Il n'est pas rare d'entendre sur les ondes ou de lire dans les
journaux tel ou tel ``visionnaire éclairé'' parler des technologies de
l'an 2000, de la France de l'an 2000, voire de la génération de l'an
2000. La Tour Eiffel elle-même nous rappelle chaque jour combien
l'échéance est proche, comme si elle devait constituer une rupture
majeure dans nos existences. L'Eglise1 participerait-elle à ce
millénarisme ambiant, qui n'est pas sans en irriter plus d'un, en se
proposant de fêter le ``Jubilé de l'an 2000'' et de le préparer sur
une longue durée, trois années, chacune d'elles centrée sur l'une des
trois Personnes de la Trinité ? Quelle est l'unité d'une démarche qui
recouvre aussi bien la célébration de nombreuses confirmations
d'adultes, au printemps dernier, sur le diocèse de Paris, qu'une
réflexion sur l'endettement du Tiers Monde, l'acte de repentance de
l'Eglise de France à l'égard de la communauté juive ou
l'intensification du dialogue oecuménique ? Pour le comprendre, il
faut revenir à l'origine : l'enracinement du jubilé dans la tradition de
l'Ancien Testament.
Au chapitre 25 du Lévitique sont rappelés un certain nombre de
prescriptions faites par Dieu à Moïse relatives au respect des années
saintes. Tous les sept ans, la terre sera laissée en jachère : elle
``chômera un sabbat pour Yahvé'' ; toutes les ``sept semaines
d'années'', soit tous les quarante-neuf ans, aura lieu l'année
jubilaire : ``Le septième jour du dixième mois, tu feras retentir
l'appel de la trompe'' (yôbel) en hébreu. Trois ``actions
libératrices'' caractérisent l'année jubilaire : repos de la terre,
possibilité pour ceux qui ont été forcés de vendre leur patrimoine de
rentrer dans leur fonds, suppression des liens de servitude -une forme
d'esclavage pour dettes ayant cours chez le peuple juif, à laquelle le
jubilé met un terme. Le fondement de ces pratiques est la
commémoration de l'action libératrice opérée par Dieu, seul maître du
temps, de la terre et de la vie, libérateur de son peuple esclave en
Egypte : ``Si l'étranger ou celui qui est son hôte n'a été racheté
d'aucune manière, c'est en l'année jubilaire qu'il s'en ira, lui et
ses enfants avec lui. Car c'est de moi que les Israëlites sont les
serviteurs ; ce sont mes serviteurs que j'ai fait sortir du pays
d'Egypte''. (Lév. 25,55).
``Mais quand vint la plénitude du
temps...'' (Gal. 4,4)>
L'année jubilaire était une année de grâce : Dieu promettait de la
faire précéder de récoltes généreuses autorisant la pratique de la
jachère l'an suivant. Mais il semble que le jubilé soit resté un idéal
théorique jamais réalisé dans les faits. Or le Christ, inaugurant sa
prédication avec la lecture de la prophétie d'Isaie
(Is. 61,1-2) :``L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a
consacré par l'onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il
m'a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le
retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés et proclamer une
année de grâce du Seigneur'' proclame : ``Aujourd'hui s'accomplit à
vos oreilles ce passage de l'Ecriture''. (Luc 4,21). Jésus, par
l'Incarnation, entre dans l'histoire pour sauver son peuple et tous
les hommes et mène le temps à son accomplissement. Cet événement,
quelle que soit l'erreur commise dans sa détermination chronologique,
est devenu un point de repère historique unanimement reconnu. Il est
surtout au coeur de notre foi et c'est lui que nous sommes invités à
méditer et à vivre dans la reconnaissance à l'occasion de l'an 2000
(comme tous les jours de notre vie, mais praticulièrement intensément
à cause de la portée symbolique du chifre 2000).
Il est indissociable du mystère trinitaire : ``Par l'Esprit Saint, il
a pris chair de la Vierge Marie et s'est fait homme'', -mystère qui
est l'expression de l'amour du Père. Ainsi s'explique la démarche
choisie par l'Eglise catholique : appel à un approfondissement
doctrinal, mais aussi à une action libératrice à l'égard de
différentes formes d'asservissement ; endettement économique, haines
héritées de conflits et d'intolérances séculaires... C'est ainsi que
les célébrations prévues pour l'an 2000 en Terre Sainte et à Rome
devraient réserver une place toute particulière aux membres des autres
religions.
``Toute vie chrétienne est un pèlerinage vers la
maison du Père''. (Jean-Paul II)
Pourquoi avoir choisi de faire de 1999, dernière année de cette préparation, ``l'année du Père'' ? L'Evangile de Jean ramène sans cesse notre regard sur la relation qui unit le Christ au Père. Jésus, priant son Père, définit ainsi l'accomplissement de sa mission : ``La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ''. (Jn 17,3). Cette paternité de Dieu ne laisse pas néanmoins de soulever bien des interrogations : un Père qui n'a pas d'autre nom que celui de Père, dont le Fils unique est le ``frère d'une multitude de fils adoptifs'' ne peut être entièrement connu par analogie avec la paternité humaine. Reconnaître en Dieu ``notre Père'', c'est également redécouvrir le monde comme don reçu, confié à notre propre créativité et accueillir son pardon, source libératrice d'un véritable amour filial et fraternel. Comme en 1997, année du Fils et en 1998, année de l'Esprit, le thème de l'année à venir pourra donc être l'occasion de progresser dans la compréhension du mystère trinitaire mais aussi de redonner sens à la vie sacramentelle : après le baptême et la confirmation, c'est le pardon que nous sommes invités à recevoir.
``Jubilerons'' nous cette année ? Peut-être cette démarche est-elle capable d'apporter une dimension véritablement catholique - universelle- à notre propre foi. Il ne s'agit pas de conjurer d'éventuelles angoisses supersticieuses ni de créer artificiellement un événement médiatique mais bien plutôt de rendre grâce pour la Révélation et l'histoire dont nous sommes héritiers (Jean-Paul II nous appelle particulièrement à prendre conscience du dynamisme insufflé par le concile Vatican II et à être ouvert aux inspirations de l'Esprit Saint.). Comme tout événement de l'Eglise, il ne prend sens que vécu de l'intérieur. Y participer ou non relève de notre liberté... d'enfant de Dieu ! Dans tous les cas, nous y sommes conviés.
N.B. : Le Père Armogathe nous propose de nourrir notre réflexion au cours du week-end des 20-21 novembre sur le thème : ``au nom du Père``.
Article paru dans Sénevé
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