Lettre du cardinal Lustiger


Paris, le 10 mai 2001


Il est une question qu'il n'est peut-être pas inconvenant de se poser: c'est celle de savoir qui a le plus de raisons de rendre grâce à l'heure où le père Jean Robert Armogathe célèbre le vingtième anniversaire de son retour à l'École normale supérieure, non plus (bien sûr) en tant qu'élève, ni même comme professeur ou «caïman» (ainsi que c'eût pu être le cas), mais en qualité de prêtre et d'aumônier des «talas»


Ces dernier ne peuvent à l'évidence que se féliciter d'avoir pour pasteur un de leurs prédécesseurs. Qui peut mieux qu'un «archicube» connaître les normaliens, le dur chemin qu'ils ont parcouru pour arriver jusque là et les enjeux, non seulement des études qu'ils poursuivent, mais encore des décisions qu'ils sont amenés à prendre pour leur orientation.


Comme tout ce qui compte dans une vie, ce travail et ces choix ont une dimension spirituelle, dans une relation fondatrice pour chacun avec Jésus le Christ, nécessairement vécue au sein d'une communauté et à travers la pratique des sacrements. C'est pourquoi il est précieux que l'itinéraire de l'aumônier lui ai donné l'expérience de ces années, de ce contexte où tant se joue. Et il est frucuteux que celui que, selon l'usage, on appelle «le père» soit aussi un aîné. Surtout quand la mission sacerdotale qui lui a été confiée se conjugue avec l'exemple de sa carrière universitaire à l'École Pratique des Hautes Études et en d'innombrables autres lieux prestigieux.


Heureux «talas» de l'École, donc. Mais non moins heureux aumônier, à qui il est donné de continuer à «habiter» le cadre de ses années de formation et la maison qui était déjà sienne à l'époque où sa vocation lui est devenue claire. Comment une telle proximité de sources et de racines de jeunesse n'engagerait-elle pas à de constants renouvellements?


Sans compter qu'il n'est pas nécessaire d'être grand clerc pour deviner que les «talas» de l'École constituent une communauté particulièrement stimulante pour le prêtre qui en a la charge.


Il est alors bien difficile de déterminer lequel, de l'aumônier ou du groupe qu'il sert, est en droit, au bout de 20 ans et pour un anniversaire jubilaire, d'exprimer le plus haut sa reconnaissance. Mais la question n'avait de sens que dans la mesure où sa réponse ne pouvait se résumer à trancher une alternative simpliste.


S'il est vain de se demander qui peut se réjouir le plus fort, ce n'est pas uniquement parce que tous ceux qui sont aujourd'hui réunis ou auraient voulu être là doivent le faire ensemble. C'est bien plutôt parce que la relation entre la communauté et l'aumônier qui lui est donné n'est pas un huis clos. Ce ne sons pas seulement les grâces reçues qu'il convient de célébrer. Ce sont aussi et surtout les grâces transmises, et pas par le seul prêtre, même si son rôle est irremplaçable.


Le groupe «tala» de l'École, vous le savez bien, n'est pas une fin en soi. Il n'est pas seul au monde. Et ce qui peut faire sa fierté, c'est bel et bien d'être ouvert sur le monde précisement à la mesure où il est intégré à l'Église.


De votre sein sont sortis et sortiront encore des prêtres, des religieuses et religieux. Votre communauté s'avère ainsi être pleinement d'Église, et bien plus que l'amicale catholique d'une institution d'élite. Être d'Église signifie tout l'inverse de s'y enfermer. Les vocations nées ou découvertes parmi vous débouchent sur des missions et des envois. Et les laïcs sont de même, autrement certes, mais non moins envoyés dans le monde pour y faire la volonté de Dieu qui est amour, et recevoir de lui la force d'exercer ainsi leur sacerdoce de baptisés.


C'est donc aujourd'hui avec vous tous autour de votre aumônier l'Église entière qui rend grâce pout tout ce que vous recevez, partagez et offrez à tous ceux, sur votre route, que Dieu aime comme il vous aime. Et c'est dans cette foi, cette gratitude et cette espérance que je m'associe joyeusement et de tout coeur, depuis Jérusalem, à votre prière.


Jean-Marie cardinal LUSTIGER
archevêque de Paris


Article paru dans Sénevé


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