Ecce nova facio omnia

Homélie pour le cinquième dimanche de Pâques,

à l'occasion du «jubilé» du Père Armogathe

Père Serge-Thomas Bonino, o.p.


«Voici : je fais toutes choses nouvelles» (Ap 21, 5). Rassurez-vous frères et soeurs, chers camarades, je ne suis pas chargé de transmettre de la part du cardinal l'annonce du complet renouvellement des cadres de l'aumônerie de l'Ecole. Non, la déclaration susdite vient d'un peu plus haut, de Celui qui siège sur le trône et elle a une portée plus universelle. Elle nous dévoile quelque chose du mystère de notre Dieu. Notre Dieu est un Dieu créateur, généreux, un Dieu qui fait du neuf : il façonne terre nouvelle et cieux nouveaux, il construit une Jérusalem nouvelle, il met en chacun de nous le coeur nouveau de l'homme nouveau, créé à l'image de Dieu (Ep 4, 24).



Le vieux, le décati, le périmé, c'est tout ce qui s'éloigne de la source même de la vie. Le neuf, le restauré, le renouvelé, c'est tout ce qui s'expose largement au rayonnement vivifiant du Prince de la Vie (Act 3,15), du Christ Ressuscité, de celui qui, par son Esprit, renouvelle à chaque instant la face de la terre(Ps 104, 30).



Car elle existe bel et bien la fontaine de jouvence. C'est le Christ notre Pâque, notre printemps permanent. Au matin, il s'est levé dans le jardin et désormais l'hiver est passé, les pluies ont cessé ; elle vient la saison des gais refrains qui rythment les noces de l'Agneau (Ct 2, 11-12).



Qu'est-ce en effet que l'ancien monde sinon notre propre monde mais défiguré par le rejet de Jésus-Christ, sinon l'écosystème malsain où barbote le vieil homme? Un monde de séparation et de dissemblance. Un monde hivernal où le vrai Soleil ne brille plus.



Et qu'est-ce que le monde nouveau sinon ce même monde désormais transfiguré par la présence du Christ ressuscité, sinon l'écosystème harmonieux où s'épanouit la communauté des hommes nouveaux, des hommes intérieurs qui se renouvellent de jour en jour (2 Co 4, 16)? Non plus un monde de séparation et d'étrangeté généralisée, mais un monde de communion et d'immanence radicale. Un monde où les hommes ont le bonheur d'habiter en frères tous ensemble (Ps 133, 1) parce que Dieu, par le Christ, est désormais tout en tous (Co 15, 28). Dieu pour nous, Dieu avec nous, Dieu en nous.



Ce monde nouveau, c'est Jésus-Christ lui-même, l'Homme nouveau, le nouvel Adam, l'homme qui, par grâce, est l'Un de la Trinité. Jésus qui récapitule et accomplit en sa personne tous les signes qui, dans les anciennes alliances attestaient la présence de Dieu. Il est la lumière véritable, le jour nouveau, la Terre des vivants, le Paradis nouveau où Dieu prend ses délices à habiter parmi les enfants des hommes (Pr 8, 31), accomplissant ainsi l'alliance de la création. Il est la Nuée de gloire, la Tente de la rencontre, le Pain vivant déscendu du ciel, la Terre promise, accomplissant ainsi l'alliance avec Israël.



Bref, l'humanité glorifiée de Jésus est le sacrement par excellence de notre communion avec Dieu, le Lieu unique où Dieu nous accueille et se donne. Et l'Eglise est en quelque sorte le sacrement de ce sacrement, la Cité sainte, la Jérusalem nouvelle qui descend du Ciel d'auprès de Dieu. Certes, l'Eglise est tirée de la glèbe : elle est pétrie de l'argile, lourde et terreuse, de nos vies si peu aériennes, mais elle vient d'en-haut parce qu'elle est vivifiée par la grâce du Christ, animée, galvanisée par l'Esprit que le Ressuscité ne cesse de lui insuffler. Et cet Esprit, qui déjà reposait sur Marie pour qu'en elle germe le corps physique du Christ, repose aujourd'hui sur l'Eglise et construit, pierre à pierre, le Corps mystique du Christ. Il le sanctifie, le divinise en l'arrimant de façon toujours plus étroite au Christ, source de jeunesse et de vie.



De cette Jérusalem nouvelle et céleste, de cette demeure si désirable, toute communauté chrétienne est non seulement la lointaine préfiguration, mais plus encore la réalisation anticipée, la participation. Oui, au regard de la foi, nos communautés, si pauvres soient-elles aux yeux du monde, sont déjà un quartier de la cité sainte : «Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux» (Mt 18, 20). Et Jésus-Christ ne vient pas en figurant, il ne vient pas les mains vides : par son action sanctificatrice, il pare l'Eglise de sa propre beauté.



La communauté ds chrétiens de l'Ecole n'échappe pas à cette haute vocation. Certes, l'Ecole n'appartient pas -du moins pas directement- à la structure fondamentale de l'Eglise de Jésus-Christ. Elle n'est pas d'institution divine. De sorte qu'il est probable qu'elle ne subsistera pas comme telle dans la Jérusalem céleste. «De temple, je n'en vis point en elle» (Ap 21, 22), annonce le voyant de l'Apocalypse - de fait, la médiation s'efface devant la Réalité, devant la Présence. Mais de l'Ecole, il, ne fait même pas mention!



Il reste que sur ce chemin d'exode qui nous conduit vers la Terre nouvelle, la communauté chrétienne de l'Ecole a son rôle propre et irremplaçable à jouer. Elle a pour mission -me semble-t-il- non seulement d'assurer la sanctification personelle des chrétiens qui s'y trouvent, ce qui est essentiel, mais aussi de renouveler, de transfigurer par la présence du Christ Ressuscité, la haute culture universitaire de notre pays. Et cela selon deux axes principaux :



Primo, notre communauté témoigne de l'esprit du Christ dans un milieu professionel qui n'est pas dispensé de conversion. Naguère, le journal tala portait le titre programmatique de «Serviteur inutile». Et, de fait, il n'est pas inutile -dans un milieu où, parfois, le désir de réussite personnelle, la recherche de ce que l'Ecriture appelle la gloire, désir qui est chevillé si profond au coeur du vieil homme, menace d'étouffer le sens du service fraternel- il n'est pas inutile, dis-je, de rappeler que rien n'est plus utile en définitive qu'un serviteur qui se sait inutile.



Secundo, notre communauté manifeste la fécondité culturelle de l'alliance passée entre les hommes et la sagesse éternelle qu'est le Christ. Plus que jamais l'Eglise a besoin d'enseignants et de chercheurs, qui, selon la recommandation de Saint Paul, s'efforcent de promouvoir dans la culture de leur temps «tout ce qu'il y a de vrai, de noble, de juste, de pur, d'honorable» (Ph 4, 8). Ainsi transfigurent-ils la culture par la lumière de l'Evangile.



Cette oeuvre, cette mission, pour personnelle qu'elle soit, est oeuvre d'Eglise. Elle exige, par sa nature même, le soutien d'une communauté et par conséquent le ministère d'un prêtre de Jésus-Christ, d'un aumônier, qui, par la prédication et les sacrements, assure au milieu de nous la présence du Christ et maintienne vive cette source cachée de la vraie nouveauté.



Ce ministère, l'abbé Jean-Robert Armogathe en a reçu la charge voici déjà vingt ans. Malgré les multiples sollicitations de sa vie sacerdotale, il l'a assumé avec l'énergie et le zèle que nous savons. Célébrations, enseignements, pélérinages tous azimuts, conseils personnels, rares ceux parmi nous qui n'ont pas bénéficié sur leur chemin au moins de quelques miettes de cette manne abondante et savoureuse... D'ailleurs, plus récemment -si j'ai bien compris-, l'exhumation inespérée au coeur même de notre chère cité phocéenne du codex armogathus a révélé bien d'autres hauts faits qui tiennent parfois du miracle. Mais je ne veux pas anticiper sur les décisions de la sacrée Congrégation pour la cause des saints.



Trêve de galéjades, je vous invite, chers camarades (chers futurs camarades!), en action de grâce pour ce que l'Esprit accomplit dans cette communauté depuis vingt ans, à vous associer à la grande Action de grâce-la seule qui soit à la hauteur des bienfaits reçus-, à l'eucharistie que le Christ fait monter pour nous vers le Père. En elle, les cieux nouveaux et la terre nouvelle viennent au devant de nous. Déjà, dans la liturgie, nous franchissons dans la joie les portes de la Jérusalem céleste (Ps 121).

P.S.B.o.

Article paru dans Sénevé


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