Qu'est-ce que les talas ont été faire à Rome cet été ? Notre envoyé spécial est allé interwiever Thomas chez lui. En fait, comme l'envoyé spécial est Thomas lui-même, c'est lui qui fait les questions et les réponses.
SENEVE : Tu reviens des JMJ. Quelle est la première chose que tu en retiens ?
Thomas : Je sais pas trop. C'était des journées terribles, mais ça paraît déjà si loin, comme un rêve. En premier, je me rappelle plus de mouvements de foule que de moments de piété. Comment les rues de Rome, assez calmes en plein mois d'août, se sont brusquement remplies de jeunes du monde entier, de drapeaux (pas mal de drapeaux français d'ailleurs --presque autant de bretons !), de danses et de chants religieux. Je revois les afflux --épouvantables pour nous qui devions les canaliser-- des pélerins affamés qui sortaient de la messe au Cirque Maxime et venaient se substanter. Les restaurants, c'était une vingtaine de camions semi-remorques ; pour chaque camion, il y avait 6 grands poëles ; c'était énorme.
Je revois aussi la foule à Tor Vergata. Le samedi midi, plus d'un million de personnes sous un soleil de plomb. Les gens se douchaient, se construisaient des abris de fortune contre le soleil avec des barrières de sécurité, des cartons, du bambou, et la foule qui continuait d'arriver... Le soir, les lumières des bougies s'étendaient à perte de vue. Et quand j'ai fait un TARATATA à la trompette, un gigantesque OLÉ ! J'avais jamais vu ça !
Evidemment, tout ça n'est pas l'essentiel, mais ça marque.
S. : Le Cirque Maxime, Tor Vergata... Tu peux nous rappeler les événements ?
T. : Effectivement, je peux vous expliquer «l'emploi du temps» de ces 5 jours pour les pélerins dans cette ville chargée de significations. Les JMJ ont débuté avec l'accueil du Saint Père le mercredi après-midi ; le Pape a été tour à tour accueillir les italiens à la cathédrale Saint-Jean-du-Latran et les étrangers à la basilique St-Pierre de Rome, montrant ainsi son double statut d'évêque de Rome et de Pape. Au cours des 3 jours suivants, les pélerins se rendaient à la messe, aux catéchèses, ainsi qu'à de grands rassemblements tels le pèlerinage jubilaire et la messe au Cirque Maxime. Pendant l'après-midi et la soirée se tenaient également le «Festival de la Jeunesse» où de multiples concerts, spectacles, rencontres, témoignages et prières étaient proposés un peu partout en ville. Le week-end, nous nous sommes tous rendus à Tor Vergata, ensemble de champs au sud de la ville, pour une veillée avec le Pape et le lendemain, à l'apogée de ces JMJ (il y aurait eu 2 millions de personnes !), la messe.
S. : Tu peux développer «cette ville chargée de significations» ?
T. : Rome a une grande importance pour le christianisme à cause du rôle politique qu'elle avait au temps de Jésus de capitale de l'Empire Romain. Surtout, elle a été consacrée par les martyres de Pierre, de Paul et des premières communautés chrétiennes.
Aller en pèlerinage à Rome, c'est revenir aux sources. Nous, étant volontaires au cours des journées de la jeunesse, étions au service des pélerins, et donc pas tellement dans cette démarche de pèlerinage. Mais heureusement nous étions là depuis 2 semaines, et avions pu auparavant parcourir la ville en long et en large et organiser notre propre petit pèlerinage.
S. : Et que représente pour toi le Jubilé ?
T. : Mmh... pour moi, c'est pas très clair tout ça, le Jubilé, les indulgences... On en a un peu discuté ceci dit. Actuellement je comprends l'indulgence comme une grâce qu'on reçoit (plutôt qu'une remise de la dette de ses péchés) à l'occasion de cette fête de l'Eglise qu'est le Jubilé, à condition d'avoir une certaine démarche de pénitence et de conversion.
Pour cela, le parcours qui consiste à passer par les 4 basiliques majeures (en entrant par la Porte Sainte !) et les 3 mineures incite à une méditation sur les origines de l'Eglise : St Pierre (tombeau de St-Pierre et tombeaux de nombreux papes), St-Paul hors les murs (tombeau de St-Paul), St-Jean du Latran (cathédrale de Rome), Ste-Marie Majeure pour les basiliques majeures et St-Sébastien (bâtie sur les catacombes --St-Sébastien était un jeune martyre), l'église de la Sainte Croix, St-Laurent (St-Laurent était un diacre martyre) pour les basiliques mineures. (Pour plus de précision et éventuellement des corrections par rapport à ce que je viens de dire, consultez l'article de Guido dans le dernier Sénevé).
Maintenant, ai-je reçu une grâce particulière ? Ma vie n'a pas changé mais qui sait ?
S. : Qui sait ? Vous étiez volontaires. En quoi cela consistait-il ?
T. : Avant que les pélerins n'arrivent, nous avons déjà effectué quelques services : service d'ordre dans 2 basiliques majeures (accueillir et guider un peu les touristes, interdire l'accès aux personnes «non correctes» : shorts trop courts, épaules dénudées pour les femmes) et quelques aides à l'aménagement des paroisses d'accueil. Pendant les journées avec les pélerins, nous avons travaillé du mercredi au vendredi, comme vous l'aurez compris, au service de restauration des pélerins qui sortaient de la messe au Cirque Maximus. Là,nous étions intégrés à des équipes italiennes. Vous devez déjà savoir que l'organisation laissait à désirer... Par exemple, j'étais avec Hélène dans une équipe... de 3 personnes (!), avec notre capo equipe Carla. On était chargé de réguler les flux de pélerins à l'entrée de la file de restaurants. Il n'y avait personne pour superviser, au début les italiens laissaient passer les gens au compte-goute par groupes de 6. On nous a aussi fait interdire aux gens qui attendaient l'ouverture des restaurants de s'asseoir dans les pelouses (alors vides) réservées à ceux qui mangeaient. Mais c'était vachement sympa, on discutait un peu avec les pélerins.
On a aussi travaillé le samedi matin de 1h à 8h, pour distribuer les paniers-repas de Tor Vergata aux premiers pélerins qui y arrivaient ; c'était de la fatigue, mais aussi des chants et des jeux. Et nous étions libres après pour le week-end à Tor Vergata ; nous avons donc pu participer à la veillée et à la messe, renconter le pape au milieu de tous ces jeunes (on s'est même battu pour avoir accès aux places assises juste devant le podium !).
Sinon, on logeait avec environ 500 autres volontaires de nationalités
diverses (italiens, autres français, polonais --sur qui Damien, grand
polonophile devant l'Eternel, s'est jeté dès son arrivée--,
colombiens, philippins...). Avec tout ce monde, il y avait de
l'animation le soir ; dommage pour notre manque de sommeil. Ca a pu
être dur à certains moments, surtout pour Sylvain qui --Armo ayant contracté une fièvre inconnue en Guyanne-- a dû le remplacer au pied levé dans la responsabilité du groupe, avec à la clé des réunions de responsables tard le soir, des inquiétudes dues à l'organisation et un téléphone portable dans chaque poche.
Mais cela fait partie du tout. Je pense que vivre les JMJ par la dimension du service a été une expérience d'aumônerie bien différente des pélés classiques (quoique je n'aie jamais été en pélé tala) : nous étions un peu dispersés, à faire un travail physique, à travailler la nuit même. Et en même temps nous avons pu tenir une petite vie de communauté, surtout la première semaine, avec les laudes, la messe et les complies.
S. : Tu parlais de places assises à Tor Vergata. Il paraît qu'il y a toute une petite histoire autour, qui te concerne notamment.
T. : Bof, vous tenez vraiment à ce que j'en parle ?
S. : Oui !
T. : Pourtant, ce n'est pas tout à mon honneur... Enfin. Donc, Rembrandt Kernemar (le frère de Mathilde) avait appris que les volontaires français inscrits sur l'Ile de France s'étaient vu octroyer par les évêques français des places assises aux premières loges. Téléphonant à Sylvain, ils conviennent d'essayer d'obtenir ce même privilège pour nous, Rembrandt en s'adressant à la paroisse française à Rome, Sylvain en s'adressant directement au n°2 (si j'ai bien compris) des JMJ, grâce au piston d'Armo, avec qui nous sommes restés constamment en liaison-téléphone portable. Chacun armé de son téléphone --celui prêté par l'organisation pour Rembrandt et le sien pour Sylvain-- se lance dans une série effrénée de coups de fil. Alors que Rembrandt, au bout de quelques heures se voit offrir une promesse de places, Armo apprend à Sylvain que les reponsables des JMJ sont furieux que les français aient de tels privilèges et nous conseille d'abandonner l'affaire.
Finalement, Rembrandt a tout de même convenu d'un rendez-vous avec un certain (j'ai oublié le nom alors j'en invente un autre) «Arnaud de Pollin». Grâce à la technologie, nous arrivons à nous retrouver tous à Tor Vergata au lieu de ce rendez-vous, mais Arnaud en fait n'a pas pu venir. Et quand il s'agit de convenir d'un autre RDV, Rembrandt se rend compte qu'il a éteint le portable et qu'il ne connaît pas le code PIN. Tant pis.
En fait, Rembrandt finira par se procurer 6 Pass auprès de volontaires français qui en avaient en rab ; nous avons donc assisté aux cérémonies les uns tout près et les autres devant un écran géant ; et encore, j'ai rejoint le soir les privilégiés en passant en fraude derrière les toilettes, et le lendemain nous sommes encore quelques-uns à avoir passé la limite au prix de moultes transferts de tickets dont nous ne sommes pas fiers.
S. : C'est tout ?
T. : Il y a une autre histoire. Le dimanche soir, ayant réussi à rentrer assez tôt l'après-midi, nous (quelques garçons dont moi) avons voulu faire croire aux autres que nous devoins travailler la nuit qui venait, de 1h à 8h, à Tor Vergata, pour ramasser les déchets. Voyant que ça prenait un peu, nous avons même essayé de faire faire une fausse convocation au check-point de notre centre, mais nous n'en avons pas eu le temps, avec le départ de Sylvain puis des scouts amis de Maxime.
Sylvain parti, c'est moi qui héritai du téléphone portable de l'organisation (objet que je ne suis pas prêt de posséder). Là-dessus, ce téléphone se met à sonner un coup sans que j'aie le temps de décrocher, plusieurs fois de suite. C'est assez insupportable, mais pas moyen de répondre au plaisantin, ni de le rappeler avec le portable italien car c'est un numéro de portable français. Comme Marie-Joséphine a elle-même un portable français, je lui demande si elle connaît ce numéro (évidemment elle ne le connaît pas), et je lui emprunte le sien pour l'appeler, mais ça sonne occupé. Vous l'aurez tous compris, le plaisantin, c'était Marie-Jo elle-même, mais je lui faisais confiance.
Là-dessus, alors que nous nous mettons en route pour notre restaurant fétiche, Brek Cafe, je m'arrête dans une cabine pour appeler ce mystérieux numéro ; et là je suis harangué ainsi :
«Voilà, je suis Arnaud de Pollin, c'est vous le reponsable du groupe ?
- Moui... ?
- Vous êtes convoqués pour travailler cette nuit à Tor Vergata de 1h à 8h.
- Comment ça ?
- C'est en contre-partie des places assises que vous avez pu avoir à Tor Vergata.
- Allez, c'est Rembrandt, arrête de déconner ! C'est pas possible une coïncidence comme ça !
- Mais (il se fâche) de qui parlez-vous Monsieur ?... »
Là, le téléphone a coupé parce que ma carte téléphone s'est épuisé. Comme Mathilde Süterlin vient me chercher dans le cabine parce que le bus arrive, je lui demande si Rembrandt (dont je crois tout de même avoir reconnu la voix) n'était pas au téléphone, mais elle m'assure que non.
Je suis vraiment bien emmerdé puisque tout cela me semble être vrai ; je l'explique aux autres dans le bus ; pour eux il n'est pas question d'aller travailler cette nuit.
Je voudrais rappeler le numéro pour tirer ça au clair. En fait, c'est au Brek Cafe que lui me rappelle (et oui, j'apprendrai que c'était Rembrandt qui s'était caché dans les toilettes --en tout cas il est vachement fort, voyez la suite). Là, c'est un Arnaud furieux que j'ai au bout du fil, furieux que je lui aie racroché au nez et que j'aie l'air de ne pas vouloir obtempérer. Il me présente ce travail à Tor Vergata comme une punition pour avoir obtenu ces Pass («de quelques manière que ce soit»), parce que tous les volontaires français font ce travail et que les responsables italiens sont furieux (je me rappele le coup de fil d'Armo). J'accepte finalement, me disant que de toute manière on ne pourra jamais obtenir de navette au centre comme il me l'assure. Racontant ça aux autres, je suis d'accord pour dire que de toute façon on n'ira pas, mais ne suis pas très à l'aise, surtout que, projetant de rentrer avec les volontaires français parmi lesquels j'ai des amis (scouts), je risque fort de retomber sur le fameux Arnaud.
Je reçois un coup de fil --c'est Sylvain qui est à Athènes et m'annonce que ses bagages sont restés à Zurich ; ça va quand même bien pour lui, il me demande ce qu'il en est pour nous ; ne voulant pas l'alarmer, je lui réponds que tout va bien mais qu'on aura quelque chose d'amusant à lui raconter à notre retour ; je n'aurais pas pu donner meilleure réponse. Alors que j'étais pressé de rentrer m'assurer qu'il n'y avait pas de navette, les autres ne semblaient pas partager mon émoi mais au contraire me rassuraient. On a fini par rentrer. Au passage je salue à la trompette les polonais qui partent. Puis c'est Nicolas G. qui s'est proposé pour rappeller M. de Pollin. Il fait ceci avec le téléphone de Marie-Jo (évidemment, il simule une conversation) :
«Bonsoir, est-ce que je vous dérange ? (...) Oh, excusez-moi mon Père ! Est-ce que je pourrais parler à Arnaud de Potin ? (...) Ah, il dort ! C'était pour une histoire de service (...) Ah, c'est les italiens ! C'est une erreur ? (...) D'accord, je vous remercie mon Père.»
Il raccroche. Je suis soulagé mais je n'ai toujours pas compris. Mon
téléphone sonne encore une fois, je me retire précipitemment ; c'est
une voix de fille «C'est qui, c'est Fleur ? Non ? C'est Sara ? Non ?
C'est Edwige ? (...) Quoi !» Et non, c'était Marie-Jo, et j'entendais derrière moi et dans l'écouteur les rires de mes tortionaires d'un soir.
Voilà voilà, j'ai ainsi (et vous aussi) découvert ma grande naïveté, et je n'en sors pas fier, mais tout de même fort amusé qu'un canular --qu'au début je voulais faire aux autres-- se soit ainsi retourné et ait si bien marché, et en revenant en arrière je me rends compte comment les petites remarques de tout le monde étaient finement calculées.
Il n'en faut pas beaucoup pour amuser un tala. Et dire que tous les conscrits vont lire ça !
S. : Mais non, rassure-toi, ce n'est pas grave. D'ailleurs se serait bien si effectivement tous les conscrits lisaient Sénevé !
Nous avons eu ainsi un aperçu de ces journées, et aussi d'un épisode
concret. Qu'est-ce que tu penses que tu vas retenir de ces journées ?
T. : Moi, quand je vais en pélé ou quelque chose comme ça, j'espère toujours avoir une conversion un peu radicale, en finir avec mes doutes et Cie. Certains ont effectivement fait une rencontre surprenante avec Jésus-Christ. Pour moi, ce n'aura pas été pour cette fois.
Ceci dit, une telle expérience recharge toujours les batteries, et voir ainsi tant de jeunes unis dans la même foi, ça rassure et c'est une invitation à continuer et approfondir.
En même temps, on fait l'expérience de la différence ; par exemple ces italiens pour qui tout est prétexte à la fête ; les français (je parle entre autres de ceux qui logeaient dans un centre de 5000 volontaires à Paracavichi) avaient l'air d'accord pour dire qu'ils trouvaient un peu bizare, même s'ils en profitaient bien, tous ces bars et discothèques dans leur centre, qu'ils avaient (c'était avant l'arrivée des pélerins) du mal à saisir la dimension spirituelle de ce séjour.
Et chacun, même au sein de notre groupe a vécu l'événement de manière différente.
S. : Cette année d'ailleurs, tu continues ta «quête spirituelle» avec un an de retraite ?
T. : Pas tout à fait. Je vais chez les petites soeurs de Mère Thérésa dans le Bronx. J'y vais effectivement dans une perspective de «quête spirituelle», mais aussi pour le service (et accessoirement pour apprendre l'anglais). Et je ne resterai peut-être que quelques mois pour voyager après. En tout cas, vive le CST !
Article paru dans Sénevé
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