Chers Amis,
J'avais préparé hier soir un texte que le maniement d'un logiciel Word 2001 installé dans l'après-midi m'a permis de perdre totalement. En ouvrant mon ordinateur ce matin pour le relire, je ne l'ai plus trouvé. La nuit avait passé, et j'ai récrit un autre texte, pour me rendre compte que ce qui venait sous mes doigts était l'exacte reproduction du texte de la veille. C'est plutôt bon signe, l'indice que ce que je voulais vous dire était bien cohérent dans mon esprit!
Or que vais-je vous dire? Et quel est le statut particulier de cette prise de parole? La solitude personnelle qui est désormais mon lot ne me port pas à tenir ce matin un discours d'apparat. Je n'en ai pas le goût. De plus, il n'y a pas lieu de vous faire, ici, un sermon. Vous venez d'en entendre un, excellent. J'ai plutôt envie de vous dire ce qui me tient à coeur.
En tout premier lieu, je crois en Dieu, et je crois que ce Dieu, créateur des mondes, est venu s'incarner en Jésus le Sauveur mis à mort et ressuscité. Jésus est, pour moi, vivant. Il a triomphé de la mort et du péché. Et il nous ouvre le chemin. Mes parents m'y ont précédé,et je crois fermement, de science certaine, que les sacrements reáus constituent autant de garantie d'une vie personnelle, consciente, sensible, que nous nommons de manière inadéquate la vie éternelle. Et je crois par conséquent qu'il est très important de gérer ce temps mortel qui nous est donné comme le vestibule de l'éternité afin de nous y préparer.
La mort de mes deux parents a été l'épreuve de la foi. Est-ce que ce que j'avais prêché pendant tant d'années allait s'avérer? Il en fut ainsi, grâce à Dieu. Et forte et tenace est la conviction qui m'habite: l'amour que Dieu nous porte et qui fut rendu manifeste à notre baptème rend la mort physique anecdotique. L'essentiel n'est donc pas un être-pour-la-mort, l'essentiel est de vivre cette exstence mortelle comme la préparation de l'éternité.
Et pour cela, il convient de vivre les choix qui sont les nôtres, quand nous avons la grâce d'en disposer, comme des choix fondamentaux, décisifs, sans retour. Le cardinal, dans le message qu'il vous a adressé, souligne le bonheur de celui à qui il est donné d'habiter le cadre de ses années de formation et la maison qui était déjà la sienne à l'époque où sa vocation lui est devenue claire. J'avais vingt-deux ans, à la retraite de Rentrée 196?, à Saint-Benoît sur Loire, lorsque j'ai fait à notre aumônier, l'abbé Guy Lafon, la confidence si difficile: «je voudrais devenir prêtre». Guy Lafon m'a accueilli avec une bonté et une amitié qui ne se sont pas démenties trente ans plus tard. Les années qui suivirent furent des années difficiles, au milieu des tempêtes que connaissait alors l'Église de France. J'y pus survivre ---\, et ma vocation aussi\, --- grâce à des amis sûrs, laïcs de ma promotion ou prêtres plus âgés, le P. Bouyer, le P. Daniélou et Mgr Charles. J'ai dit dans mon livre une partie de ce que je devais à ce dernier, qui fut, pendant vingt ans, mon «père» spirituel.
Je voudrais précisément revenir un instant sur cette «paternité», trop souvent présentée comme un Ersatz de pternité physique. Il n'en est rien. La parentalité physique est un don de Dieu, c'est de Dieu que vous tenez ces enfants que vous dites être les vôtres, comme Abraham tenait de Dieu, à double titre, l'enfant de la promesse. Le conseil spirituel, l'accompanement, est un compagnonnage plus qu'une paternité et ne saurait en rien se substituer à la relation entre parent et enfant. Le célibat pour le Royaume est le choix de la solitude. C'est ce qui permet de partager la joie de ceux qui sont heureux et le maleur de ceux qui souffrent. Le célibat est une souffrance, qui rend attentif à la misère de toute solitude, comme à la solitude de toute misère. J'ai pu, au cours des années, en décevoir certains, j'ai pu en heurter d'autres, et je demande pardon aux uns comme aux autres. Mais incessant, et malgré mes péchés, fut le désir de vous servir afin de vous aider à reconnaître dans l'Église le lieu où Dieu vous aime.
Je suis prêtre. Et dans chaque instant, je rends grâce à Celui qui m'a appelé. Vous n serez pas surpris si je rends grâce aussi, en premier lieu, pour les choix religieux faits par des archicubes pendant les vingt dernières années. Certains m'ont fait la joie de venir ce matin, d'autres nous ont accompagné de leur prière, soeur Élie (Florence Ruel) à l'abbaye bénédictine de Jouarre, le Très Vénérable Père de Frémicourt à la Grande Chartreuse, le frère Guillaume Peyroche d'Arnauld au monastère olivétain du Mesnil Saint-Loup, dom François Cagin au monastère bénédictin de Ligugé, dom Cassingen au monastère de Solesmes... Leurs noms sont présents dans mon coeur et viennent souvent à mon esprit quand je dis mon office. Puissions-nous le dire ensemble, pour l'éternité, à la face de Dieu!
Nombreux sont ceux que j'ai préparés, comme on dit, au mariage. Vous savez combien chaque mariage est porté, de manière centrale, vive, forte, un peu angoissée, dans ma prière. J'ai souci de vous, et de chacun de vous, et de chacun de vos enfants. Ce souci pastoral n'est pas un souci administratif. C'et le voeu du bonheur pour ceux qu'on aime et qui m'ont donné de pouvoir, si souvent, partager en profondeur et vérité des choix décisifs et définitifs. Il y a si peu de choses décisives et définitives dans nos civilisations, et je m'émerveille à chaque foi du travail de la grâce qui conduit des femmes et des hommes à vivre cet engagement comme une parole donnée, qu'il n'y a pas à reprendre. Parmi vos enfants, certains vont àtre appelés par l'Esprit à la vie religieuse et au sacerdoce. Y pensez-vous? Le sohaitez-vous? Priez-vous pour cela ou considérez-vous que ce serait une catastrophe? Bien des vocations sont éteintes et réprimées par l'égoïsme des familles, il vous appartient, puisque vous avez reçu, de donner à votre tour, et de prier avec insistance pour que Dieu appelle vos enfants au service de leurs frères. Dieu appelle qui Il veut, mais la richesse des vocations vient des familles chrétiennes, qui savent y reconnaåtre un cadeau magnifique ---\, et je pense, ici encore, à mes propres parents.
Jeunes gens, le chemin est ouvert, et je pense aussi à celles et à ceux qui n'ont pas encore fait de choix, comme à celles et à ceux dont, mystérieusement, la vie ne s'est offerte ni dans le mariage ni dans le célibat consacré. Dans les choix qui ont pu être les leurs, pour les uns, dans la souffrance cachée et l'inquiétude qui est souvent le partage des autres, mon amitié et ma prière sont vives et personnelles.
Il est temps de conclure: que voulais-je vous dire aujourd'hui? Certainement ni un sermon ni un discours d'apparat. Seulement la certitude du Seigneur ressuscité appelant à son service ceux qu'il aime. Et la preuve immédiate, toute incarnée dans sa matérialité, est le buffet d'agapes qui nous attend après l'eucharistie!
Article paru dans Sénevé
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