Les Psaumes

Cécile Poisson


Cécile Poisson se propose de commencer une série de réflexions sur les psaumes et leur prière, qui en particulier pourrait nous aider à réfléchir sur les offices que certains d'entre nous disent tous les matins. NDLR.


Les Psaumes : prière de l'homme, prière de Dieu


Lorsque le psalmiste nous parle de Dieu,il nous invite à Le célébrer. Il nous suffit d'ouvrir le psautier pour voir que cette invitation habite les psaumes, et qu'elle en détermine la structure même. Qu'est-ce à dire ? Que répondre à l'appel de Dieu et Le célébrer, c'est reconnaître que nous Lui appartenons, que nous sommes faits pour Lui. Si nous nous arrêtons sur le psaume 94, nous voyons qu'il s'ouvre sur un appel à la louange. Après cette ouverture, le psalmiste met sa parole en acte : il loue le Seigneur, et reconnaît en Lui le maître de la création. Conscient et joyeux de la grandeur de Dieu, l'homme doit se faire tout petit. Et s'il vient à Dieu, c'est parce que Dieu l'appelle : ``Aujourd'hui,écouterez-vous sa parole ?" Dieu est présent dans tout le psaume 94. Il est celui pour qui écrit le psalmiste (du seul fait qu'il compose un psaume invitatoire, le psalmiste met son exhortation en pratique) c'est à dire le destinataire réel du psaume. Il en est également le personnage et l'acteur puisqu'Il prend la parole. En d'autres termes, Il est simultanément l'origine et la fin du psaume. Malgré cette bonne nouvelle, le psaume qui s'ouvrait dans la musique et la joie s'achève sur une malédiction : ``Dans ma colère, j'en ai fait le serment, jamais ils n'entreront dans mon repos".
Cette parole est sans appel et le rejet de l'homme semble aussi radical qu'il peut l'être dans la Genèse. Pourquoi une telle violence de la part de Dieu ? Comment admettre que Sa réaction ne contredit pas en elle-même toute invite à Le louer ? Nous le voyons bien, Il renie ceux qui ne se sont pas comportés comme Ses enfants ; cela nous surprend toujours. Il est clair d'autre part que la sévérité divine est suscitée par l'infidélité du peuple élu qui épuise la patience de Dieu.Sa colère aparaît alors comme un ultime recours, elle témoigne de la constance remarquable avec laquelle l'homme se tient éloigné de Lui. Si elle choque, la violence du Dieu d'Israël déçu par l'infidélité de Son peuple est en même temps révélatrice de Son projet pour les Hébreux : l'alliance passée avec Moïse repose sur une exigence radicale et un don réciproque. A ce propos, l'expression ``Dieu d'Israël" interroge le chrétien : comment reconnaître en Lui le Dieu d'amour et de miséricorde ? Ce Dieu présent dans les psaumes est-Il le Dieu de l'homme, ou une simple image, Dieu tel que se le représentent les Hébreux- Dieu mis en scène, Dieu qui, malgré sa toute puissance, est aussi le personnage principal d'une immense épopée, écrite par un peuple qui relit son histoire en tentant de lui donner la valeur du sens ? Nous Le voyons se promener dans le jardin d'Eden,combattre avec Jacob...
La position que s'octroie le psalmiste peut nous aider à résoudre cette question : puisqu'il invite l'homme à louer Dieu, lui-même n'a aucun tort envers Lui. La position du psalmiste est le plus souvent celle du juste. Dans le psaume 37, ce juste est aussi victime et laisse éclater son désir de vengeance :

Un chrétien peut-il se reconnaître dans le langage des psaumes ? Peut-il mettre les paroles du psalmiste dans sa bouche et dans son coeur, pour les adresser à Dieu ? Cette question- qui est un enjeu d'une réflexion sur les psaumes- nous permet d'approcher simultanément le pouvoir et l'ambiguïté du psaume. Le psaume ne raconte pas une histoire ; en faisant intervenir le TU et le JE il s'oppose aux livres de genre narratif. Ceci implique qu'il se dit ou se récite plus qu'il ne se lit. En d'autres termes, la parole du psaume nous engage et nous pénètre. Nous nous trouvons contraints de prendre un parti : pouvons-nous dire ``je" avec le psalmiste et adresser ses paroles à Dieu en notre nom ? Préférons-nous dire ``je" au nom d'une autre personne ? L' ambiguïté du psaume peut s'énoncer en ces termes : qui prie véritablement lorsque nous récitons un psaume ? Quelle personne y est présente, que nous pouvons reconnaître ou rencontrer ? Nous reconnaissons dans le psaume une expérience humaine universelle- celle de la violence, du malheur, qui alternent avec des moments privilégiés de bonheur et de repos. Si le psaume naît d'une situation particulière, cette situation est effacée le plus souvent : seul le cri qu'elle fait pousser au psalmiste nous revient. Peu importe : le cri de l'homme heureux ou malheureux apparaît comme l'expression de l'expérience humaine la plus générale, et cette expérience nous traverse. Si nous reconnaissons que la condition du psalmiste est comparable à la nôtre, ses réactions ne nous en laissent pas moins perplexes : comme les autres le chrétien fait l'expérience de la lumière et des ténèbres, mais l'amour que nous avons reçu ne connaît pas de limite et fait intervenir le pardon :

En nous invitant à Le suivre, le Christ nous demande de répondre en tout par l'Amour. Pouvons-nous prier avec les psaumes en restant fidèles au commandement de l'Amour ?
Ces questions se justifient par l'importance des psaumes dans la liturgie, et leur place centrale dans la vie religieuse. Enfin et surtout, ils ont une valeur particulière pour le Christ et les évangélistes :

Le Christ connaît les psaumes, Il les a priés. Luc sous-entend de plus qu'il faut lire dans les psaumes le dessein de Dieu pour Son fils et y trouver un éclairage pour lire les Evangiles. Les psaumes peuvent donc se lire comme si le peuple juif parlait en eux, comme si le Christ parlait en eux,comme s'ils désignaient notre vie ou celle de l'Eglise. Quelle prière nous proposent-ils aujourd'hui ? Resituer les psaumes dans leur contexte littéraire et historique, cela peut être un premier élément de réponse...


Les psaumes:poème et mémoire d'un peuple Les psaumes font mémoire d'événements ou d'expériences que le psalmiste souhaite transmettre. A une époque où la culture est surtout une culture orale, la forme poétique aide la mémoire et permet à celui qui reçoit le psaume de communier à l'expérience du psalmiste.La poésie des psaumes se comprend d'abord comme un objet artisanal,elle a pour fonction de conserver une tradition et n'est donc pas gratuite comme peul'être le plaisir esthétique.Une des caractéristiques de la poésie hébraïque est de faire intervenir la répétition sous plusieurs formes La répétition des mots permet de structurer le psaume et fournit un appui au récitant.Dans le psaume 119 par exemple,chaque strophe égrène dans un ordre différent les huit mots de la Loi:loi, exigences, voies, préceptes,commandements, volontés,décisions, parole. D'autre part, les refrains insistent sur la structure strophique de certains psaumes. Ainsi dans le psaume 136 : ``éternel est son amour!".Ces différentes formes de répétition invitent à l'attention et à l'écoute. La langue même des psaumes va dans ce sens. Rappelons que l'hébreu est une langue sémitique, dont le vocabulaire est fondé sur des racines trilittères qui expriment une notion ou une idée. L'insertion dans la racine de voyelles, l'éventuelle adjonction de préfixes ou de suffixes, permettent à l'idée associée à la racine de s'exprimer dans un nom, un verbe, un adjectif...Si les rimes sont inexistantes dans la poésie hébraïque, les assonances et les allitérations sont fréquentes car elles permettent de faire résonner certains mots. Dans le psaume 126, le verset 6 joue sur les lettres sh,l et m qui forment le mot shalom : ``Shaalou shelom Yeroushalaïm yishlaîou ohavaïkh", ``Appelez le bonheur sur Jérusalem,paix à ceux qui t'aiment". Tout le verset est scandé par le mot "paix" qui n'est réellement présent qu'une fois. Enfin la langue hébraïque recourt à un vocabulaire concret :``Tout bouge dans les psaumes. Point de termes abstraits ni de mots morts. Chaque nom est figure, chaque substantif est image, chaque verbe est mouvement et déplacement"(J.Gélineau). Le psaume ne propose pas de concept mais des figures de la relation entre Dieu et les hommes. L'imaginaire des psaumes est un imaginaire biblique façonné par Israël.
Dans cet imaginaire, une figure parcourt le psautier : celle du roi David. ``De même que Moïse a donné cinq livres de lois à Israël,de même David a donné cinq livres de psaumes à Israël" (Midrash tehillim). D'après la tradition juive, David a été choisi par Dieu pour rendre au monde sa capacité à louer le Seigneur. Le psautier rapporte le combat entre le bien et le mal qui se jouait en David et autour de lui. Seul un homme exceptionnel peut continuer de chanter Dieu lorsqu'il est brisé; chaque épreuve faisait jaillir le chant des lèvres de David. Lui seul, par l'aveu de son péché, a su provoquer une renaissance spirituelle dans Israël. Ses chants ont dépassé les limites de son expérience personnelle. Selon la tradition, les trois lettres du nom d'Adam résument cette histoire:elles sont les initiales d'Adam, de David, du Messiah : ce qu'Adam a commencé, David l'a continué et le Messie l'accomplira. Parmi les psaumes, 73 portent la mention ``à David". La tradition juive, puis la tradition chrétienne, mettront l'ensemble du livre des psaumes sous son patronage. Les textes les plus anciens présentent David comme un musicien. Après l'Exil est affirmé son rôle d'organisateur du chant liturgique,dans le livre d'Esdras par exemple :

Le témoignage du Nouveau Testament va dans le même sens. Dans une discussion avec les Pharisiens, Jésus cite le psaume 110 en précisant ``David lui-même inspiré par l'Esprit-Saint a dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur `siège à ma droite'" ; la tradition des pères a largement repris cette attribution collective.
Si David, personnage emblématique du royaume d'Israël, tient une telle place dans le psautier, c'est parce que ce dernier est avant tout le mémorial d'un peuple. A chaque étape critique de son histoire, Israël a su trouver dans le passé un souvenir dynamisant pour l'avenir. Le psautier s'est composé avec l'histoire du peuple. L'Exode et la royauté en sont deux exemples éclairants. L'Exode est d'abord célébré comme intervention de Dieu. C'est Lui qui ``a pris Israël d'Egypte"(Ps 80,9). La libération des fils d'Israël est reconnue comme un miracle accompli en considération ``de la parole sacrée et d'Abraham,son serviteur". L'Exode est également célébré comme mémorial de la constitution du Peuple Saint, ce qui n'interdit pas l'évocation des premières manifestations d'infidélité. Les événements de l'Exode sont racontés en détail ou seulement évoqués. Les plaies d'Egypte, le passage de la mer rouge, la marche dans le désert sont très présents.Ce n' est pas le cas de la révélation au Sinaï et du don de la Loi. Cet événement vers lequel convergent tous les autres épisodes de l'Exode est curieusement ignoré par les psaumes.Les psaumes royaux se réfèrent explicitement à la fonction royale et distinguent l'intronisation et l'avènement du jeune roi,son mariage son départ en campagne,son retour victorieux mais aussi sa défaite(Ps 89).Sont également mentionnés les événements de la royauté en Israël:la célébration de la royauté de David dans les psaumes 78 et 89 est une reprise de l'oracle dynastique de Natan dans le deuxième livre de Samuel:"Je te donnerai un grand nom comme le nom des plus grands de la terre.Je fixerai un lieu à mon peuple Israël,je l'y planterai,il demeurera en cette place,il ne sera plus ballotté et les méchants ne continueront pas à l'opprimer comme auparavant,depuis le temps où j'instituais des juges sur mon peuple Israël;je te débarrasserai de tous tes ennemis.Le Seigneur t'annonce qu'il te fera une maison.Et quand tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères,je maintiendrai après toi le lignage issu de tes entrailles et j'affermirai pour toujours son trône royal.Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils:s'il commet le mal,je le châtierai avec une verge d'homme et par les coups que donnent les humains.Mais ma faveur ne lui sera pas retirée comme je l'ai retirée à Saül,que j'ai écarté de devant toi.Ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant moi ton trône sera affermi à jamais.".Utilisés après la chute de la monarchie,ces psaumes n'ont pu être lus qu'en fonction de l'attente d'un Messie de la lignée de David.Le découpage même du psautier est fonction de cette lecture messianique.Les psaumes 2 à 32, 34-41à51-72,90 à 50 forment trois collections délimitées et déterminées par la présence de psaumes royaux,dont l'agencement interne fait intervenir le nombre 14,obtenu par l'addition des valeurs des lettres hébraïques DaViD, et le nombre 26, obtenu par l'addition des valeurs des lettres du tétragramme.
Ainsi voyons-nous que les sentiments exprimés par les psaumes, pour universels qu'ils soient, ne s'enracinent pas moins dans une culture et une histoire données. Nous le voyons, l'expression de cette histoire est appelée à dépasser ses limites historiques pour être lue comme une expérience universelle. C'est dire que le peuple élu de Dieu est profondément humain et que son expérience est appelée à s'étendre à toutes les nations. Mais n'anticipons pas : le Christ n'était pas né en 1000 avant lui-même...

C.P.


Article paru dans Sénevé


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