En quoi les miracles qui nous sont rapportés dans la Bible diffèrent-ils de tours de bateleurs destinés à "épater la galerie", de grandioses prestidigitations menées à bien avec des moyens divins ? C'est en examinant les cas où Dieu est confronté à des "magiciens" au sens propre que nous trouverons la réponse à cette question.
Comment la houlette de Moïse devint un sceptre de fer.
Tout comme Moïse, au livre de l'Exode, les magiciens de Pharaon ont su changer leur
bâton en serpent ; pourtant le serpent de Moïse ne fait qu'une bouchée
des autres reptiles, non que le Seigneur veuille se manifester comme
un magicien au carré, un "super-sorcier", mais parce que le prodige
opéré par Moïse a un sens, parce qu'il appelle un interprétation
différente du simple rapport de force constaté ; il s'agit d'abord de montrer
que Dieu est Dieu plutôt que Pharaon qui s'arrogeait ce rang au pays d'Égypte ; une autre
lecture de ce signe est aussi proposée par saint Augustin : " Le
bâton est le signe du règne ; le serpent, le signe de la
mortalité. Car c'est la mort que le serpent fit boire à l'homme
(Cf. Gn III, 1). Et cette mort, le Seigneur a daigné la prendre sur
lui. Donc le bâton arrivant à terre prit l'aspect d'un serpent, parce
que le règne de Dieu c'est-à-dire le Christ Jésus, est arrivé sur la
terre. Il s'est revêtu de la mortalité, qu'il a même fixée à la
croix. "
( Sermon VI, 7 ) L'évêque d'Anaba renvoie donc au mystère de l'Incarnation et de la
Croix comme au lieu d'où jaillit la lumière, à la source qui éclaire d'un jour inattendu le
miracle et le fait échapper à l'absurde, au simple déploiement de force.
Par la suite, le retour du serpent à sa forme première est assimilé à l'avènement du
Royaume, au moment où les hommes parviendront pour toujours à la vie éternelle que
leur a acquise le sang du Seigneur : c'est pour signifier la fin du monde que Moïse aurait
pris le serpent par la queue, là où se trouve la fin. De même, les serpents égyptiens
engloutis symboliseraient les nations païennes intégrées au culte du vrai Dieu par la
proclamation universelle de l'Évangile, désormais bénéficiaires de la Promesse faite à
Israël, placées à la consommation des siècles sous l'autorité vivifiante du Messie ( sermon
VIII, 3 ). Saint Augustin interprète ce miracle dans une perspective eschatologique,
comme signe prophétique d'une réalité ultime ; le Christ reste au coeur de sa démarche
explicative.
C'est donc dans les Évangiles que nous trouverons la clef du miracle biblique, en
précisant les grandes directions données par l'interprétation augustinienne.
Fluctuat nec mergitur.
On rencontre en effet dans les Évangiles des miracles qui, au premier abord, semblent
purement liés à l'affirmation de la divinité de Jésus, maître de la création au même titre
que le Créateur. Ainsi ses disciples murmurent-ils, une fois la
tempête apaisée : "Qui donc
est celui-ci, que le vent et les eaux lui obéissent ? " ( Marc IV, 37-41 ) En outre, les eaux
domptées manifestent la domination de Jésus sur les forces du mal, tout comme la mise en
jeu des éléments naturels, lors de la traversée de la Mer Rouge, révèle à la fois la
souveraineté de Dieu sur l'univers et sa volonté de sauver son peuple. N'oublions pas
qu'en se soumettant les ondes déchaînées Jésus sauve très prosaïquement ses disciples de
la noyade.
Le Royaume est parmi vous !
Les miracles de l'Évangile sont en fait étroitement liés à la mission salvatrice de Jésus et à
l'annonce de la Bonne Nouvelle du Royaume. Ainsi Jésus envoie-t-il conjointement ses
apôtres pour "proclamer le royaume de Dieu et soigner les infirmes" (Luc IX, 2). De
même, quand il envoie ses soixante-douze disciples, il déclare :
"Guérissez les malades (...) et dites-leur : Le Royaume de Dieu est
proche de vous ! "
(Luc X, 9). Cela nous
renseigne sur la nature de la Bonne Nouvelle et de cet énigmatique Royaume de Dieu ;
quand Jésus explique à ses disciples rentrés de mission qu'il leur a
" donné le pouvoir de
marcher sur les serpents et les scorpions et sur toute la puissance de l'ennemi " et que
" rien ne pourra (leur) faire du mal " (Luc X, 19), il leur révèle qu'il est venu leur
donner la victoire sur le péché et par là supprimer la mort corporelle. En effet, mort et
péché sont intimement liés, puisque la mort est le salaire du péché qui tue la personne
corps et âme. C'est en ce sens que Jésus accomplit la parole du prophète Isaïe (LXI, 1-2)
reprise par l'évangéliste Luc (IV, 18-19) : " L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il
m'a oint pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé guérir ceux qui ont
le coeur brisé, proclamer aux captifs la délivrance, aux aveugles le retour à la vue, libérer
les opprimés, proclamer une année de bienfaits de la part du Seigneur. "
Cette double libération n'en fait qu'une, libération du péché et de la mort physique ; elle
institue le Royaume proclamé par miracles, annonce à laquelle Luc est peut-être
particulièrement sensible comme médecin ; en effet les miracles du Nouveau Testament
sont gages et manifestation de la puissance de vie du Christ : les diverses guérisons, les
résurrections opérées par Jésus représentent des avances sur Sa propre Résurrection. Le
miracle de salut accompagne naturellement l'annonce du Royaume où finit toute mort : la
Vie est venue dans le monde pour se donner aux hommes, tel est le contenu de
l'enseignement de Jésus, leçon vivante appuyée sur des preuves, les miracles. La
prédication apostolique, après l'Ascension de notre Seigneur, complète ainsi le message
sous l'inspiration de l'Esprit Saint : la Vie venue dans le monde a tué la mort par sa mort
sur la croix et sa résurrection ; elle a détruit la mort dans sa cause essentielle, le péché : le
Royaume est arrivé ; mais il faut attendre la fin des temps pour qu'il atteigne sa plénitude
et pour que la mort soit détruite en fait : "En dernier lieu la mort sera détruite" , écrit
l'Apôtre dans sa première lettre aux Corinthiens.
Le miracle, arrhes de la vie ressuscitée, signifie à tous que le salut est déjà survenu et
manifeste une réalité encore cachée. Il puise toute signification dans la mort et la
Résurrection du Christ, et dans l'attente de son avènement glorieux ; en ce sens, les
sacrements par lesquels la Passion du Christ édifie et vivifie l'Église ne sont-ils pas des
miracles continus, particulièrement le Sacrement des Sacrements qui commémore
l'offrande du Christ sur la croix, gage et prémices de la vie éternelle, l'Eucharistie ? Saint
Paul, témoin de la foi des premiers chrétiens, affirme d'ailleurs le pouvoir de guérison du
Pain de Vie en écrivant qu'il y aurait moins de malades si les fidèles communiaient
dignement : ils retrouveraient la santé ! (I Cor XI, 30)
Voici que je fais toutes choses nouvelles.
Seul le Ressuscité donne sens au miracle, lui qui peut dire aux disciples en Galilée :
"Toute autorité m'a été donnée au ciel et sur la terre. " (Mt XXVIII, 18) Et de fait, la
création tout entière est saisie dans la Résurrection du Crucifié ; l'univers est totalement
renouvelé dans le nouvel Adam, après avoir été soumis au pouvoir du néant par le premier
Adam. Si les lois naturelles connaissent de profonds changements, c'est que les miracles
de Jésus annoncent l'ère nouvelle où le Christ recrée toute chose, Lui en qui et par qui
tout a déjà été créé ; pour faire des yeux à un aveugle-né, lui donner la vision qu'il n'avait
jamais eue, "il dit, cracha sur le sol, et de sa salive fit un
peu de boue qu'il ( lui ) appliqua sur les yeux" (Jean IX, 6).
C'est le geste même du Créateur qui, au livre de la Genèse,
façonne Adam avec un peu de glaise. Puis Jésus lui demande d'aller se laver au bassin de
Siloé, " ce qui signifie l'Envoyé ", tient à préciser l'Évangéliste ; or il s'agit d'un titre
messianique, et le bain auquel pense le Théologien est sans doute le Baptême, la plongée
dans la mort et la résurrection du Christ par laquelle les croyants revêtent le nouvel Adam,
l'humanité recréée conforme à la volonté du Père. Ainsi le miracle annonce les cieux
nouveaux et la nouvelle terre d'Isaïe et de l'Apocalypse ( XXI, 1 ), réalisés en Christ.
Voici le règne de notre Dieu, voici la puissance de son Messie ! ( Apocalypse XII, 10 ).
Le miracle apparaît donc dans les Évangiles comme un signe messianique lié à l'annonce
du Royaume de Dieu : les merveilles accomplies par le Christ et ses disciples, garantissant
la vérité de la Parole proclamée, appellent la Foi en sa puissance de vie. C'est dans le sang
de la croix que naît ce Royaume, c'est en mourant sur le bois que le Roi remporte la
victoire et nous rend la vie, c'est dans la gloire qu'il reviendra établir son Règne à la fin
des temps, lorsque tous ressusciteront en Lui, quand Dieu "récapitulera toutes choses
dans le Christ, celles du Ciel et celles de la terre" (Col I, 20). Tel est le mystère que crient
tous les miracles du Nouveau Testament, proclamant : "Il n'y aura plus de mort."
(Apocalypse XXI, 4).
Épilogue.
Quel fut donc le premier signe par lequel le Fils de David, le Sauveur, le Christ Seigneur,
se manifesta aux hommes ? Des anges de Dieu sont venus l'annoncer à ceux qui
couchaient dehors : "Vous trouverez un nouveau-né enveloppé de
langes et couché dans une mangeoire."
(Luc II, 12) Rien de merveilleux, me direz-vous. Mais voici le Tout-
Puissant emmailloté dans notre humanité mortelle, le Vivant s'offrant pour vivres, déjà
couché sur le bois ! La lumière de ce miracle sans éclat brille sur tous les prodiges de la
Bible, jusqu'à ce que le petit roi de Betléhem, exalté sur la croix, descendu au Schéol,
élevé dans la gloire de la résurrection, vienne écraser la mort et relever nos corps.
Article paru dans Sénevé
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