Une présence en prison

Damien Thiriet


Tout comme dans le cas de Bénédicte, ma première messe à la maison d'arrêt de la Santé a été assez impressionante. L'idée de rendre visite à des détenus correspondait tout à fait à ce besoin impérieux qui m'animait : me remuer un peu, après trois années de léthargie préparationnaire. Je m'étais donc inscrit avec enthousiasme. Pourtant, mon premier contact avec la prison m'a laissé une grande impression de malaise. Malaise de me sentir pénétrer dans un monde dont j'ignorais tout. Malaise devant ces vieux murs de pierre, ces couloirs étriqués, cette sensation d'enfermement qui m'a envahi dès mes premiers pas. Malaise devant les filets disposés au premier étage de la tour, que j'attribuais à la prévention des suicides. Malaise d'être bien habillé, en "bourgeois", face à ces hommes vétus de vieux survêtements. Malaise, donc, de sentir la misère de ces hommes, comme ce sans-papier chinois qui venait de perdre un deuxième enfant, mort de froid comme le précédent. Malaise qui a fait que j'ai failli me trouver mal en lisant la deuxième lecture. Malaise, enfin, aggravé par le plus sordide des hasards : une fois sorti, en traversant la première rue, je tombe sur une ambulance et des policiers. Sur ma gauche, à dix mètres, au bord du trottoir une couverture masque un corps. Mais pas la rigole de sang qui s'én échappe.

Pourquoi, donc, pourquoi, malgré un tel mal-être, suis-je retourné tous les quinze jours à la maison d'arrêt, et avec plaisir, une fois passé ce premier choc ?

Parce que ma crainte d'être mal reçu s'est vite dissipée. Dès la fin de ma première messe, une discussion avec deux détenus de la même cellule - ces parallèlépipèdes de deux mètres de large, six de fond, deux et demi de haut, où loge un détenu dans les blocs, mais quatre à six dans les quartiers - a levé toutes mes angoisses, ou presque. Leur spontanéité pour venir à ma rencontre, le petit service qu'ils m'ont demandé - acheter des gauloises - leurs questions ( quel temps fait-il dehors ?, etc. )m'ont fait comprendre qu'un geste aussi insignifiant que d'aller à la messe avec eux avait beaucoup de prix pour eux. D'autant qu'ils n'ont cessé de me dire combien il leur était important de savoir que, dehors, des gens pensaient à eux.

Si bien que l'expérience que j'ai vécue s'est avérée très enrichissante. Voir que les prisonniers appréciaient mon animation musicale, malgré les fausses notes, suffisait pour que je me plaise à ces messes ( la plupart du temps, j'allais dans le Quartier haut avec le Père Philippe, donc avec une assistance différente de celle du Quartier bas, dont a parlé Bénédicte plus haut ). Bien sûr, tout n'est pas parfait, loin s'en faut : rares sont les détenus avec qui j'échange plus de quelques mots. Mais le fait qu'à la longue, trois ou quatre m'ont demandé quand je reviendrais montre que mon geste, tout limité qu'il est, n'est pas inutile.

Surtout, ce que j'ai rencontré, à la Santé, c'est une communauté, au sens fort du mot. Cela se sent dès les premiers instants, à travers les poignées de main souriantes échangées à l'entrée de la messe. La prière universelle est aussi un temps fort : à travers les intentions libres, chacun fait participer les proches, ceux qui sont dehors ; de temps en temps, un détenu adresse une intention pour son voisin malade. Et le Père y associe aussi les anciens détenus. Enfin, il y a le signe de paix, que l'on s'échange chaleureusement.

De ma demi-année d'assistance à la messe, c'est surtout cela que je retiendrai : l'existence d'une communauté, par-delà les différences de langue, de religion ( la particularité de la messe à laquelle j'assiste est de compter des bouddhistes et des musulmans parmi ses fidèles ) et le turn-over des prisonniers.


Comment ca marche ?
Les messes de la maison d'arrêt de la Santé sont assurées par trois prêtres, les pères Loic, Hervé et Philippe. Ceux-ci se répartissent les différents secteurs de la prison. Une fois franchie la petite cour où fut exécuté Jacques Flesch, on peut aller dans les quartiers ( haut et bas), les plus peuplés et les plus pauvres, ou bien dans les blocs, qui offrent un meilleur confort à leurs détenus, souvent plus aisés ou importants. Les messes ont lieu le samedi matin ( 2 messes ) ou le dimanche matin ( 6 messes), en fonction d'un planning dont le principe de base est : pas plus d'une personne extérieure par messe, car les visiteurs sont encore trop peu nombreux pour que chaque messe bénéficie de cette présence extérieure.

Enfin, on notera que les détenus essaient de mettre en place une vente de pièces d'échecs (300 F), pour aider des détenus malgaches.

D.T.

Article paru dans Sénevé


Retour à la page principale