Je voudrais tenter de faire un peu de vulgarisation scientifique sur un sujet dont je ne suis pas du tout spécialiste, en l'occurrence la classification DRECOFGE du vivant, et même si je n'ai pas grand-chose à dire à part qu'elle existe (ce qui ne va pas m'empêcher de mettre environ 6000 mots à dire qu'elle existe), parce que je pense que ça fait partie de la culture scientifique élémentaire que tout le monde devrait avoir (disons, du même ordre qu'avoir entendu parler de la première guerre mondiale a même si on n'a pas fait d'études d'histoire), et parce que c'est quelque chose que mon papa m'a raconté quand j'étais petit (même s'il est avéré que ses connaissances sur le sujet étaient déjà datées à l'époque) entre deux conversations sur les maths ou la physique, alors pourquoi ne pas en reparler à mon tour. (Bien sûr, tout est sur Wikipédia, mais pas forcément expliqué de façon terriblement pédagogique.) Et je veux renier, voire expier, ce que j'ai écrit dans cette vieille entrée. Bon, après, j'ai un but secondaire caché, qui est que je vais certainement écrire des bêtises et que des gens plus compétents viendront me corriger, et comme ça j'apprendrai des choses.
Il s'agit, donc, d'un système de classification des êtres vivants
en groupes ou taxa (pluriel
de taxon), eux-mêmes organisés en une structure
hiérarchique arborescente (c'est-à-dire que deux groupes sont toujours
soit disjoints soit proprement inclus l'un dans l'autre, il ne peut
rien y avoir à cheval entre deux groupes) dont les rangs (principaux)
s'appellent séquentiellement : domaines (les plus
gros
groupes), règnes, embranchements, classes, ordres, familles, genres
et espèces (les plus petits groupes, mais on discerne
parfois des taxa encore plus petits au sein de l'espèce). Les
mammifères, par exemple, sont une classe — c'est-à-dire un
taxon de rang classe
—, inclus dans l'embranchement des cordés,
et qui contient lui-même divers ordres comme celui des primates.
L'origine du système remonte à la taxonomie créé par Carl von Linné
(Linnæus) dans son Système de la nature en 1735–1758,
surtout sa classification du règne animal (son organisation des
espèces végétales n'a pas survécu dans sa structure, et l'idée de
classifier le « règne minéral » selon le même système a été vite
abandonnée). C'est pour ça qu'on parle aussi de classification de
Linné
, même si Linné n'utilisait que cinq des huit degrés
classiquement reconnus de nos jours : ce n'est que plus tard (je ne
sais pas quand) qu'on a jugé bon d'intercaler le rang de famille entre
ordres et genres, et le rang d'embranchement entre règnes et classes,
et encore plus tard le rang de domaine qui relève, il est vrai, plus
de la théorie phylogénétique que de la classification. On parle aussi
de classification de Linné
pour le nom scientifique binomial
(genre+espèce) ou abusivement nom latin
des espèces, qui est
quelque chose d'un peu différent de la
classification DRECOFGE, mais je vais y revenir.
L'idéal, au moins l'idéal moderne, de la classification serait de
refléter une véritable relation de parenté entre les êtres vivants,
c'est-à-dire d'être phylogénétique : l'arbre
phylogénétique, c'est l'arbre généalogique des espèces vivantes,
indiquant la manière dont chacune s'est séparée de son groupe parent
(et idéalement, à quel moment de l'évolution). On
appelle clade ou groupe
monophylétique un groupe d'êtres vivants qui descendent d'un
individu unique (enfin, ça c'est une théorie un peu impossible, mais
disons, d'un nombre extrêmement réduit d'individus) : l'idéal serait
que chaque taxon de la classification fût un clade, et que la
hiérarchie taxonomique reflétât exactement l'arbre phylogénétique (par
exemple, chaque famille devrait correspondre à la descendance d'un
couple — ou en tout cas d'un tout petit nombre — de parents originels,
parmi laquelle descendance on aurait les parents originels de chaque
genre de la famille, et ainsi de suite à chaque degré). ❧ Il peut
cependant y avoir des raisons de mettre un peu d'eau dans le vin de la
phylogénie stricte et d'avoir des taxa qui ne sont pas des clades :
une entorse vénielle à la cladistique consiste à constituer un groupe
de tous les descendants de X sauf ceux
de Y, typiquement parce que ces derniers ont divergé plus
significativement que les autres et qu'il est donc commode de les
ranger à part, on parle alors de groupe
paraphylétique pour ceux qui restent (il s'agit donc d'un
clade moins un autre, ou moins un petit nombre d'autres) ; une entorse
plus sérieuse consiste à regrouper plusieurs clades différents dans un
même groupe, simplement à cause d'une ressemblance (évolution
convergente), et on parle alors de groupe
polyphylétique. ❧ La raison la plus évidente pour laquelle la
taxonomie dévierait de la phylogénie est simplement qu'on est ignorant
de la phylogénie exacte : reconstituer l'arbre généalogique du vivant
est difficile, même en disposant des techniques d'analyse génétique,
on en est réduit à faire des conjectures, parfois fausses, ou à ne
même pas faire de conjectures et à regrouper les espèces selon des
caractères purement descriptifs qui peuvent avoir évolué de façon
indépendante. (À la base de l'arbre, une raison encore plus profonde
est que l'arbre phylogénétique n'est pas vraiment un arbre, il y a des
transferts horizontaux de matériau génétique ou des relations
d'endosymbiose qui font qu'on ne peut plus forcément définir une
relation de parenté nette entre les êtres vivants unicellulaires.)
Mais il peut aussi y avoir des raisons plus pragmatiques de s'écarter
de la phylogénie, du genre on sait très bien que ce groupe n'est
pas monophylétique, mais on ne sait pas très bien comment le
réorganiser, ou le réorganiser impliquerait des changements trop
pénibles par rapport à la taxonomie en usage standard
. De toute
façon, il n'y a pas assez des huit rangs de la
classification DRECOFGE, même si on peut toujours ajouter
des sous-machin et des super-bidule et inventer quelques autres mots,
pour refléter l'arbre phylogénétique vrai qui, par nature, est
essentiellement binaire (quand un groupe se sépare, c'est
essentiellement en deux, même s'il se sépare plusieurs fois il y a un
ordre chronologique de spéciation), ce qui implique d'avoir au minimum
23 degrés si on veut organiser neuf million d'espèces. Pour les
bactéries, je crois que toute prétention à la phylogénie est
abandonnée, et la taxonomie est purement descriptive (et souvent selon
des critères utiles à la médecine).
Par ailleurs, quand bien même on aurait accès à l'arbre
phylogénétique exact, ça ne dit toujours pas à quel niveau dessus on
doit décider qu'un groupe porterait le nom de règne, d'embranchement,
de classe, d'ordre, de famille, de genre et d'espèce : en quoi les
bourdons (genre Bombus), par exemple, ont-ils le même degré de
parenté entre eux que les agrumes (genre Citrus) pour mériter
qu'on considère que les uns et les autres constituent
un genre
? pourquoi les agrumes ne seraient-ils pas plutôt
une famille
? tout ça est scientifiquement assez arbitraire ;
mais pour être arbitraire, ce n'en est pas moins assez pratique pour
ranger les choses de façon à s'y retrouver un peu.