«Voici : je fais toutes choses nouvelles» (Ap 21, 5). Rassurez-vous frères et soeurs, chers camarades, je ne suis pas chargé de transmettre de la part du cardinal l'annonce du complet renouvellement des cadres de l'aumônerie de l'Ecole. Non, la déclaration susdite vient d'un peu plus haut, de Celui qui siège sur le trône et elle a une portée plus universelle. Elle nous dévoile quelque chose du mystère de notre Dieu. Notre Dieu est un Dieu créateur, généreux, un Dieu qui fait du neuf : il façonne terre nouvelle et cieux nouveaux, il construit une Jérusalem nouvelle, il met en chacun de nous le coeur nouveau de l'homme nouveau, créé à l'image de Dieu (Ep 4, 24).
Le vieux, le décati, le périmé, c'est tout ce qui s'éloigne de la source
même de la vie. Le neuf, le restauré, le renouvelé, c'est tout ce qui
s'expose largement au rayonnement vivifiant du Prince de la Vie (Act
3,15), du Christ Ressuscité, de celui qui, par son Esprit, renouvelle à
chaque instant la face de la terre(Ps 104, 30).
Car elle existe bel et bien la fontaine de jouvence. C'est le Christ notre
Pâque, notre printemps permanent. Au matin, il s'est levé dans le jardin
et désormais l'hiver est passé, les pluies ont cessé ; elle vient la
saison des gais refrains qui rythment les noces de l'Agneau (Ct 2, 11-12).
Qu'est-ce en effet que l'ancien monde sinon notre propre monde mais
défiguré par le rejet de Jésus-Christ, sinon l'écosystème malsain où
barbote le vieil homme? Un monde de séparation et de dissemblance. Un
monde hivernal où le vrai Soleil ne brille plus.
Et qu'est-ce que le monde nouveau sinon ce même monde désormais
transfiguré par la présence du Christ ressuscité, sinon l'écosystème
harmonieux où s'épanouit la communauté des hommes nouveaux, des hommes
intérieurs qui se renouvellent de jour en jour (2 Co 4, 16)? Non plus un
monde de séparation et d'étrangeté généralisée, mais un monde de communion
et d'immanence radicale. Un monde où les hommes ont le bonheur d'habiter
en frères tous ensemble (Ps 133, 1) parce que Dieu, par le Christ, est
désormais tout en tous (Co 15, 28). Dieu pour nous, Dieu avec nous, Dieu
en nous.
Ce monde nouveau, c'est Jésus-Christ lui-même, l'Homme nouveau, le nouvel
Adam, l'homme qui, par grâce, est l'Un de la Trinité. Jésus qui récapitule
et accomplit en sa personne tous les signes qui, dans les anciennes
alliances attestaient la présence de Dieu. Il est la lumière véritable, le
jour nouveau, la Terre des vivants, le Paradis nouveau où Dieu prend
ses
délices à habiter parmi les enfants des hommes (Pr 8, 31), accomplissant
ainsi l'alliance de la création. Il est la Nuée de gloire, la Tente de la
rencontre, le Pain vivant déscendu du ciel, la Terre promise,
accomplissant
ainsi l'alliance avec Israël.
Bref, l'humanité glorifiée de Jésus est le sacrement par excellence de
notre communion avec Dieu, le Lieu unique où Dieu nous accueille et se
donne. Et l'Eglise est en quelque sorte le sacrement de ce sacrement, la
Cité sainte, la Jérusalem nouvelle qui descend du Ciel d'auprès de Dieu.
Certes, l'Eglise est tirée de la glèbe : elle est pétrie de l'argile,
lourde et terreuse, de nos vies si peu aériennes, mais elle vient
d'en-haut parce qu'elle est vivifiée par la grâce du Christ, animée,
galvanisée par l'Esprit que le Ressuscité ne cesse de lui insuffler. Et
cet Esprit, qui déjà reposait sur Marie pour qu'en elle germe le corps
physique du Christ, repose aujourd'hui sur l'Eglise et construit, pierre à
pierre, le Corps mystique du Christ. Il le sanctifie, le divinise en
l'arrimant de façon toujours plus étroite au Christ, source de jeunesse et
de vie.
De cette Jérusalem nouvelle et céleste, de cette demeure si désirable,
toute communauté chrétienne est non seulement la lointaine préfiguration,
mais plus encore la réalisation anticipée, la participation. Oui, au
regard de la foi, nos communautés, si pauvres soient-elles aux yeux du
monde, sont déjà un quartier de la cité sainte : «Quand deux ou trois sont
réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux» (Mt 18, 20). Et
Jésus-Christ ne vient pas en figurant, il ne vient pas les mains vides :
par son action sanctificatrice, il pare l'Eglise de sa propre beauté.
La communauté ds chrétiens de l'Ecole n'échappe pas à cette haute
vocation. Certes, l'Ecole n'appartient pas -du moins pas directement- à la
structure fondamentale de l'Eglise de Jésus-Christ. Elle n'est pas
d'institution divine. De sorte qu'il est probable qu'elle ne subsistera
pas comme telle dans la Jérusalem céleste. «De temple, je n'en vis point
en elle» (Ap 21, 22), annonce le voyant de l'Apocalypse - de fait, la
médiation s'efface devant la Réalité, devant la Présence. Mais de
l'Ecole,
il, ne fait même pas mention!
Il reste que sur ce chemin d'exode qui nous conduit vers la Terre
nouvelle, la communauté chrétienne de l'Ecole a son rôle propre et
irremplaçable à jouer. Elle a pour mission -me semble-t-il- non seulement
d'assurer la sanctification personelle des chrétiens qui s'y trouvent, ce
qui est essentiel, mais aussi de renouveler, de transfigurer par la
présence du Christ Ressuscité, la haute culture universitaire de notre
pays. Et cela selon deux axes principaux :
Primo, notre communauté témoigne de l'esprit du Christ dans un milieu
professionel qui n'est pas dispensé de conversion. Naguère, le journal
tala portait le titre programmatique de «Serviteur inutile». Et, de fait,
il n'est pas inutile -dans un milieu où, parfois, le désir de réussite
personnelle, la recherche de ce que l'Ecriture appelle la gloire, désir
qui est chevillé si profond au coeur du vieil homme, menace d'étouffer le
sens du service fraternel- il n'est pas inutile, dis-je, de rappeler que
rien n'est plus utile en définitive qu'un serviteur qui se sait inutile.
Secundo, notre communauté manifeste la fécondité culturelle de l'alliance
passée entre les hommes et la sagesse éternelle qu'est le Christ. Plus que
jamais l'Eglise a besoin d'enseignants et de chercheurs, qui, selon la
recommandation de Saint Paul, s'efforcent de promouvoir dans la culture de
leur temps «tout ce qu'il y a de vrai, de noble, de juste, de pur,
d'honorable» (Ph 4, 8). Ainsi transfigurent-ils la culture par la lumière
de l'Evangile.
Cette oeuvre, cette mission, pour personnelle qu'elle soit, est oeuvre
d'Eglise. Elle exige, par sa nature même, le soutien d'une communauté et
par conséquent le ministère d'un prêtre de Jésus-Christ, d'un aumônier,
qui, par la prédication et les sacrements, assure au milieu de nous la
présence du Christ et maintienne vive cette source cachée de la vraie
nouveauté.
Ce ministère, l'abbé Jean-Robert Armogathe en a reçu la charge voici déjà
vingt ans. Malgré les multiples sollicitations de sa vie sacerdotale, il
l'a assumé avec l'énergie et le zèle que nous savons. Célébrations,
enseignements, pélérinages tous azimuts, conseils personnels, rares ceux
parmi nous qui n'ont pas bénéficié sur leur chemin au moins de quelques
miettes de cette manne abondante et savoureuse... D'ailleurs, plus
récemment -si j'ai bien compris-, l'exhumation inespérée au coeur même de
notre chère cité phocéenne du codex armogathus a révélé bien d'autres
hauts faits qui tiennent parfois du miracle. Mais je ne veux pas anticiper
sur les décisions de la sacrée Congrégation pour la cause des saints.
Trêve de galéjades, je vous invite, chers camarades (chers futurs
camarades!), en action de grâce pour ce que l'Esprit accomplit dans cette
communauté depuis vingt ans, à vous associer à la grande Action de
grâce-la seule qui soit à la hauteur des bienfaits reçus-, à l'eucharistie
que le Christ fait monter pour nous vers le Père. En elle, les cieux
nouveaux et la terre nouvelle viennent au devant de nous. Déjà, dans la
liturgie, nous franchissons dans la joie les portes de la Jérusalem
céleste (Ps 121).
Article paru dans Sénevé
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