"CELA EST D'UN AUTRE ORDRE, INFINIMENT PLUS ELEVE."
Pascal, Pensée 793.
Le miracle me surprend, m'étonne, m'interroge. Il se caractérise
par son étrangeté provoquante. Et ma raison reste impuissante devant
l'interrogation qu'il pose : elle est dépassée, voire déstabilisée face
à cet événement qu'elle ne peut expliquer. Le miracle est en lui-même
et par lui-même indémontrable. Il apparaît alors dénué de toute
solidité réelle. Aussi n'est-il pas purement et simplement
insignifiant ?
Mais si je suis incapable de rendre raison du miracle, faut-il
pour autant que j'en induise une insignifiance? Pourquoi n'aurait-il
pas de consistance propre, de raison d'être, du seul fait qu'il
échappe à toute démonstration scientifique et philosophique ? Le fait
que le miracle ne soit pas thématisable est peut-être l'indice de son
prix. Pourquoi le définissable seul serait-il important ? Pourquoi ne
pas prendre le risque de quitter les bornes de ma raison et de
m'ouvrir au langage du miracle, de me mettre à son école ?
Une autre langue.
Si l'on veut interpréter ou étudier un miracle, on se trouve
d'emblée devant une difficulté de langage : le miracle ne se laisse pas
circonscrire par nos mots, par nos paroles. Il convient en effet de se
garder des faux essais d'explication pour ne pas ramener le miracle
aux critères humains. Il semble appartenir à un autre registre de
langage, parler une autre langue qui ne serait ni celle des savants ni
celle des philosophes. Il serait donc à distinguer du langage aussi
bien physique que métaphysique.
Fait exceptionnel, extraordinaire, le miracle m'invite à quitter
une façon habituelle de voir et de comprendre le monde, à changer de
regard aussi bien sur ma vie, que sur celle des autres hommes. Et si
j'accepte de me rendre réceptif, de me mettre à l'écoute, le miracle
m'apprendra une autre langue, une langue qui n'aura plus rien à voir
avec celle que j'ai pris l'habitude de parler, une langue qui parlera
à une part de moi-même qui m'était peut-être jusqu'alors
inconnue. Mais que faut-il entendre par ce lieu intérieur qui ne
serait pas encore exploré, que je n'aurais pas encore pris le temps
d'écouter ?
LA GRÂCE, LES MIRACLES ; TOUS DEUX SURNATURELS."
Pascal, Pensée 805.
Le miracle ne relève pas de l'ordre naturel, il exprime le
surnaturel : il est une manifestation, une parole surnaturelle. Et
celle-ci me parle sans même que je ne la comprenne. Que veut-elle
dire ? Elle semble réveiller en moi une fibre, une corde qui n'aurait
pas encore vibré, comme si elle parlait à une dimension cachée de mon
être, plus intime à moi-même que moi-même. Que veut alors me dire le
miracle ?
Signe et indice d'une transcendance, il est le lieu d'une
révélation du divin, il enseigne aux hommes une autre façon
d'appréhender le monde et de le comprendre dans un nouvel ordre de
langage : l'ordre du coeur. Ainsi il apparaît que la langue du
miracle s'adresse au coeur, et qu'elle n'est entendue que par lui. Par le
miracle un nouvel ordre est institué, étranger à la raison, la
destituant de tout droit. Il ne s'agit donc pas d'une transformation
inexpliquée de l'ordre naturel, mais bien de l'instauration d'un ordre
supérieur.
Aussi me demanderait-on quelle langue parle le miracle, je
répondrais qu'il parle celle de la foi et de la charité. En
conséquence, il convient de réfléchir à l'enseignement qu'il apporte
aux hommes.
"Ô QU'IL EST VENU EN GRANDE POMPE ET EN UNE PRODIGIEUSE MAGNIFICENCE AUX YEUX DU COEUR ET QUI VOIENT LA SAGESSE.
NOTRE-SEIGNEUR JESUS-CHRIST EST BIEN VENU AVEC L'ECLAT DE SON
ORDRE."
Pascal, Pensée 793.
Un nouvel enseignement.
Le miracle représente une autre parole qui n'est plus de
l'ordre scientifique ou métaphysique, une parole qui dépasse la sphère
du rationnel. Par suite, son enseignement déroge à la
raison. Toutefois, tout en sortant du langage ordinaire, cette parole
reste accessible à tous, si l'on veut bien y prêter attention, et pour
cela, prendre le temps de pénétrer la sphère du coeur. Car, on l'a
vu, le miracle relève d'un autre ordre, et, de ce fait, exige une
réorientation du regard : il nous apprend à voir avec les yeux du
coeur. C'est pourquoi nous avons cité le texte des trois ordres de
Pascal: car le miracle reste
INVISIBLE AUX CHARNELS ET AUX GENS D'ESPRIT", Ibidem.
visible au seul croyant, à l'homme de foi qui ne cherche plus à rendre
raison mais qui a rejoint la sphère de son coeur et orienté son regard
à partir d'elle : Dieu seul suffit.
Ce qui au départ m'apparaissait de façon négative, parce
qu'incernable, inexplicable, se renverse à présent en positif : le
miracle est signifiant, il fait sens. On est donc passé de l'énigme au
mystère, un mystère qui manifeste sa transcendance dans les limites de
l'humain. Les guérisons miraculeuses du Christ font sens dans l'ordre
du coeur. Celui qui demande la guérison avec foi est guéri :
"Si j'arrive à toucher au moins ses vêtements, je serai
sauvée. A l'instant, sa perte de sang s'arrêta et elle ressentit en
son corps qu'elle était guérie de son mal."
(Marc, 5, 28-29).
Le miracle m'enseigne l'amour dans un langage de foi qui parle à la foi, comme nous le montre cette femme qui souffrait d'hémorragies depuis vingt ans et qui par un seul geste de foi est aussitôt guérie.
"Ma fille, ta foi t'a sauvée; va en paix et sois guérie de ton
mal."
(Marc, 5, 34).
Signe de la présence de Dieu parmi les hommes, le miracle manifeste cette grâce divine, cet acte d'amour gratuit fait aux hommes :
"LES DEUX FONDEMENTS, L'UN INTÉRIEUR, L'AUTRE
EXTÉRIEUR ;
LA GRÂCE, LES MIRACLES."
Pascal, Pensée 805.
La puissance de l'amour de Dieu se déploie dans ses miracles qui
signifient Sa présence effective : Dieu agit, il témoigne Son amour
aux hommes, Il les touche au plus profond d'eux-mêmes en guérissant
leur corps ou leur esprit : il transforme et guérit l'homme de
l'intérieur, dans son coeur : il ne cesse de parler au coeur. Car
si l'homme est sourd dans son coeur, il n'est pas guéri: le miracle
reste pour lui une énigme, un événement négatif qui n'enseigne rien
puisqu'il n'a pas dépassé la sphère de la raison.
L'hémorroïsse de l'évangile de Marc a su poser un regard
de foi sur le Christ, et accueillir le miracle de sa guérison comme un
Don, véritable déploiement de la grâce divine. Aussi le miracle
enseigne-t-il l'Amour à celui qui se fait réceptif, c'est-à-dire à
celui qui, prenant conscience de sa misère, de sa faiblesse, s'ouvre
avec confiance au travail de l'Esprit Saint.
L'intérêt du miracle se fonde donc sur une relation de
confiance entre l'homme et Dieu. Elle est primordiale et nécessaire
pour comprendre ce signe de la présence divine au milieu de nous. Car
tant que nous refuserons de croire en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai
homme, le miracle n'aura pour nous aucun sens, et surtout n'aura
jamais lieu dans notre vie. Il n'y a de miracles qu'à la mesure de
notre foi, qu'à la mesure de notre capacité à recevoir la grâce.
La grâce est première.
"LE PEUPLE, QUI CROYAIT EN LUI SUR SES MIRACLES, LES PHARISIENS LEUR
DISAIENT : "CE PEUPLE EST MAUDIT, QUI NE SAIT PAS LA LOI ; MAIS Y A-T-IL
UN PRINCE OU UN PHARISIEN QUI AIT CRU EN LUI ?"
Pascal, Pensée 829.
Pour le prince ou le pharisien, la loi est première, la lettre du texte s'érige en principe et fin de toutes choses. Mais y a-t-il un prince ou un pharisien qui ait cru en lui, qui ait fait passer la grâce en premier ? Le miracle est l'expression même de cette grâce divine. Il se situe hors de toute loi restreinte et systématique, il transcende la doctrine. Mais comment accueillir cette transcendance quand la loi est l'unique critère de véracité Le miracle n'a plus de sens pour le pharisien qui s'enferme dans la lettre du texte, et refuse tout événement imprévu qui ne respecterait pas la loi, qui parlerait un autre langage.
"Les scribes et les Pharisiens observaient Jésus pour voir s'il
ferait une guérison le jour du sabbat, afin de trouver de quoi
l'accuser."
(Luc 6, 7).
Mais lui savait leurs raisonnements, nous dit l'évangile
(Luc 6, 8) : il savait que le miracle ne pouvait les atteindre,
leur parler, dans la mesure où leur coeur était endurci dans la
rigidité de la lettre. Prisonnier de la forme, le pharisien ne laisse
aucune ouverture à la grâce dont l'expression même est d'emblée
invalidée par le système doctrinal. Car il se situe dans l'ordre de la
raison, et non dans celui du coeur. Mais Jésus, en guérissant
l'homme à la main paralysée, vient montrer l'insuffisance de la loi et
la vanité des hommes qui ne s'appuient que sur elle. Si la loi me rend
incapable d'autre fin qu'elle-même, je ne laisse plus aucune place au
miracle, aux actes d'amour imprévus de Dieu. J'enferme donc Dieu dans
un système : ma raison l'annexe, se permet de déterminer ce qu'Il
est. Aussi est-ce à travers mes certitudes que je me représente Dieu,
limitant indûment son infinité pour l'agréer à ma raison humaine. Mais
Dieu ne se dit-il pas au-delà de la forme, de l'enserrement
systématique ? Le miracle n'est-il pas son langage le plus propre ?
C'est seulement en acceptant d'entrer dans ce mystère de Dieu,
en mettant la grâce en premier, en laissant Dieu être Dieu, que je
redonne au miracle toute sa raison d'être, toute sa force
expressive. En cela je reconnais l'échec d'un cetain discours
rationnel, celui même des savants et des philosophes, l'échec d'un
terme, d'un achèvement que l'on pourrait assigner à Dieu :
"LA VERITE DOIT PARLER ELLE-MÊME AUX HOMMES."
Pascal, Pensée 832.
Or comment cela serait-il possible sans celui en qui Dieu s'est
manifesté aux hommes, Jésus-Christ le médiateur ?
Car Jésus est maître du sabbat, maître de la loi, il est
l'incarnation du don d'amour qui s'actualise dans la grâce, chemin de
vérité enseignée dans le miracle. Celui-ci est une donation d'amour
qui nous invite à déposer les armes de la pensée, et à rencontrer
Dieu, à le vivre dans tout son mystère de donation qui éduque l'homme
et lui apprend le langage de la charité. Ainsi, le miracle ouvre une
brèche dans cette construction suturée de la raison, et lance le défi
de la grâce, de l'infinie puissance de Dieu. Le schéma rassurant de la
loi doit être dépassé pour laisser place au miracle, à l'oeuvre
d'amour de Dieu qui agit pour le bonheur de l'homme. Il faut laisser
la vérité parler elle-même aux hommes, sans chercher à l'interpréter
par des raisonnements, mais en étant d'abord à l'écoute de cette
vérité qui est Jésus Christ (Jean 24). C'est de cette vérité que
l'homme doit se nourrir avant tout, c'est cette grâce qui le
transforme de l'intérieur et le guérit : elle est première et éclaire les écritures. Ne faisons donc l'effort que de la grâce qui vient.
Article paru dans Sénevé
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