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Quelques éléments sur la doctrine de la guerre juste

Louis Dutheillet de Lamothe






Cet article est incomplet et inachevé : incomplet parce que, déjà trop long, j'ai dû le réduire1, et inachevé parce qu'il y avait bien d'autres choses à y ajouter ou à approfondir et que je n'en ai pas eu le temps. Il ne s'agit donc que de quelques petits éléments de réflexion sur ces épineux problèmes, déjà trop peu synthétiques, mais qui j'espère vous éclaireront sur le sujet et vous démontreront la clairvoyance qu'ont pu avoir, sur certaines difficultés, les théologiens catholiques.



Il y a deux attitudes face au mal : celle du pharisien et celle du Christ. La première consiste à s'enfermer dans sa pureté et à contempler, désolé et choqué, le péché des autres. On ne peut pas l'approcher de peur de souiller sa propre prétendue pureté : le mal, vous comprenez, ça pourrait être contagieux... On rejette les possédés et autres dégénérés. On répètera à ses enfants, comme l'avaient fait nos parents et toutes les générations passées, que le mal c'est mal, et on continuera à exclure de chez soi ceux qui y tomberont pour éviter de tous périr avec eux. C'est l'ancienne loi. Le lépreux doit habiter hors du village, l'impur doit rester hors du temple. La deuxième attitude reconnaît le mal et veut le sauver, elle ne s'en offusque pas, le saisit à pleines mains, quitte à se salir, à se souiller elle-même, et le soigne. C'est l'attitude du Christ, c'est celle de l'Église. « L'Épouse. (...) C'est une gaillarde dure à la besogne, mais qui fait la part des choses, et sait que tout sera toujours à recommencer jusqu'au bout. La Sainte Église aura beau se donner du mal, Elle ne changera pas ce pauvre monde en reposoir de la Fête-Dieu. » (G. Bernanos, Journal d'un Curé de campagne). La miséricorde, c'est le vrai courage. Oser approcher le mal, et vouloir le réduire du mieux qu'on pourra même si pour cela il faut d'abord et longtemps vivre avec lui, le supporter, le voir tous les jours, l'affronter en face. On vous accusera de faire son avantage, de pactiser, alors que vous êtes les seuls à agir et que les autres se drapent dans leurs beaux principes qui couvrent leur lâcheté. Ces deux attitudes, nous les retrouvons aussi dans la pensée. Il y a en effet deux façons de penser la guerre. On peut la rejeter pour ce qu'elle est, un mal, et pratiquer un pacifisme intransigeant, irréaliste en fait. Mais ce n'est pas travailler à la paix. On peut au contraire considérer que la discorde et les dissensions, la violence et la haine, font partie de notre humanité déchue, et qu'il faut en tenir compte pour préserver l'essentiel. On cherche alors à penser la guerre suivant qu'elle est ou n'est pas un péché, quand elle n'est qu'un moindre mal qui est moral ou quand elle est un acte de haine, de vengeance ou de désir d'hégémonie. On cherche à savoir s'il est une guerre juste. C'est la position de l'Église que nous allons développer dans la suite de cet article. Toutefois, comme ce problème et cette réflexion dépassent très largement un problème religieux, nous nous intéresserons aussi à ce que les pensées païennes ou athées lui ont apporté ou objecté pour comprendre si nous pouvons encore aujourd'hui comme au treizième siècle penser une guerre juste.

Nous passons sur l'historique de la théorie de la guerre juste (antiquité, période paléochrétienne, penseurs médiévaux, école scolastique espagnole, école du droit de la nature et des gens et déclin de la doctrine, période contemporaine).

Opérons tout d'abord une distinction fondamentale. Il faut distinguer le jus in bello (le droit dans la guerre, qui recouvre tous les principes de bonne conduite dans la guerre, type Deutéronome ou convention de Genève) du jus ad bellum (le droit de faire la guerre, autrement dit dans quelles conditions il est permis de déclencher un conflit armé). Pour être juste, la guerre doit donc l'être dans sa fin (casus belli, jus ad bellum) et dans ses moyens (jus in bello).

1. Justice du point de vue du jus ad bellum

1.1. Moralité de l'acte

De façon évidente, le fait de déclencher une guerre constitue un acte moral. Cet acte peut donc être juste ou injuste, soit quant à sa matière, soit quant à son auteur par rapport à son intention.

1.1.1. Moralité de la matière

Il s'agit de savoir si l'on peut dire que la guerre est juste, ou injuste, ou tantôt l'un tantôt l'autre, c'est-à-dire si elle a une valeur morale. L'Église a toujours affirmé qu'elle en avait une. Pour juger une action (indépendamment de celui qui la commet), il faut considérer l'objet en lui-même (la guerre, le recours à la violence, aux armes et l'affrontement entre deux armées) et les circonstances. On peut alors déterminer si cette action constitue une matière peccamineuse, vénielle ou mortelle. Or l'Église a toujours affirmé que la guerre n'était pas toujours injuste. Comme l'objet ne change pas et que la valeur morale de la guerre varie, il faut bien admettre que la justice du déclenchement d'une guerre dépend d'abord des circonstances --- les circonstances ne changent pas un mal en bien (Catéchisme de l'Église Catholique, 1754), mais en moindre mal. C'est précisément l'objet de la doctrine de la guerre juste que de déterminer en quelles circonstances l'entrée en guerre peut être juste.

Mais ces deux premiers principes --- entrer en guerre est un acte moral ; la valeur morale du déclenchement d'une guerre dépend des circonstances (CEC, 2309 et 2312) --- sont déjà sujets à des objections qui reviennent sans cesse. Pour Machiavel, la loi morale ne s'applique pas dans les rapports entre États. Ceux-ci ne doivent se préoccuper que de leur propre puissance. Pour échapper à une guerre perpétuelle ruineuse, ils devront cependant tenter de maintenir un équilibre des forces. C'est cette vision d'un équilibre nécessaire entre des États toujours prêts à trahir et à suivre leur intérêt que développera Guichardin et qui aboutira aux traités d'Utrecht, de Vienne etc., moins préoccupés par les peuples que par les rapports de force entre les États. Pour l'Église, la loi morale est universelle, il n'y a pas en ce sens de « raison d'État ». C'est aussi ce principe, qui fait du déclenchement de la guerre un acte moral, qui permet d'affirmer que l'une seule des deux parties peut mener une guerre juste. Le deuxième principe est nié par ceux qui prétendent que la guerre en tant qu'objet est toujours mauvaise, autrement dit qu'elle rentre dans cette catégorie d'actes condamnables « quelles que soient les circonstances et l'intention» (CEC, 1756). C'est l'objection déontologique : la guerre n'est jamais un moyen pour faire la paix. « Il n'est pas permis de faire le mal pour qu'il en résulte un bien. » Elle fut en particulier le fait d'Erasme, de Thomas More, de Fénelon. Il y a surtout deux arguments : soit les maux de la guerre sont toujours supérieurs à ses profits, soit il y a toujours un moyen de sauver la paix sans compromettre le bien commun dans ce qu'il a de fondamental à défendre. C'est le contraire de ce qu'affirme la doctrine de la guerre juste.

1.1.2. Moralité du sujet

Il y a la moralité de l'acte et celle de celui qui le commet (autrement dit, commet-il un péché ou non). Cette dernière dépend de la moralité de l'acte et de l'intention avec laquelle il a été commis (sauf pour les actes immoraux quelle que soit l'intention). Cela n'amène pas d'objection si l'on admet que déclencher une guerre est un acte moral.

Nous passons sur le problème très intéressant de la guerre providentielle : position augustinienne, position de Luther, position de l'Église, postérité.

1.2. Conditions de la moralité du déclenchement de la guerre.

Cet exposé est le noyau de la doctrine du jus ad bellum. Ces conditions sont apparues progressivement à mesure qu'on prenait conscience de la valeur de la paix. Tout commence avec saint Augustin qui fait de la paix la fin universelle, l'entéléchie2 de la cité divine. Le corps et ses appétits contraires, les hommes, la famille, les nations, tout en ce bas monde recherche la paix qui ne sera véritable que dans le paradis de Dieu. Même lorsque les hommes font la guerre, ils recherchent la paix, une certaine paix fort à leur avantage, autrement dit un ordre, une stabilité dans le rapport de forces contraires. La paix, c'est « la tranquillité de l'ordre » (tranquilitas ordinis). La paix est donc possible dès aujourd'hui et souhaitable par-dessus toutes choses. Il y a des guerres justes. Elles se font pour la véritable paix. Saint Thomas3 va reprendre tous les éléments disséminés chez saint Augustin et les formaliser. La paix ne peut être imposée, obtenue par la crainte, sinon, il n'y a pas de paix. Cet ordre qui donne la paix doit être une concorde, autrement dit il doit y avoir accord des volontés entre elles, mais de plus, la paix demande de faire « la paix avec soi-même », elle nécessite l'accord de nos divers appétits. Alors on atteint vraiment la paix. Elle est la vraie fin, elle est un fruit de la charité. Certes, on fait toujours la guerre pour « sa » paix, néanmoins il peut y avoir une guerre juste pour défendre « la » paix. Il y a des guerres qui sont licites moralement. Il y a trois conditions à tout acte moral, et elles valent donc pour la guerre :

a) L'autorité. C'est au prince d'engager la guerre (ou à tout gouvernement en charge du bien public). La guerre n'est pas du ressort de la personne privée. Elle se fait pour le bien public (juste cause) et doit être décidée par ceux qui en ont la charge.

b) La juste cause (matière). Pour saint Augustin, la guerre juste « punit une injustice ». Saint Thomas va dans le même sens : « il est requis que l'on attaque l'ennemi en raison de quelque faute (illi qui impugantur propter aliquam culpam impugnationem mereuntur). » C'est ultérieurement que seront ajoutées les fameuses quatre conditions de la cause juste qui sont dans le Catéchisme et définissent les cas où la guerre constitue un moindre mal (elles sont parfois improprement appelées conditions de la guerre juste : il reste les deux autres conditions pour que la guerre soit juste). Les voici :

2309 Il faut considérer avec rigueur les strictes conditions d'une légitime défense par la force militaire. La gravité d'une telle décision la soumet à des conditions rigoureuses de légitimité morale. Il faut à la fois:

La puissance des moyens modernes de destruction pèse très lourdement dans l'appréciation de cette condition.

Ce sont les éléments traditionnels énumérés dans la doctrine dite de la « guerre juste ».

L'appréciation de ces conditions de légitimité morale appartient au jugement prudentiel de ceux qui ont la charge du bien commun.


c) L'intention juste. Cette condition est évidente. Saint Thomas d'Aquin écrit : on doit se proposer de promouvoir le bien ou d'éviter le mal (vel ut bonum promoveatur, vel ut malum vitetur). La guerre ne doit pas être faite à des fins personnelles mais en vue du bien commun. L'intention du prince doit être juste. Saint Thomas, comme saint Augustin, se soucie surtout du salut de l'âme des princes. À partir de Vitoria, on s'accordera à dire qu'une guerre peut être juste bien que le souverain la mène avec une intention pernicieuse. Il faut distinguer la valeur morale de la matière de l'acte et celle de l'acte lui-même (donc celle du sujet). Réciproquement, on peut être objectivement dans son tort tout en étant de bonne foi.

Ces conditions appellent quelques remarques. Le « prince » d'abord. S'il peut s'agir d'un État, la doctrine de la guerre juste a toujours affirmé qu'il fallait si possible avoir recours à un juge supraétatique impartial. Ce n'est qu'en l'absence d'un tel juge que le prince peut exceptionnellement être à la fois juge et partie (ce qui est le grand problème de cette doctrine). Encore les théologiens précisent-ils qu'il doit s'entourer d'avis sages et éclairés avant de prendre sa décision4. La juste guerre n'est en effet qu'un moindre mal et s'il existe une autorité juridique compétente et impartiale, il est nécessaire de s'en remettre à elle. Si la partie fautive refuse son juste jugement, il est nécessaire de défendre le droit, fût-ce par les armes, mais alors cette juste violence ne s'apparente plus vraiment à une guerre, mais plutôt à une opération de police. Nous touchons là un paradoxe que nous allons sans cesse retrouver : quand sont vraiment réunies toutes les conditions qui permettent de faire de la guerre une juste guerre, elle n'a plus raison d'être. Toutefois, en l'absence de cette autorité, les princes doivent eux-mêmes juger de la justice de la guerre qu'ils envisagent d'entreprendre. D'où la possibilité d'une bonne foi des deux côtés. C'est l'argument relativiste. Il est bien entendu que pour les théoriciens de la guerre juste, il y a au plus une des deux parties qui est dans son droit. Les théologiens espagnols de la Renaissance commencent à admettre le cas fort improbable où les deux parties sont sincèrement convaincues d'avoir raison. Objectivement, l'une a tort, mais l'erreur est « invincible » ; l'intention est bonne, et donc il n'y a pas péché, mais il faut pour cela, précise Vitoria, avoir pris toutes les précautions nécessaires et avoir consulté toutes les personnes sages et capables de juger la situation sans animosité ni parti pris. Pour Vitoria et ses disciples, cette possibilité existe mais reste très improbable car il y a le plus souvent de la mauvaise foi à ne pas vouloir entendre les voix de la raison et de la vérité. L'école du droit de la nature et des gens, fondée par Grotius puis Pufendorf, va renverser cette vision. Rares sont les cas où l'une des parties est vraiment de mauvaise foi. Vattel dans Le droit des gens (1758) écrit : « La guerre doit être regardée comme juste de part et d'autre. »5 Si le jus in bello doit permettre d'atténuer les horreurs de la guerre, les incriminations du jus ad bellum n'ont pas lieu d'être. Cette évolution n'est pas sans lien avec la séparation du droit des gens de la religion, initiée avec Grotius. Il faudra attendre le vingtième siècle pour que revienne l'idée de guerre injuste, de « crime contre la paix », et l'aspiration à un organisme supranational qui puisse juger les déclarations de guerre des États. Cet argument ne peut toucher l'Église qui a toujours condamné toute espèce de relativisme moral. La guerre ne peut être juste des deux côtés, et si les critères qui doivent nous permettre de nous prononcer sont imparfaits, ce n'est pas une raison pour faire abdiquer le droit quand la situation est obscure.

Nous passons sur l'objection pratique que l'on oppose souvent à ce critère.

Nous passons également sur la position de l'école du droit de la nature et des gens (inaugurée par Grotius), et les doutes de l'époque moderne ; d'ailleurs, nous y reviendrons plus loin.





1.3. Casuistique : quelques problèmes

1.3.1. La guerre préventive

Cette question est très compliquée et très délicate. Évidemment, tout dépend de ce que l'on appelle « guerre préventive ». Le Vatican s'est prononcé contre les guerres « dites préventives ». On a peut-être un peu trop retenu cette condamnation qui d'ailleurs ne vient pas du Pape mais du nouveau président du conseil pontifical Justice et Paix, Monseigneur Renato Martino, qui a déclaré que « la guerre préventive est une guerre d'agression ». À ce titre, elle ne peut être une guerre juste. Pour que la cause soit juste, il faut en effet que la guerre réponde à une agression. Pour saint Thomas, il faut « punir une injustice ». La guerre préventive (autrement dit, on prend l'initiative des hostilités avant d'avoir subi un dommage réel et grave) ne peut donc être juste (sous réserve de toutes les autres conditions) que si elle répond à une agression, une « injustice » autre que celle de l'utilisation offensive des armes. Autrement dit, si la « guerre préventive » répond à une violation agressive et belliqueuse du droit international (notamment en matière d'armements), le pays concerné ou la communauté internationale peuvent, me semble-t-il, justement intervenir avant que les populations aient subi le dommage (mais après avoir épuisé tous les autres moyens pour préserver la paix et rempli toutes les autres conditions d'une guerre juste). En effet, le droit se doit d'être défendu, il n'est pas facultatif, ses violations doivent être punies et l'on ne peut pas exclure pour cela des moyens militaires. Ce point semble soulever bien des objections et des protestations. Que l'on considère qu'il ne s'agit pas de justifier la récente guerre en Iraq, qui de toutes façons n'a pas, semble-t-il, épuisé toutes les ressources des moyens diplomatiques pacifiques et des inspections pour préserver la paix, mais qu'il s'agit de savoir si en droit une guerre peut être justifiée (et donc ne pas constituer un péché pour ceux qui la déclarent) dans un cas où le pays n'a pas encore été attaqué mais va l'être de façon gravement injuste et pressante. Les dirigeants peuvent et même parfois doivent intervenir pour protéger leurs populations. Il faut donc à notre avis proscrire la relecture moderne libérale de la doctrine de la guerre juste qui la restreint à la guerre de légitime défense, donc après que le dommage a été effectif et non potentiel. Ajoutons encore que s'il s'agit d'agression multilatérale (comme l'est une violation du droit international en matière d'armements), la réponse doit être multilatérale et par conséquent être le fait de la communauté internationale. En revanche, si la guerre préventive a lieu avant l'agression (redéfinie au sens large en incluant les violations du droit international en vue d'actions belliqueuses), elle est toujours injuste. En fait, le fond du problème est de savoir si des guerres offensives peuvent être justes (nous n'évoquerons pas ici les différentes visions de la guerre offensive et les distinctions qu'on a pu faire : guerre offensive par défense in continenti, etc.6). La réponse est oui, si elles réparent une injustice grave (dommage n'est pas synonyme d'agression militaire). C'est même tout l'objet de la doctrine de la guerre juste. La légitime défense ne pose pas de problème, c'est la guerre offensive qui est délicate et c'est pour elle qu'a été inventé le critère exposé ci-dessus.

1.3.2. L'autorité des juges

Nous passons sur ce problème, marginal mais soulevé par une relecture libérale de la doctrine de la guerre juste, telle que l'utilisent par exemple les Américains. Voir la version complète de cet article, ou celui de Bertrand Lemennicier pour un exposé détaillé.

1.3.3. La guerre d'ingérence

Encore un problème très délicat. Comme pour tout le reste, il ne s'agit ici que d'apporter les principaux moments et éléments de la réflexion. C'est l'école scolastique espagnole qui va d'une certaine façon parler la première d'une juste guerre d'ingérence. Vitoria est très net. Pour lui, la solidarité qui unit les nations les autorise à intervenir dans des conflits où elles ne sont pas directement impliquées et même à venir en aide à des populations opprimées par la tyrannie. « Les princes peuvent, en vertu du droit naturel, défendre l'univers contre l'injustice. » (cit. in Bacot, p. 46). Suarez est plus réaliste et admet seulement que l'on secoure ses alliés si ceux-ci le demandent. Aujourd'hui, il est communément admis que c'est à des instances supranationales qu'il importe de « défendre l'univers contre l'injustice », afin d'éviter des abus de la part des États. Son intervention même armée constitue le moindre mal.

1.3.4. La révolte contre l'oppression

Aujourd'hui de très nombreuses guerres civiles déchirent des pays. Leur appréciation est très difficile. Y a-t-il une révolte juste ? Dans Immortale Dei, Léon XIII a rappelé la doctrine constante de l'Église : la légitimité du pouvoir vient de Dieu (Rm 13,1). Il faut donc lui obéir. Cela dit, si celui-ci dénature le pouvoir qui lui est échu en ne respectant plus Dieu et son amour pour l'homme, s'il viole la morale et les droits fondamentaux, s'il use de ses prérogatives à des fins personnelles et non pour le bien et le salut public, et s'il le fait de façon insoutenable, tyrannique, odieuse, scandaleuse et cruelle, comme cela s'est vu bien souvent, alors la révolte, la guerre contre la tyrannie, est d'une certaine façon justifiée, si odieuse que soit la guerre civile. Je ne sais si des « conditions » ont été établies à ce sujet comme pour la doctrine traditionnelle de la guerre juste. L'Église reste très prudente : « On ne saurait oublier que la crise fondamentale des systèmes qui se prétendent l'expression du gouvernement et même de la dictature des ouvriers commence par les grands mouvements survenus en Pologne au nom de la solidarité. Les foules ouvrières elles-mêmes ôtent sa légitimité à l'idéologie qui prétend parler en leur nom, et elles retrouvent, elles redécouvrent presque, à partir de l'expérience vécue et difficile du travail et de l'oppression, des expressions et des principes de la doctrine sociale de l'Église. Un autre fait mérite d'être souligné : à peu près partout, on est arrivé à faire tomber un tel «bloc», un tel empire, par une lutte pacifique, qui a utilisé les seules armes de la vérité et de la justice. Alors que, selon le marxisme, ce n'est qu'en poussant à l'extrême les contradictions sociales que l'on pouvait les résoudre dans un affrontement violent, les luttes qui ont amené l'écroulement du marxisme persistent avec ténacité à essayer toutes les voies de la négociation, du dialogue, du témoignage de la vérité, faisant appel à la conscience de l'adversaire et cherchant à réveiller en lui le sens commun de la dignité humaine. » (Centesimus annus, 23 ; le marquage n'est pas dans le texte)

2. Du point de vue du jus in bello

2.1. Moralité de l'objet et du sujet

Là encore, il importe de distinguer la moralité de l'objet et du sujet. L'objet constitue les actions militaires entreprises pour mener la guerre, autrement dit les ordres et leurs exécutions. Le sujet est donc double : celui qui ordonne (général, quartier général...), celui qui exécute. Le fait qu'une action soit ordonnée ne libère pas le soldat de la loi morale. Reste le problème de savoir si l'on a le droit de participer à une guerre manifestement injuste. Il n'est pas demandé aux militaires de juger du jus ad bellum et si le jus in bello est respecté, ils ne sont pas fautifs en respectant les ordres qu'ils ont reçus, bien évidemment. En revanche, si ceux-ci sont manifestement contraires au jus in bello, ils sont tenus de ne pas les exécuter. Le cas le plus clair est celui du génocide : « Les actions délibérément contraires au droit des gens et à ses principes universels, comme les ordres qui les commandent, sont des crimes. Une obéissance aveugle ne suffit pas à excuser ceux qui s'y soumettent. Ainsi l'extermination d'un peuple, d'une nation ou d'une minorité ethnique, doit être condamnée comme un péché mortel. On est moralement tenu de résister aux ordres qui commandent un génocide. » (CEC, 2313) L'Église va plus loin, elle a toujours déclaré « la validité permanente de la loi morale durant les conflits ». En 1947, le tribunal de Nuremberg applique ce principe : « L'ordre reçu par un soldat de tuer ou de torturer, en violation du droit international de la guerre, n'a jamais été regardé comme justifiant ces actes de violence. (...) Le vrai critère de responsabilité pénale n'est nullement en rapport avec l'ordre reçu. Il réside dans la liberté morale, dans la faculté de choisir, chez l'auteur de l'acte reproché. » Deux problèmes se posent alors. Le premier consiste en la relecture libérale de la doctrine de la guerre juste, qui met la responsabilité du conflit tout entière dans les mains de ceux qui exécutent les ordres et acceptent de tuer pour défendre leur droit, car ils sont libres et seuls responsables de la défense de ces droits. Ce n'est pas la position de l'Église, qui a toujours fait porter la responsabilité du conflit (jus ad bellum) sur les seuls dirigeants qui prennent la décision initiale. Cela dit, si des ordres violent les principes moraux (jus in bello) qui restent valables durant la conduite d'une guerre, la responsabilité incombe au donneur d'ordre mais aussi à celui qui l'exécute (la gravité de la matière dépendant toujours des circonstances). Ainsi, un soldat n'est pas responsable des morts qu'il provoque mais il n'a pas le droit d'attaquer des civils si on lui en donne l'ordre (en gros). Mais le second problème qui se pose est plus radical encore : a-t-on le droit d'accepter d'être soldat dans la mesure où « la loi morale reste valide durant les conflits » et où l'on sera conduit à des homicides, condamnables en toutes circonstances et pour toute intention ? Il faut préciser sur quoi porte la culpabilité. Prenons le cas d'une guerre juste en tous points. Il s'agit donc d'une guerre de légitime défense (réponse à un dommage, CEC, 2309). Saint Thomas établit dans sa Somme Théologique le principe du double effet : «L'action de se défendre peut entraîner un double effet: l'un est la conservation de sa propre vie, l'autre la mort de l'agresseur... L'un seulement est voulu; l'autre ne l'est pas. » (ST, II-IIae, q. 64, 7) Ainsi, la légitime défense a deux effets : un effet principal (sa propre survie) et un effet secondaire (la mort éventuelle de l'autre, malgré la proportion de la riposte). Les homicides des guerres justes sont donc des effets secondaires, même s'ils restent des homicides : la défense légitime des personnes et des sociétés n'est pas une exception à l'interdit du meurtre de l'innocent que constitue l'homicide volontaire. Il me semble nécessaire de considérer qu'en tant qu'effet secondaire, cet homicide perd sa qualité de péché « quaecumquae circumstantiae et intentio», et que les circonstances et l'intention droite enlèvent toute sa culpabilité à l'exécutant (quant au jus in bello, sous réserve) et à l'ordonnateur (quant au jus ad bellum et au jus in bello, sous réserve). Il est donc permis de servir son pays dans l'armée, fût-ce par les armes (cf. l'historique dans l'article complet), et le Catéchisme déclare : « Ceux qui se vouent au service de la patrie dans la vie militaire, sont des serviteurs de la sécurité et de la liberté des peuples. S'ils s'acquittent correctement de leur tâche, ils concourent vraiment au bien commun de la nation et au maintien de la paix (cf. Gaudium et Spes 79). » (CEC, 2310) Un gouvernement peut même imposer licitement ce service (CEC, 2310), bien que dans le même temps, l'Église se fait l'écho des « cas de conscience », qui demandent depuis longtemps un statut spécial, même si cela ne peut se généraliser :

2311 : Les pouvoirs publics pourvoiront équitablement au cas de ceux qui, pour des motifs de conscience, refusent l'emploi des armes, tout en demeurant tenus de servir sous une autre forme la communauté humaine (cf. GS 79).

2.2. Remarques historiques sur le jus in bello

Autant de sociétés, autant de préceptes différents. Pourtant, le principal n'est pas là. L'important est qu'il y ait un jus in bello. Autrement dit, tout n'est pas permis. Il tient tout entier dans ce principe : il ne faut pas faire plus de mal que nécessaire. L'inspiration est souvent religieuse. De là à interdire certaines armes pour elles-mêmes, indépendamment de la situation, il n'y a qu'un pas (gaz, armes chimiques, biologiques ou nucléaires). La fin ne justifie pas tous les moyens. Les problèmes commencent quand ceux d'en face ne pensent pas la même chose. Peut-on se priver unilatéralement de certains moyens d'action ? C'est tout le problème. Tout est affaire de morale. Si vous êtes conséquencialiste, seul le résultat compte. Si en revanche vous êtes déontologue, seules les règles comptent et vous refuserez d'employer la bombe nucléaire quelles que soient les circonstances (i.e. si ceux d'en face ne s'en privent pas).

Le Deutéronome est très prudent. Il interdit par exemple d'abattre les arbres fruitiers d'une ville assiégée. Nous passons sur la citation des passages concernés (Dt 20). En gros, il faut d'abord proposer la paix à la cité avant de lui livrer bataille. À ce moment-là on peut « passer tous les mâles au fil de l'épée », et prendre le reste comme butin.

Contre le païen donc, point de pitié. Il n'est pas question d'aimer ses ennemis. Les livres sacrés se contentent d'organiser la guerre, avec de nombreuses prescriptions pour celui qui construit sa maison ou n'a pas encore moissonné, celui qui vient de se fiancer, et même celui qui a peur ; les scribes diront encore ceci au peuple: «Qui a peur et sent mollir son courage? Qu'il s'en aille et retourne chez lui, afin de ne pas faire fondre comme le sien le coeur de ses frères!» (Dt 20,8) De toutes façons Jahvé apportera la victoire. Le reste de l'Ancien Testament s'attache à en apporter la démonstration (le livre de Josué, par exemple).

Le jus in bello est présent dans tous les textes sacrés. Citons encore les lois de Manou, en Inde, qui ordonnent : « Que le guerrier ne frappe ni celui qui est assis, ni celui qui dit ``je suis ton prisonnier'', ni celui qui est endormi, ni celui qui n'a pas de cuirasse, ni celui dont l'arme est brisée, ni celui qui est accablé par le chagrin, ni celui qui est grièvement blessé, ni un lâche, ni un fuyard. » Quelle grande idée de la guerre se dessine derrière ces lignes. Nul ne sait si elles étaient respectées ; probablement pas car ces lois sont plus exigeantes que toutes les conventions internationales sur le droit de la guerre des deux siècles précédents réunies. Le jus in bello était en effet promis --- comme la guerre --- à un bel avenir. Présent bien sûr chez saint Augustin, codifié dans les sommes théologiques du Moyen-Âge, il sera ensuite repris par tous les penseurs scolastiques dont Francesco de Vitoria, Suarez, etc. Il prend un nouvel essor avec l'école du droit de la nature et des gens qui remet en question le jus ad bellum (Grotius) et finira dans les fameuses conventions de Genève ou de La Haye et tous les accords contemporains. Parmi ceux-ci, il faut distinguer les limitations quantitatives (qui furent le plus souvent des échecs) et les limitations qualitatives qui ont eu plus de succès. Quant à l'Église, depuis un anathème contre les arbalètes au concile du Latran (1139), elle ne s'est plus risquée à des restrictions positives dans l'usage des armes, pas même pour la bombe atomique.





2.3. Principes du jus in bello

Il faut distinguer entre des interdits positifs et historiques, qui dépendent forcément de l'état de la communauté internationale et de l'avancée des techniques, et les principes mêmes de la justice d'une guerre par rapport au jus in bello. Ces principes sont au nombre de deux pour la majorité des commentateurs. Dans le cadre de ces principes, la doctrine de la guerre juste a toujours admis qu'il fallait mettre en oeuvre les moyens militaires nécessaires à la fin poursuivie, fussent-ils radicaux. Mais dans le même temps, elle reconnaît qu'il y a des principes à mettre en oeuvre de façon unilatérale. Aujourd'hui, ces deux principes sont généralement acceptés par la communauté internationale et sans cesse rappelés par l'Église : le principe de discrimination et celui de proportionnalité. Le premier exige que les belligérants fassent la différence entre les civils et les militaires afin de ne combattre que les militaires. Frapper un tiers innocent revient à se constituer agresseur à son égard, ce qui est une faute vis à vis du jus ad bellum. Toutefois, la victime d'une agression n'est pas responsable des effets collatéraux non prévisibles de sa riposte (dans le cas bien sûr où celle-ci est justifiée, est juste), ce qui est logique mais montre bien toutes les limites de ce principe. Au vu de ce principe, on peut considérer que la technologie militaire a fait de gros progrès. En revanche, il n'en est pas ainsi au regard du deuxième principe, le principe de proportionnalité, qui impose que la riposte soit proportionnée à l'agression (le contraire des représailles massives). Remarquons que la négation de ces deux principes correspond à la guerre totale, qui combat toute une nation sans distinction et par tous les moyens. L'Église la condamne donc quelles que soient les circonstances, me semble-t-il, et je m'appuie sur le fait que Pacem in terris l'a qualifiée de « crime contre Dieu et contre les hommes ». Gaudium et spes renouvelle ce jugement (GS, 80 § 4). Le catéchisme ajoute d'autres principes que l'on peut ranger dans le jus in bello (et le droit international positif les multiplie) : respect de la loi morale (toujours valide en temps de guerre), traiter « avec humanité » les non combattants, les blessés et les prisonniers. Ces principes comportent des préceptes toujours généraux mais déjà plus positifs. On y retrouve l'inspiration du droit de la guerre tel qu'a voulu l'instaurer l'École du droit des gens, dont la philanthropie est partagée par les milieux catholiques (cf. en particulier les directives des évêques américains), mais pas le raisonnement de départ (on ne peut déterminer de guerres justes ou injustes, mieux vaut toutes les contraindre dans un cadre juridique qui en limitera les horreurs les plus marquées). La doctrine de la guerre juste préconise au contraire la proportionnalité de la riposte avec le dommage subi et les intérêts à défendre. Cela n'empêche pas de soutenir les efforts faits pour mettre en oeuvre des codes de conduite de la guerre qui ne valent bien sûr que s'ils sont multilatéraux : traité de limitation des armements, conventions sur les armements en usage, etc. La violation de ces traités constitue alors une faute grave. Mais bien sûr, ces traités sont des oeuvres collectives. D'où bien des objections sur leur inefficacité, et sur celle du jus in bello en général. Deux principalement. Voyons-les rapidement, elles resurgissent à chaque conflit et alimentent par exemple à chaque conflit les polémiques sur la torture (condamnée en CEC, 2297). La première consiste à objecter que si la cause est juste, tous les moyens sont bons pour y parvenir. Historiquement, ce droit est souvent vain. Avant la guerre, on multiplie les accords sur les armements et les prisonniers, les clauses, les alinéas, les nomenclatures. La Seconde Guerre mondiale éclate. Rien n'est respecté. Puisqu'on vous dit que c'est la guerre. On bute en réalité sur le second problème, qui est que nous, on serait prêt à respecter le droit mais vous comprenez, les autres, ceux d'en face, ils ne nous feront pas de cadeaux. Et si vos adversaires usent d'armes puissantes et décisives pour l'issue du conflit et que votre guerre est juste, il semble légitime de violer le droit de la guerre en réponse à cette violation. Et si tout le monde fait ce raisonnement, le jus in bello n'est jamais respecté. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'anathème si injustement décrié du concile du Latran (1139). En effet, on avait frappé d'anathème ceux qui utilisaient des arbalètes, armes jugées lâches et inhumaines, excepté si l'on s'en servait contre des infidèles. Certains commentateurs ont vite fait de dénoncer une distinction entre deux morales, une pour les chrétiens et une pour les païens. En réalité, il s'agit juste du problème fondamental du jus in bello : les musulmans n'ont que faire des anathèmes du Pape et si une des parties ne respecte pas les interdits, l'autre ne peut pas se lier les mains si la cause est juste (un juste recours aux armes pour une juste cause reste le principe de la guerre juste). Rappelons que la victoire de Charles Martel à Poitiers (en 733 probablement) fut en partie due aux lances franques qu'utilisaient ses guerriers, plus longues que celles de ses adversaires. Depuis 1139, l'Église ne s'est plus aventurée à dicter des principes multilatéraux de jus in bello aux États chrétiens, et pour cause... La seule possibilité d'un jus in bello global serait finalement qu'il soit imposé à tous par une instance supraétatique qui ait les moyens de le faire respecter, à ce paradoxe près que si c'est le cas, cette instance peut régler tous les conflits en faveur du juste belligérant potentiel et que le recours à la guerre ne s'impose plus. Quand sont réunis les moyens et les volontés de conflits justes, ceux-ci n'ont plus vraiment lieu d'être.

Passons sur les développements contemporains du jus in bello.

2.4. Casuistique : quelques questions

2.4.1. L'usage de la bombe nucléaire et la guerre A.B.C.

Le problème relève du jus in bello : celui-ci interdit au nom du principe de discrimination l'utilisation d'armes comme la bombe nucléaire, les armes biologiques ou toutes les armes de destruction massive. Au massacre de nos populations civiles, il n'est donc pas licite de répliquer par le massacre de celles d'en face (on constate encore une fois l'importance de la distinction entre militaires et civils). L'usage de la bombe nucléaire n'est donc pas licite. En revanche, il est juste, et c'est même un devoir pour les dirigeants en charge du bien public, de mettre fin à l'agression, fût-ce au moyen d'une riposte armée s'il n'y a plus d'autres moyens (l'urgence due à la « proximité» d'une attaque peut remplir partiellement voire totalement cette condition). S'il ne sert en rien la juste cause de frapper les populations civiles par des armes de destruction massive, il se révèle alors nécessaire d'empêcher par tous les moyens le massacre des populations défendues (détruire les bombes, frapper le commandement, etc.). On peut alors imaginer, de façon très théorique, que, si du fait de circonstances extraordinaires et dans un péril extrême et pressant, le principe de proportionnalité l'emporte sur celui de ségrégation, on recoure justement (sous réserve de remplir toutes les autres conditions, notamment celle de l'évaluation des conséquences : il faut préférer se rendre si elles doivent être pires) à l'arme nucléaire malgré les dommages collatéraux (i.e. les destructions autres que celles de l'objectif militaire) de court et long terme qui sont prévisibles. Depuis 1139, l'Église n'a plus condamné de façon absolue aucune arme, pas même celles de la guerre A.B.C. (atomique, biologique, chimique), malgré des restrictions majeures. En 1954, devant l'association médicale mondiale, Pie XII les a explicitement admises « dans le cas où elles doivent être jugées indispensable pour se défendre ». Pour citer encore Guillaume Bacot7 : « Nul ne peut prétendre avec certitude que jamais aucune valeur ne méritera d'être défendue à ce prix. » Toutefois gardons en mémoire que, du fait du principe de discrimination, les armes de destruction massive sont a priori illicites dans une guerre juste.





2.4.2. La dissuasion nucléaire

Nous passons sur ce sujet, ainsi que sur la position de l'Église sur la course aux armements.

2.4.3. La guerre moderne, la guerre totale

La Révolution française a marqué un tournant dans l'histoire de cette doctrine. Elle a eu un double effet : beaucoup y voient un des éléments fondateurs de la guerre moderne, et de l'autre côté elle a remis au goût du jour la pensée en termes de guerres justes, toujours défendue par l'Église. Commençons par examiner ce prétendu lien. On en trouve un exposé dans Bellone ou la pente de la guerre, de Roger Caillois (cit. in Guerre, c'est pas juste, Laetitia Bianchi).

Commençons par imaginer que le jus belli (jus ad bellum et jus in bello) est en tout point respecté ; la guerre est alors une sorte de jeu sanglant avec à chaque fois, au moins devant Dieu, une partie agresseur et une partie en légitime défense. S'il en est ainsi la guerre n'a plus grand sens. Elle peut presque toujours être réglée devant des juges internationaux. Ces gens si respectueux de leur honneur pour ne pas faillir aux lois du droit de la guerre n'iraient pas même chercher un arbitre à leur conflit ? À moins qu'elle ne soit qu'un jeu, un duel d'armées où les dirigeants sont tous coupables de régler par les armes ce qui aurait pu l'être devant un juge ou un arbitre. Roger Caillois montre que dans les sociétés féodales il y a un lien entre la fête et la guerre, lien qui est présent surtout dans l'aristocratie guerrière. Les guerres sont limitées, elles finissent par être des règlements courtois. Arrivent la démocratie, la citoyenneté etc. Le citoyen doit défendre son pays, sa patrie. La rue a pris les armes, elle les gardera. Et c'est Valmy. Ce sont désormais des peuples qui s'affrontent, c'est la naissance de la guerre totale. La conscription est un bon symptôme de cela. Voici le décret qui l'établit lorsque les volontaires vinrent à manquer, le 23 août 1793 : « Les jeunes gens iront au combat ; les hommes mariés forgeront les armes et transporteront les subsistances ; les femmes feront des tentes, des habits, et serviront dans des hôpitaux ; les enfants mettront le vieux linge en charpie ; les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l'unité de la République. » L'esprit de la guerre totale est bien là. Et puisque tout sert à la guerre, tout devient objectif militaire. Les citoyens sont aussi égaux devant la guerre (au moins idéalement) et sont tous concernés par l'agression : on attaque une nation, un peuple qui se défend contre un autre, et de là à frapper les civils, il n'y a qu'un pas, franchi depuis longtemps. Peut-être le retour à des armées de métier diminuera-t-il ce phénomène, mais en réalité il est peu probable que l'on en revienne à des guerres aristocratiques, et le dilemme de Caillois est le suivant : soit une société inégalitaire où les guerres sont limitées et peuvent être courtoises, soit une société égalitaire, où tous participent à la gestion et à la défense du pays (directement ou indirectement) et les guerres deviennent des affrontements de peuple à peuple où chacun devient une cible (avec le fameux objectif de « miner l'opinion », bien révélateur de cet affrontement de populations entières), affrontements implacables et meurtriers, totaux. L'évolution des armements fera le reste. Il n'y a alors plus de guerre juste. Toute guerre doit aujourd'hui être absolument évitée. Et c'est justement à ce moment-là que la doctrine de la guerre juste est revenue sur le devant de la scène (cf. par exemple la Déclaration des droits de gens de l'abbé Grégoire, juin 1793). Pacem in terris et Vatican II ont pris conscience de la portée des déclarations de guerre modernes : « Il devient humainement impossible de penser que la guerre soit, en notre ère atomique, le moyen adéquat pour obtenir justice d'une violation des droits. » Et de préconiser le développement du droit international. Mais nul ne peut affirmer que la guerre totale ne sera jamais nécessaire si l'adversaire en use aussi.

2.4.4. Autres questions

Il y a bien d'autres questions : le problème de la conscription, ou de qui peut servir sous les armes, la question des jours de fêtes et toutes les études de cas précis qu'on a pu faire. Cet article est déjà trop long. La bibliographie ci-dessous peut constituer un premier approfondissement.

Conclusion

Nous passons en dernier lieu sur la conclusion...

Bibliographie :

En plus de tous les classiques cités, du Catéchisme et des encycliques, on peut se référer à :

L.D.L.





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