L'on s'étonnait de l'arrêt du chantier de construction du musée Jean-Robert Armogathus à Marseille. Depuis que la truelle d'un maçon a cogné le coffre d'une armoire enfouie sous une couche de goudron, les autorités municipales sont intervenues pour interrompre les travaux et organiser des fouilles archéologiques. Ces recherches, menées par l'historien médiéviste Éric Vallet, ont porté des fruits bien plus beaux qu'on pouvait espérer, grâce aux nouvelles techniques de détection mises au point par le laboratoire de physique nucléaire du Pr.François Marion. C'est ainsi qu'ont été mis à jours plusieurs objets qui confirment la thèse selon laquelle le site du musée fut bien le lieu où demeurait l'abbé lors de ses passages à Marseille. L'on a pu exhiber d'autre part les vestiges du bureau de l'abbé, notamment un fichier très complet de ses nombreuses connaissances ; ainsi il est désormais possible de retrouver des témoins plus nombreux de son séjour parmi nous.
Le codex armogathus
C'est cependant un objet des plus discrets qui retient l'attention de tous les chercheurs : l'équipe du Pr.Vallet se penche actuellement sur les quelques fragments d'un codex retrouvé dans une couche archéologique postérieure aux temps de l'abbé, ouvrage que l'on attribue à l'un de ses nombreux disciples.
L'auteur, anonyme, pourrait rappeler un Vincent de Beauvais par son style si proche de celui du Speculum Historiale, ou un Jacques de Voragine et sa Légende dorée. Mais il s'en distingue par un sens plus aigu du rationnel, une tendance moins forte à céder aux tentations du merveilleux. Ce récit hagiographique est une pièce de grande valeur pour l'issue du procès en canonisation de l'abbé Jean-Robert.
Cinquante miracles
L'auteur annonce, dans le prologue de son ouvrage, le récit de cinquante miracles. Le corpus étant malheureusement incomplet, nous ne disposons que de six petits récits. Parmi ces textes, deux nous sont quasiment perdus, dans la mesure où le corps a disparu et ne reste que leur titre. Cependant la précision des intitulés est suffisante pour nous faire part de l'essentiel. Dès-lors il s'agit d'une grande découverte qui renouvelle l'historiographie armogathienne. Les équipes de recherche marseillaises ne désespèrent pas, d'ailleurs, trouver bientôt de nouveaux feuillets, qui complèteraient ainsi nos sources d'étude de la vita armogatha.
Nous publions ici quelques extraits du fragment retrouvé, la
traduction française est de Marie Langlais, qui vient de publier une
Anthologie de spiritualité franciscaine aux éditions de l'École
des Chartes.
Ici commence le premier livre du Bienheureux Apôtre Jean-Robert. Cinquante miracles. L'argument est du bienheureux pape Jean-Paul IV.1
Le Bienheureux Apôtre Jean-Robert irriga par l'enseignement d'une sainte prédication la rudesse des talas2 ; pour la déraciner de fond en comble, il distilla mille conférences et sermons, pléthore de citations, et - ouvrier de tant de vertus dans l'exil de cette vie présente - il fut exalté par la volonté divine. Ses miracles que nous avons appris par certaines personnes, après en avoir recherché leur véracité, nous les avons exposés de façon sobre et nette dans la suite de ce livre, pour qu'ils soient connus de ceux qui viendront dans la suite des temps.
- De Jean-Marie, évêque parisien dont l'Apôtre n'avait qu'à prononcer le nom pour qu'il l'appelle au téléphone.
Aux temps des bienheureux Xavier, Édouard, Marie-Ben et Cécile, l'abbé
manifesta une fois de plus sa bonté en invitant les conscrits à
partager avec lui le pain de sa table et le vin de sa cave. Les jeunes
gens, intimidés, écoutaient avec émerveillement l'Apôtre leur faire le
récit de ses oeuvres : ses trente-huit licences et ses huit thèses,
son apostolat de serviteur du Seigneur à la Schola practica summorum
studiorum, ses périgrinations dans le Quartier latin, auprès des
écoliers de l'Université puis ceux de l'École normale supérieure. Or,
comme le bienheureux Jean-Robert leur peignait sa mission auprès de
l'archevêque de Paris, l'éminent Jean-Marie, une sonnerie se fit
entendre. L'évêque appelait l'Apôtre au téléphone. Ainsi l'abbé
Jean-Robert pouvait communiquer à distance avec son supérieur, en
prononçant simplement son nom.
Les talas ne savaient que penser devant tant de grâces et de bienfaits. Les plus incrédules devaient se convertir un peu plus tard, dans une région sanctifiée elle aussi par la présence de leur aumônier.
- De dix-huit talas qui, sans abri pour la nuit lors de leur arrivée à Châtellerault, purent passer la nuit dans la chaleur d'une famille rencontrée par l'Apôtre.
Quelque part en Touraine, dans la cité de Châtellerault, comme la fureur des éléments grandissait de plus en plus et les nuages annonçaient la pluie, un certain prince appelé Édouard, voyant que ses sujets risquaient de passer la nuit dans la rue, menacés par l'insécurité qui sévit encore de nos jours, se mit à invoquer les prières de l'abbé.
- Jean-Robert, généreux Apôtre de Dieu, toi qui remédies aux situations critiques des opprimés avec bienveillance et par devoir d'affection, que la main de ta consolation se tende vers ceux qui gémissent d'une insécurité si inouïe. Hâte-toi de nous faire trouver un abri pour cette nuit pluvieuse et sans lune.
Le bienheureux Jean-Robert, à peine eut-il entendu ces voix
désespérées, les rassura de son ton si paternel en leur parlant ainsi :
- Voici devant vous ceux qui vous abriteront cette nuit.
En effet apparurent à leurs yeux les membres si aimables de la famille Bellin, qui les accueillirent chez eux pour la nuit. Les talas réconfortés et réchauffés purent donc louer le Seigneur Jésus, lui qui n'abandonne pas ses serviteurs et les comble de bénédictions par l'intermédiaire de son Apôtre.
Ainsi s'accomplissait cette parole du Seigneur et Maître : " celui qui croit en moi, ce que je fais, il le fera aussi, et il fera encore des choses plus merveilleuses. " et d'autre part : " tout est possible à celui qui croit. "
- Des vingt-huit vocations que l'apostolat de l'abbé Jean-Robert favorisa en vingt-huit ans de présence chez les talas.
- De la cave inépuisable de l'abbé.3
- Du pélerinage du Padre à Compostelle.
Par ce miracle du bienheureux Jean-Robert, il est prouvé que les Saintes Écritures disent la vérité quand elles affirment que le Seigneur n'abandonne jamais les siens, et que ses voies sont impénétrables.
Il nous est rapporté donc que le père Jean-Robert avait fait voeu de se rendre en visite à la maison de saint Jacques pour ses cinquante années passées en ce monde. L'accompagnait un de ses disciples, Benoît, qui témoigne aujourd'hui, et son témoignage est véridique.
L'Apôtre et lui durent subir la dure épreuve du déluge, mais jamais il ne désespérèrent retrouver la lumière du soleil. La foi illuminait leurs coeurs quand les nuages assombrissaient le ciel. Mais les obstacles ne se limitaient pas à cette mise à l'épreuve de sa confiance en Dieu.
L'Apôtre dut encore supporter les souffrances de sa jambe gauche infestée par le mal. Cependant le supplice même ne sut l'arrêter dans son pélerinage à Compostelle. Et, franchissant ces obstacles, l'Apôtre et son disciple parvinrent à bon port, sous la protection du Bienheureux Jacques.
Cela a été accompli par le Seigneur et à nos yeux c'est
admirable. Voilà ce que le Seigneur fait : réjouissons-nous
en. Car :" Qui pourra nous séparer de l'amour du Christ ? la détresse
?
l'angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le
supplice ? "4
Le miracle de sa jambe qui marcha malgré la paralysie nous montre que celui qui promet quelque chose à notre Seigneur doit l'acomplir jusqu'au bout, de gaîté de coeur ; parce que celui qui fait dignement ce qu'il a promis, obtiendra le secours du Seigneur.
- Du miracle de la vallée de Chevreuse, comment l'Apôtre parvint à convertir trente-deux talas.
L'an de l'incarnation 1997, les princes talas avaient projeté de conduire l'assemblée des disciples de l'abbé Jean-Robert sur les lieux de naissance de l'hérésie janséniste. Mais comment les intéresser ? Comment surtout prêcher à des coeurs brisés par la fatigue, des corps trempés par la pluie, des esprits embués de sommeil, des âmes prises par les occupations de ce monde ? Il est bien connu de tous, aussi bien des ecclésiastiques que des laïcs qui habitent la rue d'Ulm, que les talas ne sont pas pourvus de toutes les vertus ; ils ne parviennent pas toujours à renoncer aux séductions d'ici-bas, pour suivre les commandements divins.
Mais le Seigneur leur envoya son Apôtre. Par un prêche éloquent mais compréhensible, il leur enseignait l'appel du Seigneur au jeune homme riche. Une exhortation à fuir les tentations d'ici-bas, sans pourautant tomber dans les rêts de la doctrine de Jansénius, pour se tourner vers l'étude et la pratique de la vertu, la prière et l'aumône. Qui aurait cru que le sermon porterait ses fruits ? c'est devant le nombre invraisemblable de talas inscrits à la retraite chez les moines de Saint-Benoît-sur-Loire, que les quatre princes crurent.
(...)
Cela a été fait par le Seigneur et à nos yeux c'est admirable. Que l'honneur et la gloire soient toujours pour le Roi des Rois et pour les siècle des siècles. Amen.
Lacunaire, mais décisif.
La publication de ce codex lacunaire mais si précis et riche, vient
ajouter une pièce à conviction dans les dossiers du procès en
canonisation de l'abbé Jean-Robert. L'intervention de l'avocat du
diable, en effet, a semé le doute dans les esprits des membres de la
commission. Faut-il tenir compte des prétendus vices de l'abbé : son
penchant, dit une tradition, pour la bonne chère et les spiritueux, sa
tendance à multiplier les citations grecques et latines ? Faut-il
insister sur le fait que les vocations suscitées par son activité
apostolique furent exclusivement masculines ? Le codex vient appuyer
la thèse de sainteté, et donne l'exemple supplémentaire des nombreux
miracles de l'abbé Jean-Robert, dont certains nous étaient jusqu'alors
inconnus (ainsi, par exemple, de ses dons de télépathie, des
conversions très nombreuses de talas, de sa cave inépuisable ou de ses
nombreux pélerinages, occasions privilégiées de bénédictions pour ses
compagnons).
Pour certains, les feuillets sont faux et leur datation erronnée. Mais les techniques du laboratoire Marion ont maintenant fait preuve de leur fiabilité. Surtout, l'illustre Pr.Vallet assurait le Monde (article du 31 octobre) de l'authenticité du codex.
Dès lors, il ne reste plus à la commission pontificale qu'à tirer
toutes les conclusions de ce que la science démontre. Un nouveau saint
pour Marseille ? peut-être, mais surtout une deuxième canonisation
potentielle à l'ENS, puisque celle de Pierre Poyet semble également
dans le vent spirituel.
Article paru dans Sénevé
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