Denis Michalak : Je suis un ami de Thomas ; fervent catholique jusqu'il y a un an ou deux, je me suis converti à l'orthodoxie (que je côtoyais depuis longtemps à travers la liturgie et la vie orthodoxe à Chypre, car ma mère est chypriote). Expliquer l'orthodoxie dans un article est impossible, c'est pourquoi je vous invite à venir la découvrir vous-même, dans notre église, où vous êtes les bienvenus !
NDLR : Nous tenons à préciser que la position défavorable à l'oecuménisme exprimée par cet aricle ne saurait représenter toute l'Église orthodoxe.
Mais, pour autant, la voie orthodoxe a-t-elle été reconnue dans sa spécificité ?
Un théologien orthodoxe du XX° siècle, le Père Justin Popovitch, bon connaisseur de l'Europe et pourvu d'une vaste culture, peut nous apporter un élément de réponse.
Cependant ce ne sont pas les honneurs que recherchait le Père Justin, lui
à qui la tradition monastique enseignait de les mépriser, lui pour qui il
s'agissait alors de haïr jusqu'à lui-même pour apprendre à aimer le Christ
notre Dieu, comme le veut l'Évangile.
Et ce n'est pas ce titre d'université qui rattache le Père Justin à la
plus haute tradition ascétique et spirituelle de l'Église Orthodoxe, mais
son apprentissage régulier à travers la prière, la liturgie, les jeûnes et
les veilles et toutes les pratiques de l'ascèse des Pères, le souvenir de
la mort et la prière perpétuelle.
Il faut mentionner pour expliciter tout cela les guides spirituels sur le
sentier de la foi, sans lesquels ces sentiers n'existent pas pour nous,
aveugles, car il appartient à eux seuls d'en révéler les secrets, eux qui
de leurs yeux les voient et à qui le Christ, le Dieu-Amour les a révélés
en personne.
Parmi les Pères qui ont guidés et influencé Abba Justin, outre Saint
Macaire à qui il a consacré sa thèse, il y a Saint Isaac de Ninive, moine
syrien du VIII° siècle. Toute sa vie, le Père Justin n'a cessé de lire
et de mettre en pratique ce qui est dit dans les Homélies Ascétiques, qui
sont le trésor de la foi et de la vie spirituelle. Nombreux sont les
moines et les fidèles orthodoxes en recherche de déification qui
empruntent ce chemin qui fait dire au Père Jérôme d'Égine 6,
contemporain
du Père Justin :
"N'oublie pas Isaac. Lis chaque jour une page de l'Abba
Isaac. Pas plus. Isaac est le miroir. Là, tu te verras toi-même. Ce miroir
est tel que nous y voyons reflété le moindre manquement, la moindre tache
sur le visage, pour mieux l'ôter, pour mieux nous en purifier. Oui, si tu
as une tache sur le visage, sur les paupières, dans ce miroir tu la
décèleras, et tu l'enlèveras. En l'Abba Isaac tu verras tes pensées, et à
quoi songent tes pensées. Tu verras tes pieds, et où se dirigent tes pas.
Tes yeux, et s'ils ont la lumière pour voir. Là, tu trouveras bien des
voies sûres et infaillibles, les voies de ton salut. Lis une page d'Isaac
chaque jour, le matin ou le soir, peu importe. Oui, il suffit que tu lises
une page."
Autre guide spirituel, Saint Jean Damascène, selon les paroles d'Abba
Justin, "ce miraculeux musicien des vérités éternelles". Lui aussi était
moine, à Jérusalem, au VIII° siècle. Curieusement, ces deux auteurs sont
très mal connus en Occident ; pourtant, Jean Damascène est l'auteur de la
plus vaste Dogmatique - ou "catéchisme" selon les termes modernes - de
l'Histoire de l'Église."
Parmi les figures de hiérarques qui l'ont tout particulièrement influencé
pendant sa vie le métropolite russe Antoine Khrapovitski, émigré en Serbie
après la Révolution Russe ; à lui, le Père Justin doit en partie son éveil
à la dimension véritablement Catholique 7 de l'Église 8 et
son amour pour Dostoïevski, qu'il considérait, en référence à la
Bible comme le "Job
des temps modernes". En outre, il est dit du Métropolite Antoine
Khrapovitski : "grand est le mystère de sa personnalité". Il y a aussi
l'évêque Nicolaï Vélimirovitch, qui était son père spirituel, comme de
tous les Serbes en quête de prière et d'ascèse. 9
Après la fin de ses études, le Père Justin se consacre à l'enseignement du
Nouveau Testament (introduction et exégèse), de la Dogmatique et de la
Patrologie dans deux séminaires jusqu'en 1934, et dans le courant des
années 1931-32 il passa quelque temps comme missionnaire en Subcarpathie
(Tchécoslovaquie).
En 1932 il publia le 1er tome de sa Dogmatique ou Philosophie Orthodoxe de
la Vérité, comme manuel universitaire. En 1935 paraissait le deuxième
tome. Avec le troisième tome, il se démarque du premier - conçu de façon
académique - et s'y révèle comme un véritable Philosophe Chrétien,
amoureux du Dieu-Verbe, penseur inspiré de la Bible et ascète habité par
la liturgie, témoin et prophète de l'Évangile au sujet du Christ, l'unique
Ami de l'homme, et en cela continuateur authentique de la Tradition
Vivante du bienheureux Apôtre Paul, des saints Athanase le grand, Grégoire
de Nysse, Grégoire le Théologien, Basile le grand, Jean Chrysostome et
Grégoire Palamas de Thessalonique, par la grâce et par les énergies de
l'Esprit Saint, le Consolateur.
Il ne parviendra à publier cette oeuvre qu'à la veille de sa dormition, en
1978, après quoi il n'aura le temps que de terminer son Commentaire de
l'Évangile de Jean.
C'est ainsi que saint Justin est élu Professeur de Dogmatique à la chaire
de l'Université de Belgrade, ce qu'il devait rester jusqu'en 1941, date de
l'invasion de la Serbie par les forces Allemandes. Il partage alors le
destin et le martyre du peuple Serbe et de son Église 10. L'évêque
Nicolaï, son père spirituel ira en déportation à Dachau et en reviendra.
Pour lui il est obligé de se tapir dans des pauvres monastères dissimulés,
où il parvient tout de même à traduire des textes patristiques, des vies
de Saints et à composer ses commentaires des Évangiles et des Épîtres de
Paul, constamment complétées après la guerre.
Lors de l'avènement du nouveau pouvoir en Yougoslavie en 1945, il fut
arrêté et emprisonné comme "ennemi du peuple", et manqua d'être
fusillé par le régime totalitaire de Tito s'appuyant sur la doctrine athée
inhumaine du marxisme-léninisme.
Privé de tous ses droits humains, civils et religieux, le Père Justin
vécut une résidence surveillée dans un petit monastère de femmes, à
Celije-sous-Valjevo, jusqu'à la fin de sa vie terrestre, en 1979. Chaque
jour il y servait la Divine Liturgie, et il y était le père spirituel de
moniales et de pieux fidèles, qui venaient en masse écouter ses
enseignements, dont la portée dépassait de loin les préoccupations du
monde au sens de l'Évangile, pour atteindre des problèmes
cruciaux de l'Europe moderne.
Là-bas, comme le dit le professeur émérite de la Faculté de Théologie
d'Athènes Jean Karminis, il était "la conscience cachée de toute l'Église
et de tout le peuple serbe", là-bas, il vécut l'ascèse des Pères du
Désert, en continuant le travail de dogmatique, patristique, exégèse,
liturgie, ascétique et dogmatique, et critique de l'information et de
l'actualité qu'il a toujours mené hors de ces murs.
Toute une jeunesse étudiante, ainsi que de nombreux professeurs
de l'Université, et pas seulement des théologiens, venaient à lui,
demandant des conseils et des entretiens. C'est pourquoi nombreux sont ses
disciples, jusqu'en Europe occidentale et en Amérique où il avait des amis
avec qui il échangeait secrètement les ouvrages théologiques et
philosophiques les plus récents et les plus importants.
Il s'est endormi dans le Seigneur en 1979, laissant derrière lui une foule
de disciples, des lumières inestimables pour son temps et 40 volumes
d'écrits dont 30 ont été publiés à ce jour, trois en grec, 10 en
français (environ) et un en anglais, plus environ 10 volumes sur manuscrit
ou bande magnétique, dont deux volumes de ses homélies, transcrites
manuellement ou enregistrées sur bande par ses disciples.
C'est à propos que l'on peut dire, d'une seule voix avec le bienheureux
fondateur des Églises de France, le Père Ambroise Fontrier 13, l'un
des premiers à le produire et à le faire connaître dans notre pays, que
le Père Justin a été :
"colonne, fondement, confesseur de la Vraie foi orthodoxe, Père et Docteur de l'Église Universelle, conscience cachée de l'Église serbe et de toute l'Église orthodoxe, grand parmi les théologiens orthodoxes contemporains, ardent défenseur de la piété des ancêtres, fidèle et sage économe des mystères de Dieu, éclairé par la Lumière Incrée de la Divinité au Triple Soleil" 14.
Le luminaire de l'Église Orthodoxe a été canonisé au début de cette
année-même, avec le Saint évêque Nicolas Vihimisovitch, manifestant
ainsi son intercession pour nous tous.
À lui la gloire et la paix pour l'éternité !
Article paru dans Sénevé
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