Saint François d'Assise

Marie Langlais



Il y a, dirait-on, autant de ``Saint François'' que de d\'ev\^ots du Poverello ; la figure du jeune converti assisiate suscite en effet des r\'eactions \'emotives, passionn\'ees et chacun imagine ``son'' François, tour \`a tour baladin de l'amour courtois - amour pour la myst\'erieuse Dame Pauvret\'e - po\`ete de la Cr\'eation et saint patron des \'ecolos, pr\'edicateur va-nu-pied, illumin\'e parmi tant d'autres. La multiplicit\'e ``des'' François qui d\'ecoule de cette relation personnelle que beaucoup entretiennent avec lui n'est pas une nouveaut\'e. Dans les ann\'ees qui suivirent imm\'ediatement la mort du saint, une telle abondance de `Vies' fut produite que le Sup\'erieur de l'ordre dut imposer une biographie officielle unique, plut\^ot que de voir chaque fid\`ele inventer un François conforme \`a ses d\'esirs. L'unit\'e de l'ordre \'etait semble-t-il \`a ce prix. S'il y a ici de quoi d\'ecourager l'historien, le croyant au contraire y trouve son compte : il ne peut qu'\^etre intrigu\'e par la profonde sympathie que saint François d'Assise est capable d'inspirer encore aujourd'hui1. Au long de sa vie terrestre, il suscitait d\'ej\`a chez ses premiers compagnons une affection si vive qu'imitant les disciples du Christ, beaucoup quitt\`erent tout du jour au lendemain pour suivre la voie exigente dont se faisait l'\'echo le fou de Dieu. C'est bel et bien une s\'eduction profonde que François exerce, une s\'eduction sensible, humaine, litt\'eralement charmante : les Fioretti en t\'emoignent quand ils nous rapportent une pr\'ediction parmi d'autres, \`a Bologne :




``... et ses paroles toutes c\'elestes paraissaient des fl\`eches
aigues qui transperçaient les coeurs des auditeurs si bien que
pendant cette pr\'edication une multitude d'hommes et de femmes se
convertirent \`a la p\'enitence. Il y eut parmi eux deux nobles
\'etudiants (...) ils vinrent \`a Saint François et lui dirent
qu'ils voulaient absolument abandonner le monde et \^etre de ses
fr\`eres.''



Les paroles de François s'adressent moins \`a l'intelligence qu'au coeur. De cel\`a il ne faut pas conclure que François est un th\'eoricien de la ``docte ignorance''2.



Mais François parle au coeur, aux individus, \`a chacun et chacune de ceux qui l'entourent et qu'il connaît par leur pr\'enom. Sans vouloir b\^atir une opposition mal fond\'ee, on ne peut que souligner le contraste qu'il y a entre la correspondance ``administrative'' d'un saint Ignace et la correspondance toute affective d'un saint François ; ce dernier se pla\^{i}t \`a trouver des surnoms, appelle Fr\`ere L\'eon ``petite brebis du bon Dieu'', noue avec chacun des relations intimes et sans froideur. Ce serait une erreur de faire de saint François l'ap\^otre d'un amour trop sensible, et pourtant ; les privations ne sont pas chez lui les p\'enitences d'un asc\`ete tendu dans l'effort mais les signes de la tendresse qui l'unit au Christ ; le maigre repas o\`u des fr\`eres partagent des restes mendi\'es devient le festin du Pauvre invit\'e au banquet de l'amour fraternel.



François n'est pas un saint triste, r\'etr\'eci par les mortifications, rigide \`a force de rechercher la perfection. Il sait se m\^eler aux foules bruyantes, c\^otoyer les humbles, les interpeller. Et le secret de cette proximit\'e toute fraternelle avec ceux qu'il rencontre r\'eside dans la proximit\'e, v\'eritablement fraternelle elle aussi, dans laquelle il vit avec J\'esus.




``...quelques fr\`eres qui vivaient avec lui connurent comme il avait
chaque jour et continuellement J\'esus sur les l\`evres, avec quelle
suavit\'e et quelle douceur, avec quelle tendresse, il s'exprimait sur
J\'esus, et comment sa bouche en parlait, pleine d'amour, de
l'abondance du coeur ; car, lorsqu'il prononçait le nom de J\'esus,
la source de son amour embras\'e emplissait le plus intime de son
\^etre et bouillonnait au dehors. Toujours il portait J\'esus dans son
coeur, J\'esus dans sa bouche, J\'esus dans ses oreilles, J\'esus dans
ses yeux, J\'esus dans ses mains, J\'esus dans ses autres membres.''



Devant tant d'amour, et un amour si volontiers partag\'e et accueillant, nous ne pouvons que nous \'emerveiller ; d'autant que nous croyons que François, aujourd'hui aupr\`es du Pauvre crucifi\'e, continue \`a faire preuve d'une tendresse aussi d\'elicate pour chacun de nous.

L'\'eternit\'e n'a pas fig\'e ou refroidi ce tendre amoureux. Cessons d'\^etre d\'erout\'es par les visages contradictoires du s\'eduisant François ; go\^utons bien au contraire le bonheur de partager son amiti\'e et sa compagnie.

M.L.

Article paru dans Sénevé


Retour à la page principale