Un des quatre coins d'Europe
François Marion
Comme la plupart des étudiants en physique de l'École, j'ai dû partir à l'étranger pendant six mois. Le thème d'études que j'ai choisi m'a conduit à Nottingham, cité de trois cent mille habitants du centre de l'Angleterre et dont l'université, assez importante, se situe à l'extérieur de la ville, sur un grand campus. C'est dans ce "microcosme étudiant" que j'ai été amené à prendre contact avec la Cath'Soc (ou plus officiellement Catholic Society), l'aumônerie catholique de l'université. Dans l'ensemble, les talas anglais que j'ai rencontrés correspondent à ce que l'on attend d'un groupe de jeunes réunis pour partager une foi commune, soudés par le fait qu'ils se sont retrouvés plongés dans la grande structure un peu impersonnelle de l'université.
On m'a demandé de dégager les éléments qui m'ont marqué chez eux ; selon moi ils ont essentiellement deux origines : d'une part la Cath'Soc vit dans un pays où les catholiques sont en minorité, mais qui tient à préserver les religions et d'autre part c'est en tant qu'élève étranger que je me suis intégré à leur groupe ; ainsi toutes les activités permettent à la fois de s'enrichir sur le plan spirituel, mais aussi d'en apprendre un peu plus sur les autres.
Des Catholiques en Angleterre
Mon premier "contact" avec la Cath'Soc a été la lecture de leur panneau d'affichage, et celui-ci est très révélateur : il occupe un espace bien placé dans le bâtiment administratif de l'université, mais perdu au milieu des affiches des autres associations religieuses (méthodiste, baptiste, anglicane, hébraïque, musulmane...). Dès le premier coup d'oeil, on perçoit le caractère à la fois officiel et minoritaire de l'aumônerie catholique.
L'aumônerie a un statut de society au sein de l'université ; c'est un nom générique représentant les différentes associations religieuses, sportives ou culturelles. Certains disent d'ailleurs qu'il s'agit de la plus ancienne society de Nottingham (presque cent ans !)
Mais bien plus que cela, les communautés chrétiennes bénéficient de la présence d'aumôniers, salariés de l'université. Les aumôniers de confessions différentes (un prêtre anglican, un catholique, un méthodiste, et deux évangélistes de la Christian Union...) ont des bureaux sur le campus, et s'y trouvent presque à temps plein. Certains sont aidés par des assistants, salariés également, qui sont plutôt des jeunes venant de terminer leurs études et ayant choisi de prendre un an de réflexion et de service auprès de l'aumônerie. Les bureaux du Père Philippe, aumônier catholique, et de James son assistant étaient chaque jour occupés par les étudiants qui venaient prendre un thé ou demander des conseils pour des démarches administratives.
L'université met aussi à la disposition des associations religieuses une chapelle pour les célébrations en petit groupe, et différentes salles pour les plus grandes cérémonies. Ainsi la messe de l'aumônerie est dite chaque dimanche dans le grand hall, salle de réception de l'université, équipée d'un orgue et d'une sonorisation. Une centaine de fidèles y assistent, et l'assemblée est assez diversifiée car étudiants, professeurs et habitants des environs se retrouvent pour partager l'Eucharistie. Par sa taille et son organisation, l'université est une sorte de village, dont l'aumônerie est la paroisse mais la venue de personnes extérieures à la messe dite pour l'aumônerie est un fait très étonnant, qui ne s'explique que lorsqu'on constate le peu de paroisses catholiques dans certaines régions du pays.
En Angleterre en effet, les catholiques sont une minorité représentant environ 10% de la population ; l'aumônerie de Nottingham compte environ deux cents inscrits pour une université de 30 000 étudiants. Le noyau dur de la Cath' Soc est un groupe d'une quarantaine d'étudiants, toutes disciplines confondues, comptant un tiers d'étrangers. Ils ont entre 18 ans pour ceux qui sortent du lycée et 26 ans pour ceux qui terminent leur thèse. Ce petit groupe est conscient de partager une foi marginale dans la société anglaise, d'observer l'obéissance au Pape et d'appartenir à l'Église, et cela s'observe dans ses activités et comportements.
Ils ont tout d'abord peu de contacts avec les autres societies chrétiennes : seulement une prière autour des chants de Taizé tous les mois, alors que les bureaux des aumôniers sont juste voisins. L'aumônerie anglicane est discrète et apparemment en perte de vitesse. La majorité des étudiants en aumônerie fait partie de la Christian Union, une society à vocation oecuménique et qui veut s'adresser surtout aux étrangers. J'ai entendu beaucoup de mal à leur sujet : on leur reproche d'être trop " illuminés ", et de trop suivre les courants américains (miracles en direct, téléprédication, vocations spectaculaires...).
Il faut dire que les deux aumôneries ont des esprits assez fondamentalement différents. Alors que la Cath'Soc est particulièrement discrète au sein de l'université et possède une forte identité religieuse, la Christian Union est très prosélyte et propose apparemment des activités plus ouvertes, comme par exemple une grande campagne d'une semaine ayant pour thème "the truth is out here"1.
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Je n'ai malheureusement pas pu vérifier le bien fondé de ces critiques.
Un autre aspect intéressant est sûrement le fait que la plupart de mes amis de l'aumônerie revendiquent des origines irlandaises, plus ou moins éloignées, et ce pas uniquement le jour de la St Patrick! Il ne m'a pas semblé qu'il s'agissait uniquement d'un prétexte pour fréquenter des pubs irlandais, car certains vont encore passer leurs vacances en Irlande pour voir leur famille, même si leurs parents sont nés en Angleterre.
Bien que l'université mette à la disposition des societies différentes salles, le principal lieu de vie de l'aumônerie n'est pas sur le campus. Le diocèse possède une grande maison juste à l'extérieur du campus qu'il loue à l'assistant de l'aumônier et à quatre autres étudiants. Ce local porte le nom de Newman House, en l'honneur du cardinal Newman, ancien aumônier anglican d'Oxford, converti au catholicisme et qui est toujours une figure emblématique des catholiques anglais. L'an dernier, une étudiante en théologie nous a présenté la vie de cet homme hors du commun. Cette présentation a lieu apparemment chaque année, et ceci contribue selon moi à renforcer chez les membres de l'aumônerie le sentiment d'être catholiques.
Les différentes Newman Houses à travers le pays sont à la fois un logement proposé aux membres de l'aumônerie, un lieu de réunion pour les différentes activités et un lieu d'accueil pour ceux qui ont besoin de trouver des personnes à qui parler.
Un Catholique en Angleterre
Les activités proposées par l'aumônerie sont très diverses et n'ont rien de très original, mais malgré l'accueil chaleureux que j'ai reçu là-bas, c'est avec des yeux d'étranger que j'y ai participé. C'est à travers deux d'entre elles que l'on peut illustrer ce qu'elles m'ont apporté.
Les laudes étaient dites tous les matins dans la chapelle, et ce qui m'a séduit dès le début, c'est d'entendre régulièrement les psaumes dans une autre langue. J'ai pu découvrir au fil des semaines les mêmes textes que je connaissais, mais à travers une poésie différente et tout aussi belle. Entendre les textes sacrés dans une autre langue permet de les envisager de manière assez différente.
C'est aussi ce que j'ai ressenti à mesure que j'apprenais certaines prières ou que mon niveau d'anglais me permettait progressivement de saisir dans le détail les mots mêmes de la liturgie. Alors que toutes les phrases sont empreintes du même sens dans les deux langues, un vocabulaire différent éveille en nous des échos émotionnels différents. Par
exemple :
Nous rendons grâce à Dieu
se dit :
Thanks be to God,
et ce même mot thanks sert à remercier familièrement...
Ou encore le mot covenant utilisé pour l'alliance entre Dieu et les hommes, qui insiste de manière explicite sur l'aspect engagement.
Chaque semaine, un étudiant de la Cath'Soc passionné de débats organisait une discussion autour de thèmes divers. Ces discussions m'ont beaucoup apporté du point de vue de la langue, de la culture ou de la foi.
Il est assez dur de suivre des discussions animées dans une langue que l'on ne maîtrise pas du tout, mais il est encore plus difficile d'y participer : le temps de comprendre de quoi il est question, d'avoir une idée et de la formuler, le cours de la discussion a changé. D'autant plus si l'on sait que l'on fait des erreurs et que l'accent n'est pas très british. J'ai appris par exemple à mes dépens que l'on ne disait pas
make laugh to somebody2 pour se moquer de quelqu'un ; en revanche l'hilarité générale à la suite d'une telle méprise a assuré ma réputation !
Ces réunions m'ont surtout permis de mieux connaître les opinions des autres. Contrairement à ce que l'on croit, les pubs ne sont pas les lieux de grands débats d'idées ; les Anglais que j'ai rencontrés n'abordaient presque jamais des sujets comme la politique ou la religion. Ainsi c'est au cours d'un groupe de discussion sur l'enseignement religieux que j'ai découvert certains aspects du système scolaire anglais, et surtout ce que chacun en pensait. Les étudiants étrangers présents ont aussi décrit les systèmes qu'ils connaissaient pour procéder à des comparaisons enrichissantes.
Enfin s'il est vrai que ces discussions étaient souvent amorcées par des lieux communs, la diversité des personnes présentes permettait souvent de faire dévier la discussion sur des problèmes pointus de théologie, de sciences, de droit ou sur l'expression plus personnelle de notre relation à Dieu ou à l'Église.
Bien que l'Angleterre soit un pays voisin du nôtre, le court séjour que j'y ai passé a été pour moi une expérience enrichissante en tant que chrétien. Le milieu des catholiques anglais dans lequel j'ai été plongé m'a fait découvrir des personnes qui réagissent en tant que catholiques face à des chrétiens de confession différente, et non plus des catholiques confrontés majoritairement à des non-chrétiens comme en France. J'ai pu profiter pleinement de ces expériences grâce à l'accueil exceptionnel dont sont capables les jeunes que j'ai rencontrés, accueil qui s'est manifesté dans les invitations à participer non seulement aux activités de l'aumônerie, mais aussi à des visites, des repas, des soirées comme on peut attendre d'un groupe d'amis. Enfin malgré les différences et un regard parfois un peu extérieur de ma part, j'ai eu le sentiment de vivre une réelle expérience d'aumônerie, c'est à dire de partage entre amis de la même Foi.
F.M.
Article paru dans Sénevé
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