. Comment une restriction aussi simple que la nourriture est-elle capable d'apporter l'élan nécessaire à des efforts spirituels autrement impensables ? On demande tout le temps au Seigneur de nous donner la force et la sagesse de continuer sur la bonne voie. Le souci de marcher sur la bonne voie rendra d'autant plus serré le contact avec le père spirituel pendant le carême.

Pour appuyer l'effort individuel de méditation, de repentir, d'abstinence et pour lui fournir une succession logique et cohérente, le Carême est marqué par ses sept dimanches, organisés comme suit :


Précède : le dimanche du Dernier Jugement (début de l'abstinence de viande)
- 1. le dimanche d'Adam et Ève (début de l'abstinence de laitages)
- 2. du triomphe de l'Orthodoxie
- 3. de saint Grégoire Palamas
- 4. de la Sainte Croix
- 5. de saint Jean Climaque
- 6. de sainte Marie l'Égyptienne
- 7. de l'Entrée de Jésus à Jérusalem
Suit : le dimanche de Pâques

Le repentir inspiré par la méditation sur le Dernier Jugement et sur le Péché Originel trouvera son apaisement dans la joie de voir le Nouvel Adam ressusciter ; le triomphe de l'Église et de l'Évangile n'est autre que le triomphe de Jésus entrant à Jérusalem pour se livrer à la mort - les fidèles exalteront la Croix et chercheront à approfondir le sens de la croix personnelle que chacun doit porter. Ils chercheront le silence hésychaste de saint Grégoire et se repentiront selon l'exemple de sainte Marie l'Égyptienne, en se rappelant à tout instant les enseignements de saint Jean Climaque - la vie spirituelle n'est autre chose qu'une échelle sur laquelle on gravit sans cesse, le plus important étant de se considérer à chaque instant comme étant à la toute première marche afin de ne pas être rejeté en arrière par les démons de la vanité. Le Carême est une vie entière concentrée en quelques semaines.

L'Église recommande la méditation fréquente sur la prière suivante, due à saint Ephrem, qui renferme de façon concise le sens du Carême :


" Seigneur et Maître de ma vie, écarte de moi tout esprit d'oisiveté,
d'abattement, de
domination et de vaines paroles.
Mais fais-moi la grâce, à moi ton serviteur, d'un esprit de pureté,
d'humilité, de patience et
d'amour.
Ainsi, Seigneur Roi, accorde-moi de voir mes fautes et de ne pas
condamner mon frère.
Car Tu es béni dans les siècles des siècles. Amen. "

C'est ainsi que chacun s'avance, patiemment, sur la route qui mène à la Semaine Sainte, en essayant de remplir avec le plus de dévouement les tâches qu'il s'est fixées. Ce temps est béni non seulement à cause du fait qu'il rassemble les forces intérieures de chaque individu, mais aussi puisqu'il rassemble la communauté entière qui se plie en même temps à des exigences semblables. Chacun devient plus conscient de son appartenance au Corps mystique du Christ, l'Église.


La Semaine Sainte

Qui sait pourquoi on l'appelle ainsi ? Sans doute à cause du fait qu'elle est la semaine la plus dense du Carême, la plus proche de Pâques, la semaine de l'institution de la Sainte Cène - qui désormais nous sanctifiera quotidiennement - et des Passions et de la Mort du Christ, par lesquelles on passe nous aussi de la mort à la vie. L'Église a institué des services spéciaux chaque soir pendant lesquels on lit l'Évangile - toute la semaine sera sous le signe de la vérité des faits incompréhensibles dont on est témoins. Chacun s'efforce de rattraper le temps perdu ou ignoré du Carême et de se préparer au moins à la onzième heure pour la grande fête - il sera bien accueilli. On se confesse sans exception pour pouvoir être ensemble à recevoir les mystères du Christ pendant la nuit de Pâques ou le jour du Jeudi Saint.

Sans doute les deux jours les plus importants de la semaine sont le jeudi et le vendredi - la Sainte Cène et les Passions et la Mort du Christ. Le service du soir du Jeudi Saint est pratiquement constitué par la lecture des "douze évangiles " (Jean 13 - 19, Luc 22 - 23, Marc 14 - 15, Mathieu 27). La Sainte Croix que tout autel orthodoxe abrite sera dressée au milieu de l'église et recouverte de fleurs (ah, des tulipes rouges !) et chacun passera ensuite se prosterner devant le Christ sur la Croix. Le lendemain on se rassemble pour conduire le Christ au tombeau : c'est une vraie procession mortuaire qui se déploie autour de l'Église - et qui annonce l'autre procession, victorieuse, de la nuit de Pâques - ayant pour centre la Croix du Christ qu'un bienheureux homme est chargé de porter à l'image de Simon de Cyrène et le Saint Linceul que quatre autres portent aussi. Une fois l'église plongée en silence funèbre avec la seule voix plaintive des cloches de deuil qui se fait entendre, le linceul attendra à l'entrée que tout le monde passe par dessous, en adorant l'Évangile et la Croix. À l'intérieur de l'église chacun demandera pardon à chacun en essayant de recevoir les Pâques avec le coeur ouvert et léger. Un jour étrange suivra, le samedi, pendant lequel on reste comme suspendu en attendant le coeur serré le soir.


La fête de Pâques

L'église est à peine éclairée la veille du service de Pâques (qu'on célèbre le plus souvent à minuit pile, la nuit du samedi au dimanche, et presque toujours une semaine après les Pâques catholiques, malheureusement) : pas de cierges qui brûlent, pas de lumière aveuglante, seulement quelques petites veilleuses assurent les fidèles qui se rassemblent peu à peu. On est silencieux, on attend, on ne comprend jamais très bien ce qui se passe. L'heure venue, le service commencera presque en silence, avec la lumière qui se répand à partir de l'autel, le prêtre chantant accompagné d'une ou deux personnes du choeur la première chanson de louange. La communauté restera silencieuse pendant presque une demi-heure tout en écoutant le service et ce n'est que très tard, après que tous les esprits se seront tendus presque douloureusement en attendant le cri glorieux de la résurrection, que le prêtre s'exclamera vers les fidèles : " Le Christ est ressuscité ! ", et la réponse viendra presque simultanément, avec la force d'un tonnerre : " En vérité Il est ressuscité ! ". Désormais, c'est avec ces mots-là que les orthodoxes se salueront jusqu'à l'Ascension et la chanson de la résurrection reviendra encore et encore dans les services de l'Église pendant tout ce temps :

" Le Christ est ressuscité des morts, par la mort Il a vaincu la mort, à ceux qui sont dans les tombeaux Il a donné la vie ! "

On chante la chanson doucement comme une méditation, fièrement comme une victoire, en mille rythmes et façons, mais toujours avec joie et émerveillement. Tout le monde la chante, bien ou faux, on est tous ensemble et le Christ nous reçoit tous, comme le prêche saint Jean Chrisostome dans l'homélie qu'on lit au cours du service : " Celui qui est arrivé le premier recevra sa récompense tout comme celui qui est arrivé le dernier. Toi qui as tardé jusqu'à la onzième heure, n'aie pas peur, le Christ est ressuscité et la joie du monde est grande, viens au banquet qu'a dressé pour nous le Seigneur. Où est, Mort, ton aiguille, où est, Enfer, ta victoire ? Le Christ est ressuscité et l'Enfer s'est couvert de honte ! "

Le moment le plus important de la première partie du service est la procession de cierges que les fidèles entament : on entoure l'église trois fois en chantant et en prenant grand soin de la petite lumière qu'on abrite du vent avec les paumes, tout fier de la porter. Chacun deviendra conscient que la lumière de la Résurrection qu'il a reçue devra être répandue au monde entier. La première partie du service finit en à peu-près une heure et le prêtre offre aux fidèles une pause pour que chacun ait le temps d'embrasser chacun. On s'annonce la Bonne Nouvelle en se regardant droit dans les yeux, peut-être pour la première fois, et à peine la joie partagée le service reprend pour la Divine Liturgie. La Pâque est une des rares Fêtes où on voit l'église toute entière communier : les croyants se sont préparés pendant le Carême, ils se sont tous confessés et se retrouvent ensemble dans la communion aux Saints Mystères du Christ.

On avance tard dans la nuit, mais on ne fatigue jamais trop. Une fois le service fini, des agapes ont lieu dans chaque église. Rien ne manquera : des oeufs peints, du rôti et de la soupe d'agneau, les gâteaux traditionnels comme la Paska russe ou roumaine ou les brioches de fête, du vin ... Tout le monde est accueilli.

La fête de Pâques dure en fait trois jours, et la semaine qui suit est appelée "la semaine Illuminée ". La route d'Emmaüs et le dimanche de saint Thomas - les deux moments importants de la semaine - rappelleront à tous que, une fois Pâque arrivée, ses dons devront être gardés avec soin et amour en nous même et répandus autour de nous. Signe de la délivrance : les fidèles n'ont plus la permission de s'agenouiller jusqu'à la Pentecôte ; sagesse de l'Église : ceci rendra d'autant plus perceptible notre propre condition, au moment où on pourra se mettre à genoux de nouveau. Étrange sentiment de soulagement que l'on ressent alors, comme si on était davantage nous-même à genoux. Et pourtant, le Christ est ressuscité !

M. et A.O.

Article paru dans Sénevé


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