Ressusciter la chair

Cécile Frolet


Résurrection de la chair... Une bien étrange idée qui a germé là dans la tête de notre Dieu... Qu'a-t-il voulu nous faire comprendre par cette bizarrerie qui en plus n'appartient qu'à la foi des chrétiens ? C'est vrai que c'est quand même étrange quand on s'y arrête une seconde. Résurrection de la chair. La chair ? La chair, oui, ce par quoi nous sentons, ce par quoi nous existons, ce par quoi nous aimons. La chair, notre matérialité sur cette Terre. Et ressusciter la chair, c'est quand même un pari audacieux, c'est aussi ressusciter l'homme dans ce qui le fait homme, avec ses travers, ses imperfections, ses maladresses, ses manques. Alors pourquoi ? Pourquoi ressusciter, faire naître une deuxième fois ? Dieu ferait-il le pari que cette chair de tous les vices pourrait devenir essentielle, voire indispensable ? Ne pas ressusciter la chair, serait-ce ressusciter l'homme à moitié ? Que cela signifie-t-il ? Que Dieu nous aime malgré nos imperfections, avec aussi ce qu'il y a de plus beau en nous ?


Cette constatation est vertigineuse, puisqu'elle nous invite quand même a considérer autrement ce corps qui est le nôtre, avec un peu plus de respect sans doute. Puisque sa valeur est telle qu'il va même ressusciter, peut-être cette foi en la resurrection est-elle aussi foi en nous, en notre valeur, en l'importance de notre être-là. Finalement, cette constatation est même une invitation à vivre, dans notre corps, par notre corps, avec notre corps. L'Évangile prend donc à contre-pied nos idées sur la mort en y introduisant ce qui pour nous caractérise la vie. La résurrection, c'est la vie redonnée. Finalement, la résurrection devient complètement paradoxale pour notre entendement, puisqu'elle contredit l'idée que nous nous faisons de la mort, mais pas l'idée que nous nous faisons de la vie!


Voilà. Toute seule je ne vais pas aller bien loin dans la réflexion, alors je me plonge maintenant dans François Varillon et plus particulièrement l'article de Joie de croire Joie de vivre consacré à la résurrection de la chair (pp 173-191 éd. Bayard/Centurion). Ceci vise surtout à vous donner l'envie de le lire.


La chair
La chair, sans réfléchir, à première vue, c'est le corps, ce qui n'est pas notre âme en gros. Tout, en fait. Pourtant, on ne parle pas de resurrection du corps, mais bien de resurrection de la chair. Que signifie cette distinction ? La chair, en Hébreu, c'est «l'homme tout entier avec sa faiblesse et sa fragilité mais aussi avec son enracinement dans la nature, dans un milieu, dans sa race. La chair inclut toutes les relations avec les personnes et les choses.» Et nous tout entiers, nous vivons dans et par le monde. Nous sommes un bout du monde (en tant que somme de molécules terrestres, mais aussi en tant qu'entités participantes), nous en sommes solidaires. La foi en la résurrection de la chair, c'est la foi en la résurrection du monde. Et c'est le corps qui est notre rapport au monde. Ce corps par lequel nous parlons, nous échangeons une poignée de main, nous voyons... «Le corps fait essentiellement partie de notre être. (...) L'existence humaine est corps et âme. L'âme n'est jamais sans le corps ; le corps n'est jamais sans l'âme ; le corps et l'âme ne sont jamais sans le monde.» Alors, la résurrection de la chair, c'est la résurrection de ce qui dans la chair peut nous faire éprouver la relation dans son sens le plus fort. En effet peut-on imaginer une relation de deux purs esprits ? Deux purs esprits peuvent évoquer des concepts, de purs objets de l'esprit. Mais peuvent-ils s'engager dans une relation de don telle que la relation d'amour ? Non, parce que pour se donner il faut un quelque chose par quoi se donner, en l'occurrence un corps. C'est quand notre chair est mise en relation que nous sommes en relation, qu'il y a relation et donc qu'il peut y avoir amour.


Le Christ, Dieu venu en notre chair
C'est quand même un sacré mystère. Après nous avoir crées finis et nous avoir imposé ce terrorisme perpétuel que constitue la mort, Dieu se fait homme. Il vient partager notre mortalité. Quel paradoxe ! En venant dans notre chair et en mourant, Dieu se fait homme. En ressucitant, également dans sa chair, Christ fait l'homme Dieu. Par son incarnation, Dieu nous propose une divinisation, de devenir semblables à Lui (1Jn 3,2). Avant sa mort sur la croix, le Christ est «mort à toutes les limites qui constituent un homme et à tous les péchés qui replient l'homme dans ces limites». Mais nous, mourrons un petit peu tous les jours. D'égoïsme. La résurrection de Jésus, le tombeau vide, c'est le signe d'une liberté parfaite, d'une vie d'amour, sans péché. «Le corps mort de Jésus c'est la Vie même, l'accomplissement, et, du même coup, la révélation de la liberté.» Dieu ne sauve pas l'homme pour en faire un surhomme, mais pour en faire un homme nouveau. C'est non seulement dans son humanité que l'homme est sauvé, mais c'est cette humanité même qui est sauvée. Sans la résurrection de la chair, ce ne serait pas l'homme qui serait sauvé dans la résurrection.

C.F.

Article paru dans Sénevé


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