Le beau mot d'alliance

Michel Launay


C'est à coup sûr l'un des plus beaux mots de la langue française: alliant la vivacité, l'allant de son début, à la douceur, à l'espérance de sa chute. Il rime avec " se fiance " et fait aussitôt songer à la bague des fiançailles et à l'anneau du mariage. En douceur, l'alliance que je porte à l'annulaire de la main gauche, depuis plus de quarante ans, s'est emparée de moi, au point que pour l'enlever il faudrait maintenant me couper le doigt. L'ancienne alliance de Iahvé et d'Abraham est d'abord signe de l'amour de Iahvé pour Abraham et son peuple. Mais elle réclame la réciprocité, d'abord par les signes des sacrifices sanglants comme la circoncision, l'agneau, le défi de sacrifier jusqu'à un fils, ensuite par la fidélité permanente à la Loi. Quel beau symbole que celui de l'Arche d'Alliance, l'Arc-en-ciel, qui a besoin de deux supports pour déployer ses sept couleurs. Mais - pourquoi faut-il toujours un mais - cette alliance entre deux alliés exclut ceux qui ne font pas partie de l'alliance, et cette exclusion est impitoyable:




Les bébés égyptiens méritaient-ils cela, qu'on l'appelle ou non génocide ou holocauste, et même si Pharaon avait persécuté et exploité le peuple juif? Mais la nouvelle alliance, celle de Dieu et des chrétiens, n'a rien à voir avec ces massacres; jusqu'au jour où, infidèle à l'exemple et aux paroles du Christ qui se sacrifia précisément pour sceller cette nouvelle alliance, l'Église recommença les massacres au nom d'une prétendue infaillibilité. Je viens de lire un article très intéressant d'un Juif de Jérusalem, qui médite sur les rapports entre juifs et athées dans l'État d'Israël et dans la diaspora, pour élargir sa réflexion rapports entre " croyants " et " athées " en général. Je le cite, puise commente, puisque je milite pour une " alliance " des athées et des non-athées, des croyants et des " croyants-à-autre-chose " (car je suis persuadé que tous doivent s'allier dans ce monde qui croit de moins en moins aux vertus des alliances, aux vertus de l'amour fraternel). Dans un article paru (le Monde du 23 octobre 1998) sous le titre " Religion et mationalisme: une confusion paradoxale ", Abraham B. Yehoshua ne se contente pas d'essayer de convaincre les Juifs orthodoxes ou traditionalistes qu'ils font fausse route en confondant l'Alliance de Yahvé et du peuple d'Abraham avec la promesse, la garantie de la possession d'une terre (" Eretz Israël "). La confusion entre peuple et religion prit d'ailleurs naissance non pas en " territoire national " mais dans le désert, au sein d'un petit groupe de " fils d'Abraham " auquel s'étaient joints " toutes sortes de gens " - dit la Bible. Et Moïse " préféra mourir avant d'entrer en Terre promise, tant étaient graves ses doutes quant aux chances de réussite de ce modèle ". L'autre modèle d'alliance, suggéré par Abraham B. Yehoshua dépasse donc le problème de la réalisation ou non d'une " Terre promise ", même si notre auteur confesse que l'État d'Israël et la souveraineté nationale, " pour ceux qui n'ont pa sconnu 2000 ans d'exil, ça a encore bon goût. " Pour moi qui n'ai pas connu 2000 ans d'exil mais seulement 200 ans de persécutions des libres penseurs et des athées, ce qui m'intéresse le plus, c'est la fin de cet article, évoquant les conditions d'une alliance entre athées et religieux: " Athéisme et religion existent indépendamment l'un de l'autre, mais dès qu'ils entrent en relation ils deviennent interdépendants. " Mais je ne suis pas tout à fait d'accord avec la suite, bien que j'aie rarement lu de réflexions aussi profondes sur le sujet:




Malgré son esprit critique, son intelligence et son souci de tolérance, Abraham B. Yehoshua me semble encore prisonnier de ce que le général de gaulle appelait, à propos du peuple juif, un " esprit sûr de soi et dominateur ". En tant qu'athée désireux de participer à part entière à la " nouvelle alliance " de ceux qui mettent en pratique la parole " Aimez-vous les uns les autres ", j'estime que si les religieux ont légitimement des exigences envers les athées, les athées ont eux aussi des exigences envers les religieux: ils exigent qu'ils mettent en pratique le " Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ", et que " les uns les autres " ne signifient pas " entre chrétiens " mais " tous les hommes et toutes les femmes créés par Dieu ", que ces hommes et femmes croient ou non en Dieu. Il me semble que le beau mot d'alliance, si ce n'est pas un simple mot dont abuseraient scribes, pharisiens ou personne pieuses mais ne pratiquant pas dans toute sa force le message d'Amour, implique deux alliances qu'on mettrait aux deux annulaires: à la main droite, on placerait l'alliance purement chrétienne de ceux et celles qui veulent se retrouver autour d'un Christ ayant souffert précisément pour sceller une Nouvelle alliance avec Dieu; à lamain gauche, portée également par les précédents, il y aurait une alliance pour toutes les personnes de bonne volonté, athées ou religieuses, désireux de s'unir contre labarbarie ambiante... et sachant que, de toute façon, elles seront bien minoritaires: dans une École comprenant environ 1000 élèves, combien seraient susceptibles de faire partie de cette autre alliance? C'est pourquoi je réitère mon invitation: venez parler de la laïcité, dans un lieu fraternel, sans prétentions, qu'il s'appelle Atala, Talaïc, Tala ou l'Arc-en-ciel. Hésitez avec nous avant de donner un nom à ce lieu d'échanges et de dialogues que nous construirons avec vous rue d'Ulm ou boulevard Jourdan, à votre gré.Pourquoi Atala? Pour faire dialoguer un peu plus athées et talas ou autres croyants-en-Dieu. Pourquoi Talaïc? Hic jacet lepus: pour développer l'École laïque, la séparation de l'Église et de l'État et une république de libertés, d'égalité et de fraternité. Tous renseignements auprès de Michel Launay, 157 boulevard Magenta, 75009 Paris, tél: 01 42 80 34 30.

M.L.


Article paru dans Sénevé


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