Départ Routier
Thomas Deneux
Le 8 juin, c'est à dire dans un mois, je vais prendre mon «Départ
Routier». C'est un engagement qui se prend vers la fin des années de
scoutisme dans les mouvements SUF (Scouts Unitaires de France) et
Scouts d'Europe, qui résume l'ensemble de la «progression scoute» de
l'enfance à l'âge adulte et est un engagement à vivre toute sa vie
selon l'«idéal scout».
C'est l'occasion pour moi de réfléchir à un certain nombre de choses,
et je me propose de vous montrer un peu en quoi consiste cet
engagement, et finalement (en restant modeste et forcément subjectif)
comment un mouvement comme le scoutisme conduit des jeunes à prendre
leurs responsabilités à l'entrée dans la vie active.
Je vais resituer cet engagement dans son contexte avant d'en donner le
texte, puis expliquer ce qu'il représente pour moi.
Les SUF ont un découpage pour leurs activités en trois tranches d'âges :
-
Les louveteaux et jeannettes, de 8 à 12 ans. C'est l'âge de l'enfance,
des jeux...
- Les scouts (ou éclaireurs) et guides, de 12 à 17 ans. C'est l'âge de
l'adolescence. Les jeunes forment des équipes, les patrouilles, de 6 à
9 personnes formant tout l'éventail d'âges, qui est l'unité de base de
toutes les activités : week-ends dans les bois, jeux, constructions,
exploration d'une région... Ils progressent au sein de cette
patrouille : ils sont au départ des «novices» qui apprennent les
techniques scoutes et, au fil des années, ils exerçent de plus en plus de
responsabilités pour finalement s'occuper à leur tour des plus
jeunes. La troupe, rassemblant en général quatre patrouilles, est une
véritable communauté où les jeunes, par le jeu et l'aventure, font
l'expérience de rapports humains multiples et sont éduqués à l'amour
de la nature, à l'importance de la confiance et de l'engagement, au
sens de Dieu...
- Enfin, les routiers et guides aînées, de 17 à 20 ans et plus,
correspondent à la fin de l'adolescence. Ils mènent des activités
pendant l'année et un projet en été, basés sur les 3 «piliers» :
aventure, service et spirituel. Par exemple, les plus anciens d'entre
vous se rappellent sûrement le camp au Pérou que j'avais monté, et les
T-shirts que je vous avait fait acheter !
À chaque branche correspond une progression personnelle, qui reprend
les valeurs chrétiennes en les transposant au concret des âges et des
activités des jeunes (exemple tirés des «lois» qu'ils s'engagent à
suivre : «le louveteau est toujours propre», etc., «le scout mets son
honneur à mériter confiance», «le scout voit dans la nature l'oeuvre
de Dieu, il aime les plantes et les animaux», etc.).
La progression du routier est tournée vers le Départ routier : en
général, après quelques années de Route pendant lesquels il apprends
par l'expérience et la réflexion ce que cela signifie, il prononcera
le texte qui suit. Comme son nom l'indique, le Départ routier n'est
pas un aboutissement, mais un début ; un moment où on affirme
solennellement s'engager dans la vie en se donnant certaines
directions (ce qui ne veut pas dire que tout est certitude) : désirer
s'imposer une discipline de vie, agir avec sérieux et honnêteté,
chercher le Vrai, reconnaître dans tous les hommes une autre créature
divine dont on a quelque chose à apprendre.
C'est ce que je ferai le 8 juin au soir, au cours d'un rassemblement à
la lueur des torches, au cours de ce cérémonial sous forme de dialogue
avec le chef de clan (le chef routier, qui en général est juste le
plus ancien des routiers). Et comme c'en est l'habitude dans mon
groupe scout, je partirai seul, une torche à la main, pour marcher de
nuit sur la route de Chartres.
Le Cérémonial
Le chef de Clan (s'adressant au Routier): « X... tu vas prendre
ton Départ. Tu veux mener ta vie à la manière et dans l'esprit des
Routiers. Avant de recevoir ton engagement devant notre communauté, je
vais te rappeler les principales exigences de la Route.
As-tu compris que pour justifier l'espérance que Dieu a mise en toi,
tu dois t'imposer une discipline de vie ? »
Le Routier : « Oui. »
C.C. : « Veux-tu n'être esclave ni de tes caprices et de ton
confort et avoir toute ta vie une âme de pauvre ? »
R. :« Oui. »
C.C. : « As-tu compris, par notre amour de la nature et du camp,
qu'un routier ne se paie pas de mots ? Promets-tu de conformer tes
actes et tes pensées aux exigences du réel ? »
R. : « Je le promets. »
C.C. : « As-tu compris, par la communion à la joie et à la peine
des hommes que nous recherchons dans nos entreprises et dans nos
services que la vie est à prendre au sérieux, que tout acte d'un
routier compte et engage ? »
R. : « Oui. »
C.C. : « As-tu compris, à travers nos activités, qu'un routier a
l'amour passionné de la vérité, qu'il ne se contente pas d'à peu près,
ou de la possession tranquille des vérités toutes faites ? Veux-tu, en
toutes choses, rechercher humblement la vérité et librement la servir,
sans écraser autrui sous le poids de ta découverte ? »
R. : « Je le veux. »
C.C. : « As-tu compris, à travers l'amitié fraternelle et les
rencontres que tu fais chaque jour, que tout homme est un être unique,
et que dans les plus disgraciés comme dans les plus obscurs, luit une
étincelle divine qui mérite ton amour ?
Es-tu prêt à ne mépriser personne, à t'entretenir fraternellement avec
chacun, à apprendre de tous ? »
R. : « Oui. »
C.C. : « As-tu compris, à travers tes défaillances, que tu n'as
pas à condamner les hommes, mais que tu leur dois la bienveillance que
Dieu Lui-même te prodigue ?
Promets-tu de rechercher dans les autres, pour la gloire de Dieu, ce
qu'ils ont de bon, et d'aimer pour son amour, leurs défauts et leurs
imperfections ? »
R. : « Oui. »
C.C. : « Enfin, es-tu décidé, autant que tu le pourras, à t'engager
dans une vocation au service de Dieu et de tes frères les hommes ? »
R. : « Oui. »
(Le routier s'avance devant le chef de clan et l'aumônier et pose son
sac devant lui.)
C.C. : « Que Dieu te donne la grâce de persévérer dans ton
engagement. Que le péché, les désillusions, l'argent et les honneurs
n'émoussent pas ta vocation. Que grâce à Dieu, tu restes toujours
jeune. »
R. : « Je sais que la grandeur de l'homme est sa
fidélité. Connaissant ma faiblesse, je demande à Dieu sa grâce et
m'engage à vivre en Routier »
C.C. : « Sois routier en marche dans la communauté des hommes.
Reçois ce pain, nourriture pour ta route et signe de la solidarité
humaine. Il t'invite au travail, au partage, au combat pour la
justice. N'oublie pas qu'il est un autre Pain plus nécessaire encore à
la vie ! »
(Le chef de clan remet au routier une boule de pain.)
C.C. : « Reçois cette tente, abri pour ta route. Elle te
rappellera que nous n'avons pas sur terre de demeure permanente. »
(Le chef de clan lui remet une tente et le routier charge son sac.)
C.C. : « Reçois cette flamme et cet Évangile qui dissipent les
ténèbres de ta route. Cherche et rayonne la vérité, car en toi vit le
Seigneur, Lumière du monde. »
(Le chef de clan lui remet une torche allumée et l'aumônier une Bible ou un Nouveau Testament.)
C.C. : « Reçois enfin ces flots portés par tous les Routiers du
monde. Ils évoquent ce qui, en toi, de chaque âge, ne doit jamais
mourir :
-
Jaune, couleur des Louveteaux, couleur du soleil, pour que la joie
illumine ceux qui t'entourent.
- Vert, couleur des Éclaireurs, de tout ce qui grandit, pour que
l'espérance toujours t'entraîne plus loin.
- Rouge, couleur des Routiers, couleur du sang et de l'amour, pour que
tu n'épargnes ni l'un ni l'autre au long des jours que Dieu te
donnera, et fais ce que tu voudrais avoir fait à l'heure de la
mort. »
(Le chef de clan lui remet les flots.)
L'aumônier : « Heureux ceux qui ont un coeur de pauvre, car le
Royaume des Cieux est à eux.
Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Heureux ceux qui sont doux, car ils posséderont la terre.
Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu.
Heureux les de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le Royaume des
Cieux est à eux. Heureux serez-vous quand on vous maudira, quand on
dira faussement de vous toute sorte de mal à cause de Moi...»
«Ces paroles de Vie, ne les garde pas pour toi; annonce la Bonne
Nouvelle du Royaume de Dieu; donne à manger à ceux qui ont faim, à
boire à ceux qui ont soif, l'hospitalité à qui frappe à ta porte, un
vêtement à ceux qui n'en ont pas; visite les malades, assiste ceux qui
sont en prison; et si tu es persécuté pour Jésus-Christ, ne prépare
rien pour ta défense, car ce que tu auras à dire te sera inspiré au
moment même; ce n'est pas toi qui parleras, c'est l'Esprit du Père qui
parlera en toi.
N'oublie pas que la route est un passage par delà la vie terrestre
vers le pays de l'éternelle jeunesse, où accueilli par le Père, tu
ressusciteras.
Pars maintenant à la suite du Christ et rayonne la paix et la joie. »
(L'aumônier termine en bénissant le routier.)
R. : « Amen. »
Cet engagement, chaque personne qui le prend ne va pas le vivre de la
même manière. Ce n'est pas une prise de voeux ! C'est plutôt une
invitation à s'arrêter, faire le point sur ce que l'on croit et faire
librement le choix d'orientations pour sa vie, à un âge où on a de
plus en plus une vision globale de sa vie (j'entends par là que les
choix d'études, de relations, de projets de vie... que nous avons à
faire à notre âge nous engagent souvent pour la vie et aussi nous
obligent à renoncer à une quantité d'autres possibles). Et ensuite ce
n'est qu'un début et la « progression » continue.
Le Départ est un jalon posé sur sa route, comme il en existe d'autres, où
ayant exprimé solennellement certains désirs, il sera sûrement utile
dans l'avenir de s'en rappeler, que ce soit dans des moments heureux
ou difficiles. Pour moi par exemple, il y a trois points qui me
touchent.
Le premier est celui de la présence et de l'action de Dieu. Même si
dans chaque instant de nos journées on ne se représente pas comme
évoluant sous le regard de Dieu, je suis persuadé qu'il est présent,
et je désire que cela devienne de plus en plus quelque chose de
naturel pour moi.
La deuxième chose est de savoir que j'ai besoin de faire un certain
nombre d'efforts sur moi-même si je veux continuer de me rapprocher de
Dieu (« réussir ma vie »).
La troisième est cette « recherche de la Vérité ». L'idée d'abord
qu'il y a bien une Vérité et non pas une pluralité de relativismes
(dans la manière de se comporter « en vérité », « avec honnêteté »,
dans la théologie, dans la science, dans la vision de l'homme et ses
droits naturels...). Et ensuite que cette Vérité m'est extérieure, que
je ne pourrai jamais prétendre la posséder, mais au contraire doit
avoir l'humilité de mes ignorance, et de chercher cette vérité entre
autres chez tous les hommes.
Voili voilà... à ajouter encore que par cette cérémonie je rends
compte de tout ce que m'a apporté le scoutisme, remercie les personnes
rassemblées autour de moi et les prends comme témoins de cet
engagement, pour m'aider ensuite à pouvoir le tenir. Et je donne un
témoignage à tous des désirs qui m'animent.
T.D.