Messes en prison
Bénédicte de Montlaur
" Heureux les pauvres de coeur car ils verront Dieu " : cette
béatitude méditée sur la route d'Assise s'applique particulièrement bien
aux prisonniers de la Santé. La souffrance morale est une occasion pour
Dieu de se montrer à nous ou bien pour nous de chercher un fil directeur,
quelque chose de vraiment solide, qui ne soit pas aussi ténu que tout ce à
quoi nous tenions auparavant et qui s'est évanoui laissant place à cette
souffrance et ceci se vérifie chaque dimanche à la prison de la Santé. Il
est en effet surprenant quand on arrive pour la première fois dans ces
lieux de constater combien sont nombreux les prisonniers (qu'on aurait
trop souvent tendance à considérer comme des hommes sans foi ni loi) à se
rendre à l'office dominical : une dizaine de messes sont célébrées en fin
de semaine ! La convivialité des messes -contrastant agréablement avec
l'ambiance glaciale de la prison- explique certes en partie cette
affluence, cependant il apparaît également clairement que beaucoup sont là
pour prier ensemble et vivre leur Foi .
Notre rôle : une simple présence
Pourquoi créer un jumelage entre l'aumônerie de cette prison et
celle de l'ENS ? En effet nous ne faisons rien là-bas : nous consacrons
tout juste deux heures de notre dimanche matin à peu près une fois par
mois -ou plus pour ceux qui le souhaitent- aux prisonniers (à peine plus
de temps qu'il n'en faudrait pour remplir de toute façon l'obligation
dominicale du parfait petit tala ! ). Néanmoins pour les prisonniers c'est
une véritable bouffée d'air frais que nous leur apportons.
Le père, malgré sa grande disponibilité n'a pas assez de temps pour les
écouter tous et ils aiment donc discuter avec nous de l'actualité ,
converser dans leur langue si possible (dans certains quartiers il y a
beaucoup d'étrangers) et, il faut bien le dire aux filles, subir une
présence féminine pendant deux heures dans ce lieu exclusivement masculin.
Il arrive fréquemment qu'ils nous demandent de menus services ou qu'ils
veuillent tout simplement correspondre avec nous : rompre ainsi la
monotonie de leur quotidien leur procure un grand plaisir et ils
répondent d'ailleurs avec un tel empressement qu'il est souvent difficile
de suivre le rythme... Enfin il est important pour tous ces prisonniers
qui se sentent très isolés mais peut-être tout spécialement pour ceux qui
viennent là comme ils iraient prendre un café de voir que d'autres
personnes se préoccupent de leur sort et prient avec eux pour leur
libération mais aussi pour plus de paix et de justice dans la prison comme
au dehors.
Une expérience source de malaise mais aussi de richesse
Aller à la messe de la prison de la Santé ce n'est évidemment pas
comme se rendre à Saint Etienne du Mont (d 'abord c'est plus loin...) .
Surtout la première fois il est difficile de rester indifférent à
l'ambiance du lieu : toutes ces grilles que l'on ferme derrière vous, ces
gardiens qui n'ont pas nécessairement l'air sympathique , ces murs aux
peintures écaillées, l'étroitesse des cellules... Après avoir montré patte
blanche à l'entrée, on commence par réciter avec le père un " Réjouis toi
Marie " en souvenir du dernier prisonnier passé sur l'échafaud puis il
faut s'improviser décorateurs avec force tableaux et posters pour faire
d'une cellule ou d'une salle de réunion une chapelle. Avant la messe tous
discutent : certains vous raconteront qu'ils attendent ici d'être jugé
depuis plus d'un an et qu'ils sont innocents, d'autres se plaindront de
la captivité, de l'absence de leur famille souvent à l'étranger mais la
conversation tourne le plus souvent autour des événements extérieurs et ce
que vous faites, vous, et finalement si vous revenez régulièrement ils
finiront par vous demander vos nouvelles comme on ferait avec un vieil ami
: avant même la messe on a déjà oublié que l'on était en prison. Ensuite
vient la célébration : ces messes se déroulent en général dans une
ambiance très festive : beaucoup de chants (plus ou moins justes) en
africain ou en français, tous se précipitent pour lire d'une voix souvent
hésitante les passages bibliques du jour. Les messes rassemblent toujours
des petits groupes et le père en profite pour faire participer l'assemblée
et poser des questions ( il est parfois embarrassant de ne pas pouvoir
répondre sur des points pourtant basiques ! )
Si ces célébrations en prison ont également un caractère tout
particulier peut-être est-ce dû aussi à l'aumônier qui rayonne
véritablement de bonté : il écoute chacun attentivement, prodigue des
conseils, prend leurs commissions, apporte gâteaux, chocolats ou menus
présents lors des fêtes... Ceci sans toutefois se leurrer sur la réalité
de la prison : il s'est fait voler plusieurs fois des affaires au cours
des
célébrations et nous précise bien les précautions à prendre lors des
contacts avec les prisonniers ( par exemple ne pas donner son adresse...).
Cet aumônier représente vraiment la charité en action : il met en oeuvre
l'amour du prochain sans toutefois tomber dans la naïveté. Il est
particulièrement édifiant et touchant de l'entendre leur parler de la
captivité, du mal, du péché et de l'amour du Christ et leur dire qu'ils
sont des pécheurs comme tous les autres hommes.
Notre situation est en effet assez délicate car même si l'on oublie vite
que ces hommes sont des prisonniers, si l'on parle librement avec, il faut
toutefois se montrer prudent et on ressent un malaise certain en se
retrouvant seul de l'autre côté des barreaux une fois la messe achevée.
Un baptême en prison
Je tiens pour finir à raconter la dernière messe à laquelle j'ai
assisté à la prison de la Santé. Quand je suis arrivé on m'a dit que Mgr
Bourgeois (évêque à la retraite) allait baptiser l'un des prisonniers et
que de semblables cérémonies avaient lieu dans d'autres cellules ce même
jour. Ce fut très émouvant et très fort de voir et d'entendre cet homme
qui s'était converti en prison. Le bonheur se lisait dans ses yeux et il
avait appelé amis prisonniers et visiteuses de prison pour être témoins de
son baptême et de sa Foi. Encore une fois j'ai retrouvé une ambiance bon
enfant puisque nous avons ensuite festoyé autour de quatre-quarts et de
bouteilles de Banga.
Ces baptêmes ont été la preuve que l'Eglise a vraiment un rôle à
jouer en prison, lieu où l'on ne s'occupe que de satisfaire les besoins
matériels vitaux. Les aumôniers d'ailleurs apportent non seulement un
soutien spirituel mais luttent aussi pour l'amélioration du quotidien de
ces hommes. Il faudrait d'ailleurs penser à collaborer avec les autres
communautés religieuses qui ne sont pas très présentes alors que tous ceux
que nous rencontront nous disent combien la religion a transformé leur vie
en captivité.
En définitive il ne faut donc pas s'attendre à faire quelque chose
de fabuleux en assistant à une messe en prison mais il est certain que
c'est une expérience enrichissante et une manière différente de
sanctifier le Jour du Seigneur qui pourrait être profitable à tous !
B.d.M.
Article paru dans Sénevé
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