Tala à L.A.

Aude Chauty

Bien chers tous,

un jour, vous prenez l'avion. Vous croyez être loin de tout, de tout le monde, et bien non! Quelques mois plus tard, les princes ne vous ont pas oublié, et voilà que vous êtes réquisitionné pour un article dans Sénevé ! Ayant écrit plus de lettres que jamais depuis quelques mois, je préfère vous écrire une lettre à tous, plutôt que de me lancer dans un article en bonne et due forme. Étant deux talas à L.A., et vivant des choses différentes, nous avons décidé de faire deux articles, afin de vous donner une vision des choses un peu plus complète.


Depuis début janvier, je suis donc à Los Angeles, cette immense ville qui n'a ni centre ni limites. Les quartiers sont très contrastés et les gens vraiment différents selon la zone où ils vivent (allez d'Hollywood à East Los Angeles, en passant par UCLA et par Beverly Hills, et vous aurez un petit aperçu de la palette disponible !) Ce que j'ai découvert ici est donc encore très partiel, très fragmentaire, et je suis loin d'avoir une vision globale de Los Angeles. Je peux cependant vous dire un peu ce qui me marque côté religion dans les zones que je connais le mieux (West Los Angeles, notamment UCLA).


L'une des choses les plus marquantes est la diversité des gens et des cultures. Cette ville est une ville d'immigrés, venant tant d'Amérique du Sud (surtout du Mexique) que d'Asie (beaucoup de Vietnamiens, de Coréens, de Japonais, et de Chinois), du Moyen-Orient (beaucoup d'Arméniens par exemple) ou d'Europe de l'Est. De ce fait, il existe un nombre incalculable de religions ou sectes diverses. Une liste des cultes pratiqués à West Los Angeles en comptait une bonne trentaine. On trouve donc vraiment de tout et ce mélange est un peu déroutant. Les bus ont ainsi porté des affiches vantant la scientologie pendant un bon mois et demi et le plus haut bâtiment du quartier est une immense église Mormon, bâtie en haut d'une colline et éclairée de nuit, ce qui fait qu'elle est devenue un très bon point de repère.
Pour vous donner un petit exemple de cette diversité, nous sommes 5 dans mon laboratoire: un japonais bouddhiste, un japonais athée, un arménien orthodoxe, un américain d'origine russe juif, et une française catholique.


Après des hésitations dont je vous épargnerai les détails, j'ai décidé d'aller jeter un coup d'oeil à l'UCC (University Catholic Center), l'aumônerie de UCLA. Au premier abord, l'ambiance est extrêmement chaleureuse. Les gens sont très accueillants. On célèbre la messe dehors (en plein janvier, quand on arrive de Paris, c'est vraiment très agréable ...), on se présente à son voisin en début de messe (quand on est invité à le faire, pas avant !...) et on mange après la messe les traditionnels «Bagels and Cream Cheese». Les chants sont très vivants, toujours animés par une petite chorale (que l'on applaudit en fin de messe). Ma première impression était une impression de grande chaleur, de grand dynamisme et un grand sens de la communauté. Tout au long du Carême, les catéchumènes se présentaient à la communauté. Ils étaient 3 à l'UCC et bien une cinquantaine dans une autre paroisse plus grande, tous adultes d'une vingtaine d'années. Beaucoup se préparaient aussi à la confirmation. Le soutien que leur apportait (et que leur apporte encore) la communauté est réel et l'on sent en eux une très grande et belle démarche de foi.


À propos de foi... Peut-être un peu naïvement, je me disais que les gens qui viennent à l'UCC y viennent pour avancer avec d'autres sur le plan spirituel, pour prier et réfléchir ensemble, pour se former, etc... Bref, je sortais tout juste de l'ambiance tala-Armo ! J'ai été très surprise en lisant leur bulletin : la plupart des choses proposées étaient des «fun events», comme jouer aux cartes, aller au ciné ensemble, aller au Bowling, etc... Quelques soirées pizza-theology étaient aussi proposées, une retraite (le week-end dernier, mais j'en parlerai plus tard), une retraite de début de Carême, permettant de réfléchir ensemble une heure par jour pendant 5 jours. J'ai compris en fait que l'un des problèmes de UCLA est que cette université est trop grande, trop impersonnelle : beaucoup d'étudiants ont du mal à se faire des amis et viennent en chercher là. L'idée ne semble donc pas être d'aller à l'UCC pour y vivre sa foi, puis y rencontrer des gens, mais d'aller à l'UCC parce que l'on est catho (j'insiste sur «on est», parce que les gens disent beaucoup de choses du genre «Nous sommes le Corps du Christ», «nous sommes chrétiens donc...», etc..., mais jamais «être chrétien, ça veut dire quoi ? en quoi croyons-nous, en quoi croyez-vous vraiment ?») et y rencontrer des gens «du même genre». Admettons, si cela leur permet de vaincre la solitude et l'éloignement familial, où est le problème ? Le problème, il arrivera ensuite (attendez l'épisode de la «retreat» !).


Je n'insisterai pas sur les «fun events» qui sont vraiment extrêmement chaleureux, où l'on rencontre des gens très sympathiques, où j'ai appris des tas de détails des cultures mexicaines, américaines ou vietnammiennes, bref pendant lesquels on passe un bon moment. J'ai participé à quelques «pizza-theology». Pour vous donner quelques exemples de thèmes abordés: la place des homosexuels dans l'Église, les changements de l'Église après Vatican II, la vie de Jésus (visionnage d'une vidéo sur sa vie 1), etc... Les discussions ne s'appuient jamais sur des textes, bibliques ou autres, et les arguments sont en général les impressions plus ou moins fondées que les gens ont sur la réalité. Il m'a semblé clair que, en tout cas pour les gens que j'ai rencontrés jusque-là, l'aspect morale chrétienne était plus important que le côté prière. L'accent était porté sur la recherche d'application de sa foi dans la vie de tous les jours, mais pas dans la recherche d'approfondissement de la foi. On parle de Dieu, mais parle-t-on parfois à Dieu ?

Les prêtres ici prêchent en général une doctrine extrêmement libérale, avec une très grande insistance sur la place des femmes dans l'Église (par exemple, si, lors de la lecture d'un Évangile, plusieurs lecteurs sont mis en jeu, le prêtre lit la partie du narrateur et une femme celle de Jésus). Ils ne soutiennent en général pas les positions du Pape et préfèrent dire aux gens d'attendre quelques années pour voir une évolution, plutôt que des les aider à réfléchir afin qu'ils aient une réflexion personnelle (et non issue des journaux !) et construite.
Une grande surprise aussi fut de voir que, pendant la messe, le Credo est bien souvent oublié... Trouvant ce moment particulièrement important, j'ai testé quelques personnes pour voir ce qu'elles en pensaient. La plupart m'ont dit que «des fois on le dit, des fois on ne le dit pas», et que ce n'est pas plus grave que ça. J'ai alors pris mon petit air naif et suis allée demander au prêtre pourquoi on sautait ce bout là de la messe. La réponse qu'il m'a donnée ne m'a pas satisfaite, loin de là: «c'est pour laisser plus de temps à la Prière Universelle».... (il faut préciser que pendant la prière universelle les gens partagent beaucoup leurs intentions).





Pour finir sur l'UCC, j'ai très envie de vous raconter un peu la «retreat». Déjà, détrompez-vous: la traduction de «retreat» a beau être retraite, ces deux mots n'impliquent pas du tout la même chose ! Pendant la route vers Ventura, très belle plage où ce week-end a eu lieu, je demandais quelques précisions sur ce qui allait se passer à une amie, qui m'a répondu, qu'une retreat, c'était «fun»... J'avoue que ce n'est pas vraiment le premier adjectif qui me serait venu à l'esprit pour qualifier une retraite...
Le thème était en gros: Spiritualité des Relations. Ah...
Vendredi soir : nous voilà arrivés dans une maison sur la plage de Ventura. La mer était superbe, la plage immense, de quoi respirer, quoi ! Afin de se présenter les uns aux autres, nous avons commencé par faire un jeu : chacun doit trouver un nom d'aliment commençant par la même lettre que son prénom. C'est ainsi que je suis devenue Aude Almond, entourée de Cindy Cinnamon, de Sarah Salad, Patty Pizza, Jill Juice, Benedikt Broccoli, etc... Ensuite arrivait le jeu des questions «If...». Vous deviez vous mélanger, puis faire des petits groupes, puis répondre en une minute à une question du genre: «If someone told you something very romantic, who would it be?», «If you wanted to see something from your bed, what would it be?» etc...
Nous avons fini la soirée en jouant à un jeu de société.
Dans ce genre de moments, on se sent un peu coincé où l'on est... Il ne restait plus qu'à voir ce qui allait se passer ensuite et à garder patience.
Samedi matin : après le petit-déjeuner, Cindy nous propose d'aller prier sur la plage. Nous voilà donc tous, en cercle sur la plage. Un petit texte fut lu rapidement, puis Cindy nous proposa de tourner sur nous-mêmes doucement, en faisant de grands gestes pour accueillir la beauté de la création, et de prier. Tout le monde a semblé apprécier, sauf moi, qui ai hésité à tourner dans l'autre sens... histoire de voir comment cela serait accepté... Mais bon, c'est peut-être juste une question de sensibilité et de manière de prier. Admettons donc...
Après cette prière, nous avons enfin abordé le thème: une série de séances d'échanges a alors commencé. Échange en petits groupes sur les relations humaines ; échange en grands groupes pour raconter ce que nous avions échangé en petits groupes ; échange en grand groupe avec des tests de personnalité ; bref échange et re-échange tout le temps. Le problème était que tout ces échanges se faisaient en partant de rien (j'avais, croyant bien faire, apporté ma Bible à la retreat ; elle semblait de trop...), et n'avançaient donc à rien. Certaines filles s'épanchaient sur leurs problèmes de coeur. Un garçon, un peu original, s'est mis à essayer d'élargir un peu le débat, de ne pas parler de son expérience personnelle, mais d'essayer d'analyser un peu au-delà. Une fille s'est mise à pleurer, est partie en colère, puis tout le monde s'est mis à détruire ce pauvre garçon, en lui disant que vraiment il ne se comportait pas bien. La responsable (de la thérapie) de groupe lui a même dit que ce qu'il disait était «irrelevant». La solution qu'il a trouvé fut de partir. Tous les autres, bien soulagés, ont alors dit un Notre Père (le premier en 24 h de retreat...) et la responsable a dit de ne pas s'inquiéter de ce départ (ça arrive tous les ans !).
Nous voilà donc samedi soir, avec un groupe en crise, des français qui n'en reviennent pas et qui essaient de faire comprendre à la responsable que le problème est plus grand qu'elle ne le croit. Ambiance sympa quoi !
Dimanche matin : on aurait cru que, pendant la messe, on serait privé de la séance d'échange. Mais non, c'est reparti pour un tour au moment de la prière universelle, et le sermon ne fut que sur l'événement de la veille au soir.
Je vais m'arrêter là pour la «retreat».
Un (le seul ?) aspect positif fut d'apprendre ce qu'il ne faut pas faire (!) et réaliser à quel point une foi basée sur quelque chose de solide, et non pas uniquement du sentiment ou de la psychologie de bas niveau, est importante.
Cette affaire n'est pas encore tout à fait réglée (nous sommes en plein dans le «soap opera» !).


Oh, là, tout cela doit vous sembler bien négatif (j'avoue que je vous comprends !). Mais pour ne pas vous laisser sur ces considérations pessimistes sur la foi vécue ici, je voudrais insister sur les choses, plus importantes, et plus riches, qui m'ont beaucoup marquée.


Tout d'abord, je suis aussi allée dans une autre paroisse, très chaleureuse elle aussi, mais avec quelque chose de vraiment sérieux derrière, des soirées de formation riches, des réflexions profondes. J'y rencontre des prêtres qui y croient, des cathos qui cherchent à avancer dans leur foi.

Comme partout, me direz-vous ? C'est sur ce «partout» que je voudrais finir. Pendant ces quelques mois, j'ai découvert à quel point l'Église est réellement répandue à travers le monde et à quel point cette réalité est extrêmement porteuse.
Quand, dans un orphelinat perdu au Mexique, vous voyez les enfants en rang réciter le Notre Père ; quand, dans un labo de chimie (autour du spectro, pour ceux qui en auraient entendu parler), on se met à expliquer au japonais le sens de Pâques, ou à discuter avec cet italien qui a quitté l'Église depuis son départ d'Italie mais y retournerait bien ; quand Terry, si marquée par son combat contre l'alcoolisme, se met à vous expliquer combien pour elle Dieu est présent partout et tout le temps ; quand, pendant les jours saints, vous recevez des courriers électroniques d'amis qui vous disent combien nous vivons ensemble ces quelques jours ; quand, le samedi Saint, vos parents rentrant de la veillée pascale tout joyeux vous téléphonent, alors que vous êtes encore dans l'attente de Pâques (je ne peux pas vous dire à quel point cela fait bizarre !) ; quand votre voisin dans le bus est en train de lire la Bible en chinois ; ou tout simplement quand vous êtes enfin capables de répondre en anglais pendant la messe et de dire le Notre Père à l'unisson avec tout le monde, eh bien, quand ces petites choses, toutes simples, arrivent, vous réalisez tout d'un coup que vous êtes en train de fredonner :


''Allez par toute la Terre, aujourd'hui et toujours,
Allez dire à tous vos frères, l'Océan de son Amour''



A.C.

Article paru dans Sénevé


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