L'engagement chez Péguy

Romain Vaissermann


Cet auteur étant irrécupérable, nous ne proposons pas de causes pour lesquelles il faille militer ``suivant l'exemple d'un Péguy". Il n'a pas échafaudé de doctrine pragmatique, à la différence de Tolstoï (voir la non-résistance au mal par le mal), Gandhi (voir la non-violence) et Sartre (voir l'engagement). Par ailleurs, l'action de mettre en gage ne correspond pas nécessairement à une action et encore moins à une action valorisable. Tout dépend du pari, c'est-à-dire (de la nature) du contenu.


OEdipe et Pascal
Chronologiquement s'instaure d'abord une ère nouvelle depuis l'engagement jusqu'à l'éventuel désengagement. Péguy (p.351 du volume II des Oeuvres en prose complètes, Pléiade, 1988) désigne le début d'Oedipe-Roi par ces mots apposés: ``cette signification, cet engagement, cette promesse de l'ouverture". La mise en gage fait des signes; le pari veut du sens (c'est son voeu); ces sens composent le signe que le gage met dans le temps; ce signe dessine le réel auquel pense le parieur et auquel peut-être répond-il. Que risque-t-il ici ? Ce que hasarde tout envoi, tout début de communication - soit l'absence de toute réponse. Envoyer là-devant ; là, devant soi ; de l'avant, à l'avant. Dépêcher droit devant soi... une parole ou un autre signe, mais qui vaille pour promesse - où le je se projette tout entier, risquant risqué, c'est-à-dire risqueur (casse-cou). S'ouvrir au sens ; signifier l'ouverture ; mettre à l'épreuve d'un essai une signification ; ouvrir un sens. La vie ressemble à un théâtre . Péguy (p.678 du volume III, op. cit.) remarque que toujours déjà un engagement définit notre existence :

Puis (p. 679, ibid)

Le double agencement entre divin et humain, la connexion binaire nombre, énumère deux engagements réciproques. Le Metteur en scène et les acteurs sommes une troupe engagée, sans image ni métaphore, dans le temps historique. Qui voit même agit (puissions-nous seulement voir!) ; qui agit voit sous l'angle de la transformation le futur et son présent. Qu'importent les pièces jouées, tes tragédies à effet comique, tes farces incomprises etc ? Nous sommes mortels sur la scène de la vie ; notre texte mise sur du sens ; proférer notre rôle signifie déjà; actif ou muet, passif ou bien en monologue, tu engages l'acte, la scène, la pièce du Metteur en scène (le grand Prometteur, le Signifié par ``Dieu"). Et aussi bien : nous sommes l'engagement de Lui. Mieux : Lui et moi sommes mis mutuellement en gage au même endroit, au lieu de la rencontre déjà faite : ici-bas. L'engagement n'est pas chez Péguy, ni du côté de (chez) Péguy : il est partout et nulle part ailleurs. Axialement la Croix précise cette infinité locale. En s'engageant, le chrétien engage Dieu et en engageant Dieu le chrétien s'engage ; en engageant l'homme Dieu s'engage et en s'engageant Dieu engage l'homme. Le cadre est clos; mais clos sur Dieu et l'histoire, ça ouvre. La porte s'ouvre et ferme. Dieu et l'homme s'engouffrent dans l'âge de la communication. En voici l'histoire.


L'Oint et le grognard
Péguy recommence (p. 737-738, op. cit.):

La guerre ou du moins l'armée qui la prépare, qui la promet et la met en marche, peut surgir. Guerre entre ordre écrit (billet transmis du haut commandement) et voix réfractaire naturelle, entre slogan militaire (``rengagez-vous") et conseil d'ami expérimenté. Qui se rengage supplémentairement dans l'engagement qu'est sa vie - chacun son grade, anges et hommes - fait les frais, commence par commencer les sales besognes, à croire qu'on en finit pas d'être dérangé. Et puis, qui sait si les petits engagements ne font pas les grands, si les débuts ne valent pas un apogée ; est-ce que les intentions comptent vraiment plus ou autant que les actes ? On ose toujours davantage qu'on ne croit, parce que les hommes ne savent pas (ce) qu'ils font. Faut-il donc être soldat ? Du Christ ou contre Lui ; au propre ou au figuré ; combien de temps... Je ne sais pas. Gagez sur le fait qu'une armée seule décide de notre avenir, de notre position au combat (quel combat ? mêmes questions !), mettons de notre existence. Une idée vient : votre avenir vous définit (sociologiquement, historiquement, géographiquement...) et votre combat vous pousse à répéter que vous n'êtes ``jamais tranquille". Nous sommes l'homme de la situation ; Dieu en est le gradé. Engageons-nous de l'avant, mais surtout visons haut. En un sens nous formons déjà une armée. De quoi se plaindre ? Notre général a combattu pour mourir. Pourvu que les planqués se dégagent de leur cache ! Maugréons du bout des lèvres, par où l'humain parle au divin ; mettons notre sensibilité en gage, en branle - toi qui mises à la fois tremble de crainte et n'aies pas peur.
Pour n'avoir pas peur il faut savoir ; et le savoir est de l'avenir.

De toutes les façons que l'homme peut vouloir - corporellement (de la bouche, des épaules etc) ou en parole, par action ou par omission, formellement ou pas absolument - s'engager, le Christ sert d'imitation en somme ; et les Évangiles, d'instruction : jeter la pierre à la pécheresse, jurer n'appartenir pas aux disciples du Christ, convertir le monde semblent des tâches ou des erreurs connues, à moderniser. Reste que la Bible vous engage sur cette route vers l'autre surtout : elle nous engage, s'y engage, engage tout le monde. Oui je dis bien : pas que les rachetés mais eux aussi. Tous azimuts. Vraiment à condition d'avoir ``bonne volonté", le temps de ce travail engagé déborde. L'Écriture catholique parle de tous ; et surtout les dés de l'enjeu du monde ne sont pas pipés. L'armée prophétique alignée en bataillon ne milite, ne souffre ni ne triomphe de derrière les fagots. La course n'ira pas au plus rusé dialecticien, au plus fin théologien. La lutte se joue à armes égales, sur le plan temporel, dans le monde (on en-gage que ce qui n'a pas encore le statut de gage, ou bien l'on fraude). Les données initiales n'appartiennent pas à l'absolu.
A vous d'absolutiser si bon vous semble, d'ouvrir une série plutôt que de prolonger l'attente de ce que vous pouvez être. Bref (p.1382-1383, op. cit.), Jeanne d'Arc sait qu'

La sommation aux Anglais

R.V.


Article paru dans Sénevé


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